Y a-t-il une un marque de tacherons similaire à Cluny ?
Question d'origine :
bonjour
il y a un marque de tacherons similair à Cluny, ou in Bourgogne?+
D'avance merci.

Réponse du Guichet

Il nous manque certaines informations précieuses, comme le lieu où a été prise cette photo, pour mieux orienter nos recherches... Nos collections ne sont pas les mieux fournies pour répondre aux questions en glyptographie et encore moins en glyptographie bourguignonne. Nous vous suggérons plusieurs contacts vers lesquels vous tourner afin de mener à bien votre recherche.
Bonjour,
Les marques de tâcheron sont les marques laissées par les tailleurs de pierres sur les monuments sur lesquels ils travaillaient. Payés à la tâche (voir la def. de tâcheron du CNTRL), les tâcherons étaient des ouvriers libres embauchés sur les chantiers pour réaliser des commandes plus ou moins importantes. Ces marques gravées sur la pierre, que l'on appelle aussi parfois "signes lapidaires", avaient pour fonction de justifier du travail d'un ouvrier, mais pas uniquement.
L'article Les signes lapidaires dans la construction médiévale : études de cas et problèmes de méthode paru dans Bulletin Monumental, tome 165, n°4, en 2007, explique que la marque lapidaire ou « marque de tâcheron » pouvait être "un signe individuel et le témoignage, voire le synonyme systématique d'une rémunération du tailleur de pierre à la tâche" mais aussi "un signe lié au processus de la taille aux marques de module d'assise, de comptage, de contrôle ou d'assemblage, ... [un] marquage des blocs, collectif et anonyme, [pouvant] servir à désigner, par exemple, un lot de fabrication et/ou de livraison."
Mais la fonction de ces signes et leur interprétation demeurent sujet à débats parmi les spécialistes. Le sens qui leur est traditionnellement donné depuis les travaux de Viollet-le-Duc, et notamment leur rattachement à un ouvrier donné est remis en question. Aussi, la structuration des métiers en corporations à compter du XIIIème siècle a fait se raréfier la gravure de ces signes sur les façades des édifices. Vous retrouverez à ce sujet des éléments intéressants dans la page Wikipédia : Marque de tâcheron. Et dans cet extrait de l'article susmentionné, que nous partagions au sein d'une précédente réponse du GDS : Quel est ce symbole gravé sur cette pierre de remploi ? :
Comment interpréter ce type de marque ? À quelle identité se rapportent les noms : à un individu ? À un groupe ? À un commanditaire ? Quel est leur rôle ?
L'interprétation traditionnelle des « marques de tâcherons » est exprimée par Viollet-le-Duc dans son article « ouvrier » : « Les marques de tâcherons que l'on trouve sur les pierres des parements de nos monuments du XIIe siècle et du commencement du XIIIe (...) prouvent évidemment que les ouvriers tailleurs de pierre, au moins, n'étaient pas payés à la journée, mais à la tâche (...). La pierre taillée, compris lits et joints, [était payée] à tant la toise (...) à l'ouvrier. Celui-ci marquait donc chaque morceau sur sa face nue afin que l'on pût estimer la valeur du travail qu'il avait fait ». Cette argumentation a été maintes fois reprises : à propos des signes lapidaires dans la région chalonnaise et à Cluny, on a encore pu écrire en 1976 : « leur étude peut comporter deux volets : forme et origine d'une part, raison d'être d'autre part. La réponse à la seconde question est assez évidente : les marques particulières à un ouvrier (éventuellement à une équipe) servaient à identifier le travail accompli et à décider du payement ». L'époque à laquelle on voit apparaître massivement l'usage de ces signes correspondrait, vers la fin du XIe siècle, au passage d'une économie rurale et domaniale à une économie monétaire. Le tailleur de pierre, au lieu d'être rémunéré en nature et à la journée, allait l'être en espèces et à la tâche. Cette opinion avancée par K. Friederich en 1932 est reprise en 1988 par Lucien Musset qui, pour la Normandie, fixe cette transformation économique entre 1125 et 1130, moment où, sous Henri Ier, le duché se dote d'une solide administration financière.
