Je cherche des oeuvres et ouvrages qui traitent de la contemplation
Question d'origine :
Bonjour,
Je suis étudiante en master arts plastiques, à la recherche d'oeuvres et d'ouvrages qui traitent de contemplation. Prendre le temps de regarder et de s'émerveiller pour des choses simples et futiles. Où puis-je trouver des informations à ce sujet ?
Merci pour votre aide.
Réponse du Guichet
Après un cadrage sur la notion de contemplation, en esthétique de l’art notamment, nous vous proposons ici des références d'œuvres et d’ouvrages relatifs à des concepts en lien direct et en proxémie avec la notion de contemplation, c'est-à-dire gravitant autour de ce terme : l'extase, la méditation, l'immersion, le sublime, l’absorbement…
Bonjour,
“De nombreux théoriciens font de la contemplation le fait esthétique par excellence, devant servir de base et de point de départ à la théorie esthétique.”
Cet extrait de la notice “contemplation” dans le livre Vocabulaire d’esthétique pose le cadre : l’art serait parcouru par la contemplation car celle-ci dépend de la notion du Beau, socle de réflexion d’une des branches de la philosophie, l’Esthétique.
Aussi, les références proposées ici ne sont qu'une infime partie de ce qui peut concerner la contemplation. Notez également en préambule que la contemplation reste à l’appréciation de chacun puisqu’elle relève de l’affect, par essence personnelle. Aussi, la sélection suivante des œuvres se fait à l’aune du potentiel contemplatif que nous y mettons. Elle est donc partiellement subjective et non exhaustive.
La contemplation peut donc être partout, devant tout œuvre, devant un Bosch ou une main soufflée sur une grotte préhistorique, là où le rejet ne s’impose pas.
La vie contemplative est une notion que l'on trouve dès l’Antiquité en la pensée d’Aristote. Cet article donne un cadrage intéressant de la notion. Aussi, au préalable, pour s’entendre sur ce que recouvre le terme et ce sur quoi nous avons appuyé nos recherches, la contemplation peut être définie comme un acte de profonde attention, dans des contextes philosophiques ou spirituels, qui dépasse la simple observation. Précisément, voici la définition du CNRTL : “Regard ou considération assidue qui met en œuvre les sens (visuel, auditif) ou l'intelligence et concerne un objet souvent digne d'admiration”.
Dans le livre Vocabulaire d’esthétique, la notice du terme "contemplation" la définit ainsi : “On appelle contemplation l’attitude ou l’activité d’esprit dans laquelle le sujet, considérant l’objet, s’absorbe entièrement dans cette considération et tend à la prolonger indéfiniment avec une sorte de bonheur et le plus souvent une apparence au moins extérieure de quiétude et d’immobilité”.
Concernant le type d'œuvres choisies, nous avons exclu le cinéma et la danse qui, par principe, plongent le spectateur dans un temps prolongé d’observation et qui engagent donc d’emblée un régime de regard immersif.
Ici, nous vous proposons des ouvrages et des œuvres qui traitent de la contemplation selon 3 axes : ce qui est regardé (l'œuvre), le regardeur (le spectateur) et la pratique de la contemplation par l'art dans sa pratique.
Aussi, voici 3 listes d'œuvres / disciplines / ouvrages : celles dont le motif de représentation est la contemplation ; celles qui engagent le spectateur dans une attitude contemplative. Il est alors question de la réception de l'œuvre d’art ; celles qui se pratiquent dans une forme de contemplation.
Pour la contemplation comme motif de représentation, nous vous proposons les références suivantes :
L’art sacré et l’art religieux en particulier ont produit des œuvres illustrant le moment où la divinité est révélée et où la transcendance dépasse le quotidien. Iconographiquement, la contemplation est alors représentée par exemple dans l'iconographie chrétienne. Il peut s'agir de la méditation, stade inférieur de la contemplation, du ravissement et de l'extase mystique, stade supérieur de la contemplation.
A ce sujet, vous pouvez aussi consulter :
Vertige de l'art : syncopes et extases (XVIe-XXIe siècles) / Véronique Dalmasso, Stéphanie Jamet
Les figures du ravissement : enjeux philosophiques et esthétiques / Marianne Massin
Les églises sont un des lieux où la contemplation des images est possible et parfois suggérée.
A Lire : L'espace imaginal : méditer dans l'image au XVIIe siècle de Frédéric Cousinié
Dans une dimension profane, le romantisme et en particulier le romantisme allemand de la fin du 18e siècle et la notion de sublime se sont particulièrement attachés à représenter la contemplation, l'état méditatif tout en réfléchissant sur le statut transcendantal des œuvres.
