Pourquoi un même vin bu à des altitudes différentes donne un ressenti différent ?
Question d'origine :
Mesdames, Messieurs,
Je pense que ma question correspond à votre thème Sciences et Techniques.
J'ai constaté qu'un même vin bu à des altitudes différentes donne un ressenti différent.
En d'autre terme un vin de la vallée du Rhône (Côte-Rôtie) bu à Lyon (X-R 240 m) et à Paris (26 m) y est beaucoup plus agréable.
Ce phénomène a-t-il été déjà observé ? Y a-t-il une raison scientifique ?
D'avance merci et bien cordialement.
Je profite de ce message pour présenter tous mes Vœux à l’Équipe du Guichet du Savoir.
André G
Réponse du Guichet
En effet, le goût du vin est bien modifié par l'altitude. En voici les raisons.
Bonjour,
Et avant toute chose, meilleurs vœux à vous également pour cette année 2025 !
Venons-en maintenant à votre question. D’après nos recherches, l’altitude semble bien avoir une incidence sur la dégustation des vins. Mais pas forcément dans le sens de votre observation. Cependant, les expériences sur lesquelles nous basons notre réponse se sont déroulées à bien plus haute altitude que l’exemple que vous nous donnez.
Ainsi, des journalistes de la revue des vins de France ont goûté des vins au sol, puis le lendemain ont goûté les mêmes vins dans une montgolfière qui a progressivement grimpé jusqu’à 2000 mètres d’altitudes. Ils ont tous constaté une modification de leurs sens que le scientifique et sommelier Fabrizio Bucella explique ainsi :
En altitude, plusieurs facteurs rentrant en compte dans une dégustation de vins vont être modifiés par rapport à une dégustation au niveau de la mer.
- Premièrement, la pression atmosphérique est modifiée. Celle-ci n'est que de 78%, ce qui correspond sensiblement à la pression d'air d'une cabine d'avion. Nos perceptions sont amoindries lorsque nous avons moins d'oxygène, nous sommes en situation d'hypoxie.
- Deuxièmement, nous avons un taux d'humidité inférieur à haute altitude, ce qui signifie que les sinus jouent moins bien leur rôle et les perceptions vont être amoindries lorsque le vin passe dans la cavité buccale. De plus, la sensation de froid provoque une diminution des facultés sensorielles.
- Troisièmement, nous avons un autre effet qui entre en compte, qui s'appelle le biais de confirmation de l'hypothèse. L'environnement compte pour beaucoup dans la perception d'une dégustation, et c'est particulièrement le cas ici, dans une montgolfière. Les paysages sont fantastiques et le moment est inoubliable, ce qui va agir sur la perception du vin !
Dans le domaine de l’aviation, les effets de l’altitude sur le vin sont pris très au sérieux quant au choix des bouteilles servies en vol. Voici ce qu’il est écrit dans l’article du Monde L’altitude meilleur ennemi des millésimes écrit par Sylvie Andreau le 23 mars 2024 :
(…) L’avion peut ruiner les efforts de certains vignerons mais consacrer les bouteilles de certains autres. L’environnement sec, pressurisé, et l’air conditionné vont influer sur la perception des aliments comme des boissons. Le passager se déshydrate rapidement, il salive moins, son palais s’assèche. Une gêne peut être éprouvée au niveau du nez : la pressurisation fait gonfler certaines muqueuses, freinant la ventilation des odeurs.
Un supplément d’acidité
Si, en plus, le passager est stressé par le confinement dans l’avion, sa température corporelle peut s’élever légèrement, provoquant une altération du goût et de certaines saveurs. A l’inverse, les aliments qui ne sont ni salés, ni sucrés, ni acides, ni amers, baptisés « umami » par les Japonais, ont tendance à se révéler. Cela explique l’énorme succès du jus de tomate dans les avions, jugé souvent fade au bistrot.
Les sommeliers doivent tenir compte de ces paramètres dans leur choix de vins pour les compagnies aériennes. « En vol, on va mieux percevoir ce que l’on appelle les parties dures d’un vin : un vin acide sera plus acide, un tannique plus tannique. Les cépages réputés pour leurs tanins importants peuvent se révéler compliqués », analyse Paolo Basso, sommelier d’Air France. En conséquence, ce dernier évite de les recommander.
