Depuis quand les habits ecclésiastiques se sont-ils généralisés au sein de l'Eglise ?
Question d'origine :
Cher guichet,
Sous l'Ancien régime, les clercs portent non la soutane mais l'habit ecclésiastique.
Depuis quand et comment les clercs et le religieux et religieuses ont-ils un costume distinctif des autres dans le catholicisme ?
Réponse du Guichet

On dit que l'habit ne fait pas le moine...
Bonjour,
Pour répondre à votre question nous tenons tout d’abord à rappeler que la soutane est bien considérée comme un habit ecclésiastique. Le costume ecclésiastique rassemble diverses pièces d’habillement (aube, chasuble, surplis, pallium, etc.) portées par toute femme ou tout homme ayant fait vœu de religion. Elles peuvent être aussi bien portées par les religieux dans leur activité quotidienne que pendant les offices, les célébrations religieuses. L’habit ecclésiastique a pour but premier de distinguer les clercs et les laïcs et donc de marquer l’appartenance de tout clerc à un ordre religieux.
Des origines de la chrétienté et jusqu’au IVème siècle, il n’est fait mention dans aucun texte d’un habit ecclésiastique à proprement parler. En effet, les chrétiens étant en proie à de nombreuses persécutions, ils doivent alors se faire discret, surtout les clercs. Écrites entre 442 et 506, les Statuta Ecclesia Antiqua, sont une succession d’articles canoniques dont le but est d’instituer une discipline ecclésiastique en région provençale : temps de travail, conditions de vie, qualités morales des évêques. Le texte a pour but de régir la vie des clercs. C’est dans ce texte, dont les principes seront largement repris ensuite partout par l’ensemble de la chrétienté, que s’esquisse l’habillement ecclésiastique. Ainsi, l’article 45 mentionne :
« Le clerc doit par ses vêtements et son attitude révéler sa profession et ne doit pas porter d'ornements sur ses habits et sa chaussure ».
Autrement dit, la tenue du clerc doit être simple et discrète et loin de tout luxe, élégance et distinction possible. C’est alors là, un principe fondamental qui s’établit et perdure du Vème siècle à nos jours. A noter, il existe alors une distinction entre les clercs et les moines. Ces derniers, en rompant avec la vie de l'extérieur, se sont alors dotés d’habits qui les distinguent particulièrement du monde séculier ; le but étant de montrer leur appartenance à un ordre. Chaque ordre possède donc ses caractéristiques vestimentaires.
Concernant les clercs, il faut attendre le concile de Mâcon au VIème siècle pour qu’il leur soit recommandé de s’habiller différemment des hommes du siècle. Du VIème siècle au VIIIème siècle les clercs s’autorisent également la tonsure (qui était déjà pratiquée par les moines) ainsi que la barbe rasée ce qui leur permettait de se distinguer d’avantage des laïcs dont l’apanage était celui d’une chevelure et d’une barbe fournies.
A partir de la fin du XIème siècle s’établit la Réforme grégorienne. Elle a pour objectif de réorganiser l’Eglise occidentale, de séparer le pouvoir spirituel (de l’Eglise) du pouvoir temporel (celui des rois). En se faisant, elle met un point d’honneur à séparer radicalement clercs et laïcs mais également Eglise romaine et Eglise orientale chrétienne (le clergé byzantin portait la barbe). Dès lors, on assiste à l’établissement de petits traités attestant d’un « habit ecclésiastique » ou de l’adoption d’une tenue sobre, de la tonsure ainsi que de la barbe rasée. Au XIIème siècle, cette tenue exigée par la papauté se codifie. On l’observe notamment à partir du deuxième concile du Latran où les prélats précisent que les ecclésiastiques ne doivent pas offusquer les fidèles par la couleur, la coupe et la richesse de leur étoffe. En 1187, une lettre du pape Grégoire VIII précise en ce sens que le clergé doit porter un habit fermé (clausa indumenta) et lui défend de porter le manteau de couleur agressive ou distincte : rouge, vert ou orné de soie. C’est ainsi que se réglemente réellement pour la première fois l’habit du clergé.
Cela est confirmé par le nouveau concile du Latran réuni en 1215 qui reprécise la tenue exigée des clercs dans le canon 16 (inséré aux Décrétales de Grégoire IX) : ils doivent porter un habit fermé derrière le cou qui ne soit pas de couleur rouge ou verte car ce sont les couleurs qui sont réservées aux cardinaux et évêques et dont la teinture coûte chère. De même, l’habit ne doit pas être ornementé ni doré. Les chaussures et gants ne doivent également pas être décorés. Cette tenue prescrite au concile du Latran annonce ainsi les prémices de la soutane qui constitue l’habit ordinaire du clergé à partir du XVIème siècle. Mais c’est une législation mal respectée et pour cause !
On observe que l’habit ecclésiastique ne diffère guère de celui des laïcs, sa seule différence réside dans le fait qu’il s’agisse d’un vêtement long et fermé d’une couleur sobre, souvent noire. Dès lors, si la tenue du clergé est sobre, elle reste néanmoins très proche de celle que portent les fidèles.
