Comment expliquer que des intellectuels progressistes aient pu soutenir la pédocriminalité ?
Question d'origine :
Pourriez-vous expliquer pourquoi, en France, des intellectuel.le.s progressistes du XXe siècles dont les travaux traitent notamment des formes de domination et imprègnent encore la recherche académique et les penseurs d'aujourd'hui (je pense à Michel Foucault, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Gilles Deleuze etc.) aient pu soutenir en parallèle la pédocriminalité et pourquoi ce sujet est encore aujourd'hui largement décorrélé de ces penseurs ?
Merci
Réponse du Guichet

À partir des années 1970, de nombreuses personnalités françaises de tous bords politiques ont demandé, au nom de la liberté, que la loi permette aux adultes d'avoir des relations sexuelles avec des enfants. Pour justifier leurs pratiques sexuelles avec des enfants, beaucoup de pédophiles ont instrumentalisé le mouvement intellectuel issu de mai 68 qui faisait la promotion de la liberté sexuelle et de la rupture avec la loi et les structures.
Aujourd'hui, des intellectuels français comme Vanessa Springora dénoncent la complaisance des milieux artistiques et littéraires qui, comme les médias, ont jusque très récemment fermé les yeux sur des écrits qui font la promotion de la pédophilie, au prétexte que l’œuvre prime sur l'auteur.
Il est intéressant de constater que la prise de conscience et le débat public concernant la pédophilie sont très récents. Cela va de pair avec la réflexion plus générale sur le statut de l’enfant dans la société.
Bonjour,
Vous soulevez une question hautement d'actualité de nos jours, mais qui l'était (malheureusement) beaucoup moins dans les années 70. En effet, le contexte post révolution sexuelle, et les prémices des luttes contre la domination patriarcale peuvent expliquer la chose.
Vous trouverez de sérieuses références à consulter en ligne et qui vous fourniront de nombreuses informations. Ainsi commençons par signaler l'article Wikipédia qui s'intitule très justement Apologie de la pédophilie, et qui fait le tour de la question. La décennie 1970-1980 est décryptée, ainsi que les comportements et prises de parole qui ont voulu banaliser les comportements pédophiles.
France Culture propose également un article incontournable sur le sujet : Quand des intellectuels français défendaient la pédophilie.
La pédophilie n'a pas toujours été condamnée par les intellectuels français. À partir des années 1970, de nombreuses personnalités de tous bords politiques ont demandé, au nom de la liberté, que la loi permette aux adultes d'avoir des relations sexuelles avec des enfants.
Dans son roman autobiographique, Le Consentement, Vanessa Springora dénonce la complaisance des milieux artistiques et littéraires français qui comme les médias ont jusque très récemment fermé les yeux sur des écrits qui font la promotion de la pédophile au prétexte que l’œuvre prime sur l'auteur. Goût pour la transgression ou tendance de fond issue d'un mouvement pro pédophile de la fin des années 1970 ? Aujourd'hui, ces intellectuels sont mis face à leur responsabilité.
Jean-Paul Sartre, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Gilles et Fanny Deleuze, Francis Ponge, Philippe Sollers, Jack Lang, Bernard Kouchner, Louis Aragon, André Glucksmann, François Châtelet et bien d'autres encore, de Félix Guattari à Patrice Chéreau ou Daniel Guérin ; tous font partie des 69 intellectuels français qui, aux côtés de l'écrivain Gabriel Matzneff et du romancier, journaliste à Libération et membre fondateur du Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR) Guy Hocquenghem ont signé une tribune publiée le 26 janvier 1977. D'abord dans Le Monde puis dans Libération pour défendre trois hommes incarcérés depuis plus de trois ans pour avoir abusé sexuellement de mineurs de moins de 15 ans.
Le 23 mai 1977, dans les pages "Opinions" du Monde, 80 intellectuels français parmi lesquels Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Alain Robbe-Grillet, Jacques Derrida, Philippe Sollers et même Françoise Dolto, signent un autre texte pour demander que la loi décriminalise les rapports sexuels entre les adultes et les enfants de moins de 15 ans.
Ces intellectuels français se posent alors contre la famille et pour l'homosexualité à travers un militantisme pro pédophile, à une époque où l'obsession sans cesse répétée est que la société a changé, qu'il faut se libérer du carcan de la famille et de pratiques sexuelles rétrogrades. "Le sexe est omniprésent dans la société" ou encore "dans les années 1970, les gens se disent 'on fait ce que l'on veut' déclare Virginie Girod, docteure en histoire, spécialiste de l’histoire des femmes et de la sexualité.