Le choix du millésime peut-il s’avérer déterminant ? « C’est très compliqué, explique Paolo Basso. Il faut aussi prendre en compte, pour une même appellation, le travail du vigneron, les microclimats, les vendanges différentes selon les parcelles. Un millésime médiocre avec de l’acidité peut se révéler bien meilleur en altitude. »
Le Languedocien Jean-Claude Mas, propriétaire des Domaines Paul Mas, pousse le bouchon un peu plus loin. Pour lui, l’altitude révèle ses vins et les rend meilleurs. « Dans les airs, tout ce qui est gourmand se goûte mieux. Moi, je fais justement des vins gourmands, plus plaisants qu’astringents. »
Les spécialistes se retrouvent sur un point : le champagne a le mal de l’air. En altitude, le jus devient plus gazeux, les bulles ont tendance à gonfler et à s’accrocher aux parois du verre. Pour l’amateur de fines bulles, c’est la déception. En revanche, l’abondant gaz carbonique dilate plus que la normale les vaisseaux sanguins et fait grimper le taux d’alcool. La promesse de l’ivresse est tenue. Est-ce pour cela que le champagne est un champion des avions ?».
D’une certaine manière, peut-être plus qu’une altération du goût, c’est une transformation du goût que l’altitude opère sur nos papilles.
Et si l’on en croit certains restaurateurs les vins seraient sublimés par leur conservation en altitude. C’est le constat fait par les propriétaires du restaurant savoyard La Bouitte et le célèbre dégustateur Michel Bettane :
Les vins conservés en altitude se révèlent plus denses, plus longs, plus purs et harmonieux qu’en plaine». Telle est, en substance, la conclusion des essais menés depuis plusieurs années par les chefs savoyards, triplement étoilés au Guide Michelin, René et Maxime Meilleur.
Depuis 2004, les Meilleur père et fils réunissent «vignerons, scientifiques et critiques vins»au sein de leur établissement savoyard La Bouitte pour «analyser l’influence de l’altitude sur le vieillissement et la dégustation des vins et des mets», pointe un communiqué. La pression atmosphérique plus faible et un taux d’oxygène moins important ouvrent à des observations spectaculaires pour les vins. «Sous réserve de corriger l’hygrométrie naturelle en humidifiant l’air en hiver, ils offrent des arômes plus élégants et un fruit plus épanoui. Le vieillissement est plus lent. Leur évolution en montagne gagne en complexité et précision, pour atteindre un équilibre inespéré. Ils paraissent donc plus jeunes, sphériques et subtils», défend encore le communiqué.
Les vins rouges disposeraient alors de «tanins plus fondus, de matières plus suaves», et les champagnes «de bulles plus effervescentes et fines, des arômes aériens et nuancés, un équilibre parfait entre tension et plénitude».
Depuis 2020, les tests se sont portés plus en amont, en phase d’élevage du vin. Une barrique de la cuvée Ursus 2019, du Clos de l’Ours (Provence), a ainsi été placée dans la cave semi-enterrée à de leur restaurant d’altitude (2 700 m), à température et hygrométrie contrôlées. Après deux ans d’élevage, ce vin a été comparé à son témoin élevé au domaine viticole, à Cotignac dans le Var (230m).
Altitudes et profondeurs
Le dégustateur Michel Bettane a également été invité à une dégustation comparative qui a confirmé «la plénitude supplémentaire, plus de profondeur et un effet ‘umami’de l’altitude». L’opération va être reconduite au printemps sur une barrique du dernier millésime d’Ursus (2021).
Source: Vitisphère «Un passage en haute altitude bonifie les vins», Olivier Bazalge, Février 2022
Alors, comme nous vous le disions plus haut, toutes ces expériences sont réalisées à des altitudes bien supérieures à celles relevées dans votre question. Nous ne sommes donc pas sûrs que tous les effets ci-dessus s’appliquent à votre cas. Mais il ne faut pas oublier que dans la perception gustative d’un vin, d’autres éléments entrent en jeu. Comme l’explique Fabrizio Bucella dans l’expérience menée avec la Montgolfière, le biais de confirmation de l’hypothèse n’est pas à négliger dans le ressenti. Ainsi l’environnement dans lequel vous dégusterez votre vin (un paysage magnifique, une bouteille partagée entre amis autour d’un bon repas…) impactera la perception que vous en avez. Et comme l’explique cet article du Figaro, la température à laquelle votre vin est servi aura également une incidence essentielle sur le ressenti gustatif.
Bonne journée