C’est le concile de Trente (session XIV, de reformatione, c. 6) en 1555 qui remet à l’ordre du jour la tenue du clergé en rappelant son obligation mais il ne précise pas quel type de vêtement doit être porté. Son accent est plutôt mis sur sa sobriété qui doit refléter la dignité du clerc. Ainsi, libre était aux évêques de choisir la tenue de leurs paroisses. C’est vers la fin du XVIème siècle qu’apparaît la soutane. La « sottana », terme italien populaire désignant le vêtement « du dessous » n’est cependant pas réservé aux clercs. Hommes, femmes, clercs et laïcs, tous la portent. Peu à peu, le mot « soutane » commence à être utilisé pour désigner uniquement le vêtement du clergé mais aussi des « gens de robe » : médecins, hommes de justice, universitaires. C’est ainsi qu’en 1572 dans La Franciade, le poète Ronsard nous décrit le prête Cybèle « orné d’une soutane blanche ».
En 1589 dans une décrétale, le pape Sixte V ordonne aux clercs de porter un vêtement très long (jusqu’aux talons) : c’est en réalité la consécration de la soutane qui est dès lors portée par-dessus. Elle remplace alors la robe et devient, malgré elle, l’habit ecclésiastique par excellence car elle répond à toutes les demandes précédemment formulées par l’Eglise : longueur, couleur et forme sobre, évoquant la dignité du clerc. Devant les nombreuses oppositions, Sixte V amende cette loi mais elle a quand même un impact considérable et influence de nombreux diocèses en Europe. En France, la soutane inspire de nombreux statuts diocésains et canons jusqu’au XVIIIème siècle. Néanmoins, elle se heurte à des résistances et à la concurrence d’autres habits comme la soutanelle qui est en fait une soutane courte. C’est pourquoi, sous l’Ancien Régime, il n’existe en réalité pas d’habit ecclésiastique type. Force est de reconnaître tout de même la popularité de la soutane de couleur neutre (souvent noire) qui s’impose devant tout autre vêtement.
La Révolution française ayant pour souhait de rendre les hommes égaux, l’Assemblée constituante supprime le costume ecclésiastique, qui autrefois, permettait justement de distinguer les clercs et les laïcs. La loi du 18 août 1792 (supprimant les congrégations religieuses) en interdit même le port. Dès lors, il faut attendre l’abrogation des Articles organiques (notamment l’article 43) du Concordat de 1801 ainsi que la Restauration pour que réapparaisse officiellement l’obligation de porter l’habit ecclésiastique et plus particulièrement la soutane. Elle prend le nom de « costume à la française » et se distingue par sa couleur noire. Le XIXème siècle marque donc le triomphe de la soutane au détriment d’autres vêtements ecclésiastiques et ce notamment en 1844 avec l’obligation de son port en paroisse imposée par Monseigneur Affre, archevêque de Paris.
Cependant, la soutane continue d’avoir ses détracteurs et ce phénomène est d’autant plus marqué à la fin du siècle alors que le climat français est à l’anticléricalisme. Alors que le port de la soutane est interdit dans certaines rues de Paris à l’aube du XXème siècle, les débats sont alors relancés en 1905 avec la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Celle-ci finit par apaiser les esprits en autorisant son port à tous les citoyens.
Finalement, le port de la soutane s’affaiblit jusqu’à la seconde moitié du XXème siècle. En 1962, suite au concile de Vatican II, l’Eglise lève l’obligation de la porter. Dès cet instant, la soutane devient facultative et est peu à peu oubliée pour un vêtement plus discret. C’est dans ces mêmes années que le cardinal Feltin, archevêque de Paris, autorise le clergé à porter le costume de clergyman, souvent composé d’un col romain ce qui est encore aujourd’hui pour les clercs la coutume. Ainsi, depuis 1966, plus aucun texte n’a légiféré sur l’habit ecclésiastique. Sa seule exigence est d’être « convenable », comme il ce fut le cas aux débuts de la chrétienté, laissant alors le choix aux clercs du vêtement qui lui convient le mieux.
Pour compléter notre réponse, nous vous proposons une petite bibliographie sur ce thème :
Le Costume du clergé : ses origines et son évolution en France d'après les règlements de l'Église de Louis Trichet, éditions du Cerf, 1986.
La Tonsure : vie et mort d'une pratique ecclésiastique de Louis Trichet, éditions du Cerf, 1990.
Voiles : une histoire du Moyen Age à Vatican II de Nicole Pellegrin, CNRS éditions, 2017.
Les habits de la foi : vêtements, costumes et religions du Moyen Age à nos jours sous la direction de Isabelle Brian et Stefano Simiz, Presses universitaires de Rennes, 2022.
Tissu, voile et vêtement de Daniel Faivre, éditions de l'Harmattan, 2007.
En vous souhaitant d'agréables lectures ! :)