L'un des représentant le plus marquant de ce courant est Caspar David Friedrich. Il peint Le Moine au bord de la mer, 1808-1810 ou Le Voyageur contemplant une mer de nuages et fait du motif de la contemplation le sujet de ses œuvres.
Le philosophe Edmund Burke (1729-1797) est un penseur qui a influencé les artistes de cette veine, notamment dans leur rapport au paysage et à la nature. Dans La Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau (1757), Burke associe la contemplation esthétique au sublime : "La contemplation du sublime suscite une expérience émotionnelle intense, mêlant admiration et crainte."
William Turner est l’un des peintres qui a cette force de réunir à la fois le motif de la contemplation et d'induire de la contemplation chez le spectateur.
Pour en faire l’expérience, parcourez le fonds Turner conservé à la Tate gallery de Londres... près de 39 000 œuvres en lignes. Dans son ouvrage Les Peintres modernes, John Ruskin (1819-1900) décrira avec enthousiasme la peinture de son ami Turner : "L'art véritable ne peut être compris qu'à travers une observation lente et approfondie, une immersion contemplative dans ses détails."
A lire :
Pour les œuvres qui peuvent amener le spectateur à la contemplation, nous vous proposons :
Dans l'histoire de la peinture abstraite, l’approche spirituelle de l’œuvre se retrouve chez ces immenses artistes que sont Kandinsky et Rothko.
« Je ne suis intéressé que par l'expression des sentiments humains de base - la tragédie, l'extase, la malédiction, et ainsi de suite - et le fait que beaucoup de gens craquent et pleurent devant mes tableaux, montrent qu'ils communiquent avec ces sentiments-là (...) Ceux qui pleurent devant mes tableaux ont la même expérience religieuse que moi, lorsque je les peins » Conversations with artists par Selden Rodman.
Plus contemporain, le Land Art est un mouvement particulièrement enclin à une attitude contemplative notamment par son rapport essentiel au paysage, comme les artistes romantiques allemands : “Si les travaux des artistes américains des années 1960-70 prolongent les interrogations mystiques et poétiques des romantiques allemands, c’est probablement en raison d’un même goût pour l’errance. (...) plusieurs artistes du land art semblent poursuivre l’entreprise cosmique du romantisme (...) le sublime devient l’objet d’expériences contemporaines et pratiques nomades.” Sublime, les tremblements du monde, p.28.
En effet, sur la 4e de couverture du livre Esthétiques du paysage de Raffaele Milani, il est écrit que le paysage est le “lieu par excellence de la contemplation” . Ce document “porte l'attention sur une sensibilité qui, issue de la période préromantique, est aussi un des traits saillants de la spiritualité contemporaine.” Parmi les artistes du Land Art, on peut citer en particulier ces artistes dont les œuvres sont propices à contemplation :
- Robert Smithson
- Nancy Holt
- Richard Long
La photographie est également une discipline investie par cette dimension contemplative. On peut citer notamment des photographes qui ont fait du paysage leur sujet de prédilection : Ansel Adams, Diane Arbus, Edward Weston... On peut également citer des photographes de "l’absorbement" comme Jeff Wall ou Gregory Crewdson, dont les œuvres sont des matières à contemplation sans égal car elles demandent un regard prolongé sur chaque détail, tant il fait narration.
Au sujet de la contemplation et de la photographie, Infra-mince, n°4: Cahiers de l'ecole Nationale Supérieure de la Photographie, Arles – 31 octobre 2008 propose une réflexion sur le thème « Contemplation et photographie ».
D'autres artistes contemporains peuvent s’inscrire dans cette veine contemplative. Leurs œuvres relèvent de l'immersion :
Bill Viola, très imprégné de la culture tantrique, du soufisme. “Le titre “Océan sans borne" fait référence au “sentiment océanique” (...)“le sentiment océanique est utilisé pour la première fois dans les années 1930 par Romain Rolland dans une correspondance avec Sigmund Freud à propos de l’expérience religieuse (...) Nous pouvons retrouver, dans le champ de l’art, cette expérience immersive où le sujet se dissout, s’absorbe, se perd et tout à la fois s’élargit, se dilate, se retrouve comme “amplifié" (...) les dernières oeuvres de Claude Monet, les célèbres Nymphéas du musée de l’Orangerie nous confrontent à une telle expérience." Illuminations profanes : art contemporain et spiritualité par Philippe Filliot
Pour la contemplation comme modalité du regard, il est intéressant de regarder du côté du “slow art” ou l'art lent prôné notamment dans les musées. C'est est une tendance très forte depuis environ une quinzaine d’année dans la médiation des œuvres. Cet intérêt pour une approche méditative des œuvres n'est pas nouvelle :
“Du côté du spectateur, l’oeuvre d’art est parfois le moment d’une telle expérience méditative, dont les effets sont bien étudiés aujourd'hui par les neurosciences cognitives. Selon le scientifique chilien Francisco Varela (1946-2001) elle se caractérise par le retournement de l’attention vers l’intérieur, et en même temps, un lâcher prise permettant d’accueillir ce qui advient. Cette posture n’est pas éloignée de l’attitude esthétique, des oeuvres de l’art classique faisant appel à la contemplation, jusqu’aux environnements psycho-sensoriels de l’art contemporain.” Illuminations profanes de Philippe Filliot.