Nous trouvons un peu plus loin dans l'article de France Culture, des déclarations de personnalités politiques, ou d'artistes, pour le moins glaçantes :
Figure de mai 1968, Daniel Cohn Bendit raconte alors ses gestes sexuels sur des enfants : "La sexualité d'un gosse, c'est absolument fantastique, faut être honnête. J'ai travaillé auparavant avec des gosses qui avaient entre 4 et 6 ans. Quand une petite fille de 5 ans commence à vous déshabiller, c'est fantastique, c'est un jeu érotico-maniaque..."
Toujours dans les années 1970, le chanteur Claude François se reconnaît "obsédé" par les filles mineures : "Les filles [de 18-30 ans] commencent à réfléchir. Elles ne sont plus naturelles. Elles se sentent obligées de prendre position. Elles ne sont plus cette espèce de rêve que représente pour moi la fille."
Et c'est à cette époque que Roman Polanski arrive en France.
Pour justifier leurs pratiques sexuelles avec des enfants, beaucoup de pédophiles ont instrumentalisé ce mouvement intellectuel issu de mai 68 qui faisait la promotion de la liberté sexuelle et de la rupture avec la loi et les structures et qui voulaient à tout prix se défaire de la domination des adultes." Des écrivains comme Gabriel Matzneff mais aussi Tony Duvert ou René Schérer ont ainsi cherché à présenter la pédophilie comme une attirance sexuelle acceptable du moment que l'enfant en était "consentant".
Voir aussi cet article : La génération de mai 1968 est-elle laxiste avec la pédophilie ?
Après le livre de Vanessa Springora, Le Consentement, qui revenait sur la nature pédophile de sa relation avec Gabriel Matzneff, et plus récemment La Familia grande de Camille Kouchner qui révèle les relations incestueuses de son beau-père Olivier Duhamel avec son frère jumeau, reviennent régulièrement des accusations en laxisme voire en permissivité de la pédophilie chez les soixante-huitards. C'est une certaine élite, des intellectuels de gauche, qui est particulièrement visée.
Le Monde revient aussi sur le sujet dans son article Les années 1970-1980, âge d’or de l’apologie de la pédophilie en France :
C’est une époque lointaine dont la langue nous est désormais inconnue. Une terre reculée où un écrivain sacré par le prix Médicis (1973) comme Tony Duvert peut affirmer que les «gamins aiment faire l’amour comme on se mouche» ; où le Groupe de recherche pour une enfance différente (GRED) publie dans une revue aussi sérieuse que L’Ecole des parents ; où un journal comme Libération sert de poste restante à un éphémère Front de libération des pédophiles. « Les années 1970 et 1980 nous mettent en présence d’un monde disparu », résume le sociologue Pierre Verdrager, chercheur associé à l’université Paris-Descartes.
Pour évoquer cette parenthèse où l’éloge de la pédophilie eut droit de cité, Wikipédia ne s’embarrasse pas d’euphémismes : dans l’encyclopédie en ligne, l’une des entrées sur l’après-Mai 68 est titrée «Apologie de la pédophilie». «Ces années furent “l’âge d’or” de l’offensive en faveur de la défense des pédophiles», constate Jean-Hugues Déchaux, professeur à l’université Lumière-Lyon-II.
Cet univers a sombré corps et biens au début des années 1990 : la pédophilie est alors apparue, non comme une salutaire libération de la sexualité enfantine, mais comme un abus de pouvoir perpétré par des prédateurs sans scrupules – et les décennies précédentes nous sont, du même coup, devenues étrangères."
Il est également intéressant de constater que la prise de conscience et le débat public concernant la pédophilie sont très récents. Cela va de pair avec la réflexion plus générale sur le statut de l’enfant dans la société. De fait, la médiatisation de la pédophilie daterait de la fin du XIXe siècle. L'article Depuis quand les médias parlent-ils de pédophilie ? recontextualise cette parole dans l'espace public, et aborde forcément la question des intellectuels des années 70 et leur positionnement :
En portant la revendication pédophile dans l’espace public, les journaux ont opéré un véritable retournement qui n’est pas purement médiatique : l’abus sexuel sur enfant est exhumé de la rubrique des faits divers et entre dans celle des débats de société.
Pour continuer la réflexion :
La vie sexuelle en France / Janine Mossuz Lavau
Histoire de la pédophilie / Anne-Claude Ambroise-Rendu
L'enfant interdit / Pierre Verdrager
Un siècle de pédophilie dans la presse (1880-2000) : accusation, plaidoirie, condamnation in Le Temps des médias n°1, automne 2003, p.31-41 / Anne-Claude Ambroise-Rendu
L'autre héritage de 68 : la face cachée de la révolution sexuelle / Malka Marcovich
Histoire des sexualités en France : XIXe-XXIe siècle / Sylvie Chaperon, Catherine Deschamps, Emmanuelle Retaillaud...
Bonne journée,