Plusieurs arguments militent contre cette interprétation pourtant toujours répandue dans les ouvrages de vulgarisation. Le fait que les pierres ne soient pas inscrites systématiquement dans un même édifice rend difficile un comptage par ce moyen. Il est tentant d'expliquer l'absence de signes incisés sur une partie des pierres d'une construction soit par la présence, à l'origine, de signes tracés éphémères — tels qu'ils sont connus à Vincennes et, tardivement, à Chambord — soit par la coexistence de différentes sources d'approvisionnement, soit par la signature d'un seul bloc pour un lot. Cette dernière hypothèse, qui est proche de l'interprétation avancée pour les signes lapidaires marqués à la couleur rouge et noire à la cathédrale de Ratisbonne, a été tentée pour l'Allemagne méridionale à l'époque gothique par A. Antonow qui suppose l'existence d'un forfait au pied courant, en additionnant les longueurs de bloc taillés pour une même assise de hauteur égale : les signes isolés désigneraient alors un ensemble de blocs correspondant à la longueur forfaitaire. En ce cas, un signe est censé valoir pour une longueur d'assise composée de plusieurs blocs, facturés à la semaine, par exemple.
D'autres explications cherchent à attribuer la présence ou l'absence des signes à un statut différent des tailleurs de pierre du chantier. Rappelons ici que ces différentes hypothèses, qui cherchent à déterminer le rôle éventuel du signe lapidaire dans la gestion du chantier, doivent tenir compte du contexte chronologique et régional, comme de l'importance relative de l'entreprise, dont la gestion dépend de nombreux facteurs, tels que l'envergure de l'édifice, les moyens mis à la disposition pour sa mise en œuvre, de la maîtrise d'ouvrage, de la maîtrise d’œuvre, du marché et de la situation politique générale et particulière. Ainsi, le Palais des Papes ou le château de Vincennes, construits à l'aide d'un financement très conséquent et régulier, et ceci à une époque pourtant difficile, ne peuvent-ils être comparés, par exemple, au chantier d'une simple demeure privée de la même époque.
Si les signes ne correspondent qu'à un comptage, pourquoi ne pas se contenter d'un marquage plus léger et plus facile à réaliser (charbon de bois...) que l'on rencontre parfois, pourquoi notamment ces belles lettres à caractère épigraphique si nombreuses dans la construction romane du domaine provençal ?
Il faut tout d'abord bien distinguer les époques : les différences entre les chantiers romans et gothiques sont à mettre en évidence, de même entre les régions, voire des distinctions d'un chantier à l'autre (envergure inégale, besoins et modes d'approvisionnement différents...).
Une hypothèse possible serait de mettre de telles marques en relation avec le statut social du tailleur (voir le « Ehrenzeichen », signe honorifique attesté par les statuts allemands à partir de 1464) 94 ; et comment le savoir pour des périodes antérieures à l'émergence des comptabilités précises ? La présence ou l'absence de marques sur les monuments cisterciens peuvent-elles nous indiquer si le travail a été fait par des moines ou des équipes venues de l'extérieur ? cependant, ce type d'indice peut-il être valable ou non en dehors du contexte cistercien, qui peut être spécifique ?
La marque est-elle personnelle ou attribuée par le responsable du chantier ? Si oui, à quelle époque, sur quel type de chantier... ? En Provence romane, certaines marques sont très personnalisées et correspondent à un seul ouvrier : le constat a été fait à Saint-André-de-Rosans, où la même lettre est associée à une façon particulière de tailler la pierre, et à l'emploi même d'un outil spécifique. Mais peut-il s'agir aussi d'une signature de sous-équipe ? L'usage collectif d'une même marque se pose lorsqu'un signe est taillé de différentes manières bien caractéristiques, ou lorsqu'il existe en plusieurs variantes.
[...]
A partir du XIIIe siècle, le changement (qui n'est peut-être pas partout le même) dans le tracé et le répertoire des signes correspond-il à un changement de signification ? Les signes géométriques composés d'un ou de plusieurs traits rectilignes, souvent équivalents à des coups de ciseau (la longueur du tranchant est identifiable au Palais des Papes), ont-ils un caractère plus exclusivement « utilitaire » ? L'étude de la tour Saint-Laurent du Palais des Papes, en cours, laisse penser que les séries de signes de ce type, de caractère collectif, sont en rapport avec le mode d'approvisionnement, et avec un rythme des livraisons par quantités qui évolue au cours de la mise en œuvre...