Des musées mettent en place désormais ce type de visite, moins axées sur le contenu et d’avantage sur l’expérience, comme le Musée de la Ville de Paris ou les musées de Hauts de France qui abondent également en ce sens ou les musées de Bruxelles.
Cette nouvelle tendance en muséologie est notamment ancrée dans la pensée de Hartmut Rosa et tous les penseurs ayant travaillé sur le temps, notre rapport au temps dans la société contemporaine.
Enfin, même si la tradition philosophique tend à séparer la vie de l’esprit, dont la contemplation est un des moteurs et la vie pratique, celle du faire, il est toutefois des pratiques artistiques qui œuvrent ou permettent la contemplation comme la calligraphie. L’art chinois : “Dans l’art de la Chine, traditionnelle, le peintre véritable médite longuement avant de peindre.” Illuminations profanes: art contemporain et spiritualité par Philippe Filliot . Dans cet esprit, on peut citer les artistes Fabienne Verdier, Chen Zhen.
Pour les ouvrages relatifs à l’art et à la contemplation vous pouvez lire ceux de Soizic Michelot :
Méditer à travers l'art : 100 oeuvres pour faire l'expérience de la pleine conscience L’auteure a fait une conférence sur “le thème du renouveau contemplatif dans l’art contemporain” à la Bourse de commerce François Pinault. Elle explicite le choix des œuvres présentées lors de cette conférence : "Les œuvres évoquées seront méditatives, réflexives, sensibles, écologiques ou océaniques mais les noms importent finalement assez peu. Ces expressions artistiques ont avant tout en commun une qualité de présence, de lien et de soin. Toutes sont des invitations à une forme contemplative de résistance face au tumulte du monde".
Les tisseurs de silence – La résistance contemplative dans l’art contemporain"Art immersif, résistance poétique, œuvres contemplatives, de nouvelles formes d’arts sensibles prennent une importance croissante dans le paysage artistique contemporain. Elles s’inscrivent dans une tendance plus large d’émergence d’une nouvelle conscience, d’un autre rapport au monde, respectant le vivant, réinterprétant des gestes ancestraux. Ces créations portent en elles une résistance contemplative face à un monde de plus en plus matériel, qui impose à chacun de s’oublier pour être plus performant."
Dans Le plaisir des images, Maxime Coulombe analyse de façon inédite le pendant affectif qui nous relie aux œuvres. Il le légitime tout autant qu’une approche intellectuelle consiste à rentrer dans l’œuvre par la connaissance de l’artiste, du courant, du style. Cette analyse de l’expérience affective des images évoque l’état contemplatif par ailleurs. Elle rejoint la phrase sublime du théoricien de l'art Walter Benjamin dans lettre de jeunesse à un ami, Herbert Belmore. Elle est datée du 6-7 juillet 1914 : « J’ai visité des expositions, Van Gogh, Heckel, Schmidt-Rotluff, j’irai visiter la Sécession. En ce moment la contemplation d’œuvres d’art est peut-être le seul domaine où je progresse”
L'émerveillement : de la présence dans la poésie et l'art modernes de Pascal Dethurens. Dans ce livre, il est question d’être sensible à la présence du monde, de s'ouvrir à lui plutôt que de le traverser ou de la regarder passer. Voilà l’émerveillement possible.Très beau texte sur la lenteur du regard en substrat.
Jean Barbier est également un auteur qui a fait de la contemplation son sujet d’étude. Dans L'alternance féconde : une philosophie de la contemplation et de la création, il “montre la nécessité de mettre en relation contemplation et création, afin de vivre dans la joie. Il met en parallèle la philosophie et l'art et conclut que ces deux domaines sont liés malgré leurs spécificités”
Et aussi : Vita contemplativa : ou de l'inactivité / Byung-Chul Han : "Un essai sur l'éloge du temps long, l'ennui et la contemplation chez Heidegger, que l'auteur confronte à la pensée d'Arendt."
Bonne journée,