[...]
Il existe peut-être, pour certaines marques, d'autres types d'explications que celles que nous venons d'énumérer ici. Des marques de contrôle ont-elles existé ? En a-t-on repéré avec certitude ? Des hypothèses ont été émises en ce sens pour la tour Saint-Laurent du Palais des Papes. Même question pour d'éventuelles marques de calepinage, signes qui auraient pu être inscrits en carrière pour replacer l'élément dans la construction. En revanche, des marques existantes n'ont pas été interprétées : des traits diagonaux barrant toute la surface de blocs (Saint-André-de-Rosans, églises du Tricastin, chevet de la cathédrale de Lyon, Jumièges, Saint-Benoît-sur-Loire, Sainte-Foy de Conques...), des croix sommaires sur des blocs de la cathédrale de Lyon. Pour Vincennes, C. Léon met en relation les signes et « la gestion des pierres sur le chantier ». Leur emploi serait dû à la complexité et l'ampleur du chantier : « Une organisation rigoureuse était nécessaire, notamment pour guider le cheminement des voitures, déterminer le lieu de stockage des pierres et faire en sorte que l'on dispose au bon endroit et au bon moment du nombre suffisant de blocs (...). Il n'était pas nécessaire que la marque le soit sur toutes les pierres puisqu'il s'agissait d'identifier un lot ».
Source : Les signes lapidaires dans la construction médiévale : études de cas et problèmes de méthode, article collaboratif paru dans Bulletin Monumental, tome 165, n°4, en 2007 (331 - 358).
Concernant la photo de la marque que vous nous avez transmise, nous sommes toutefois bien embêtés... Nos connaissances en glyptographie sont limitées et nos collections ne permettent pas d'identifier la marque envoyée en pièce jointe. Par exemple, nous ne possédons malheureusement pas de dictionnaire de signe lapidaires dans nos collections.
Par ailleurs, des précisions supplémentaires sur la provenance de ce signe auraient été les bienvenues, mais aussi une meilleure formulation de votre question. S'agit-il de retrouver une marque similaire à celle-ci sur les vestiges de l'abbaye de Cluny et plus largement dans la région Bourgogne ?
La plateforme POP du ministère de la culture dispose de 4 photos de marques de tâcheron provenant des fouilles de Cluny sur son site, mais celles-ci ne concordent pas.
Si Cluny ou la Bourgogne sont mentionnés dans l'article mentionné ci-dessus, aucune des reproductions de signes lapidaires entrevues n'est identique à votre photo.
Nous avons aussi parcouru cet article sur la cathédrale de Lyon, pour éventuellement retrouver l'origine de votre image mais sans succès : Les marques lapidaires gravées sur l'enveloppe extérieure du chevet de la cathédrale de Lyon : approche méthodologique publié dans Archéologie du Midi médiéval de N. Reveyron en 1995 (p. 151 - 169).
Mais aussi cette brochure de l'opération Cluny 2010 qui fait état des travaux de fouilles archéologiques conduites sur le site.
Nous avons également consulté les Actes du IXe Colloque international de glyptographie de Belley recensant des marques lapidaires lyonnaises de la fin du moyen âge, d'une église d'Alicante en Espagne, d'un village médiéval en Italie, de Notre-Dame de Strasbourg, d'une collégiale et d'une cathédrale en Belgique... sans résultat.
Pour que votre curiosité ne reste sur sa faim, vous avez toujours la possibilité de vous tourner vers des spécialistes ou les institutions concernées par votre requête :
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Un musée dédié à la glyptographie aurait ouvert ses portes à Colmar. Il a été créé et dirigé par l'un des spécialistes de la discipline, Claude Oberlin. Partez à la découverte de ce lieu unique dans cette vidéo : Un français ouvre les coulisses de ce musée unique au monde. Le chercheur est même joignable pour répondre à vos questions sur cette page : Me contacter.
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Tentez votre chance auprès de l'abbaye de Cluny : Nous contacter.
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Vous pourriez aussi prendre contact avec la bibliothèque bourguignonne dont le réseau des bibliothèques possède à coup sûr des documents plus enclins à répondre à votre question.
Bonne journée,
DANS NOS COLLECTIONS :
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