En 1940, les hommes de nationalité suisse pouvaient-ils échapper au Front ?
Question d'origine :
Bonjour,
Pouvez-vous me dire si en 1940, les hommes d'origine étrangère - précisément pour ma question une personne d'origine Suisse - ayant gardé sa nationalité Suisse lors de son mariage avec une personne française, pouvait être appelée à partir au front d'autorité?
D'avance merci
Réponse du Guichet

Un décret a imposé aux étrangers sans nationalité et aux étrangers bénéficiaires du droit d´asile de répondre aux obligations imposées aux Français par les lois de recrutement. Si cette personne de nationalité suisse n'a pas demandé la nationalité française et n'a pas réalisé de service militaire en France, elle ne semble pas avoir été appelée à partir au front d'autorité.
Bonjour,
D'après votre question, cet homme suisse, marié à une française, aurait conservé la nationalité suisse et n'aurait pas demandé la naturalisation française.
Or, à cette époque "L'étranger qui épouse une Française doit, pour obtenir la nationalité française, solliciter une naturalisation." source : Éléments d'histoire sur le droit de la nationalité française
D'après nos recherches, les étrangers de nationalité suisse ne semblent pas avoir été contraints de s'engager dans l'armée française lors de la Seconde Guerre mondiale. Certains étrangers ont pu l'être mais leur situation personnelle était différente.
Le Décret du 12 avril 1939 sur la création des CTE prévoyait l'extension aux étrangers bénéficiaires du droit d'asile des obligations imposées aux Français par les lois de recrutement et la loi sur l´organisation de la Nation en temps de guerre.
Voici quelques précisions apportées par deux articles :
Le décret du 12 avril 1939 sur l'extension aux étrangers bénéficiaires du droit d'asile, des obligations imposées aux Français par les lois de recrutement, et par la loi sur l'organisation de la nation en temps de guerre, est une mesure qui a été prise par le Gouvernement français, sous la pression de l'opinion publique, et des milieux parlementaires, 1,1 M travaux de l'année 1939 57 — qui étaient d'accord sur la nécessité, étant donné les besoins de l'heure, d'astreindre les étrangers résidant en France, à participer à la défense du pays.
Des circonstances récentes ont appelé l'attention sur la situation faite aux étrangers, qui bénéficient du droit d'asile sur notre territoire, au point de vue de leur participation aux charges qui pèsent sur la communauté nationale.
Il paraît juste, et conforme au sentiment public, d'organiser cette participation, de manière à la rendre aussi égale que possible à celle qui est imposée aux nationaux. C'est en ces termes que s'exprime, à propos de la participation des étrangers à la défense de la France, l'exposé des motifs du décret du 12 avril 1939.
Il s'agissait, par conséquent, de soumettre certaines catégories d'étrangers résidant en France aux mêmes obligations que les Français.
source : L'obligation de certains étrangers à des prestations militaires / Stoupnitzky Arsène. In: Travaux du Comité français de droit international privé, 6e année, 1938-1939. 1946. pp. 56-66
Dans un article paru dans "L'Ancien combattant juif" en juin 1939, le journaliste Jacques Biélinky estime que cette « volonté unanime de partager avec les Français les charges et les sacrifices de la défense nationale50» a largement pesé dans la décision des pouvoirs publics de promulguer le décret-loi du 12 avril 1939 définissant la situation militaire des étrangers âgés de 18 à 40 ans51. Le décret autorise leur engagement, dès le temps de paix, dans un corps de l'armée française. Les bénéficiaires de l'asile politique sont pour leur part assujettis à des prestations durant deux ans. Ces mesures, qui précisent enfin le statut des étrangers, sont saluées dans les colonnes du "Droit de Vivre"52. L'organisation attend dorénavant des instructions du gouvernement pour remettre les bulletins signés aux autorités concernées.
Ces instructions ne viendront pas. Les bulletins n'avaient certes aucune valeur officielle car, comme pouvaient le faire remarquer certains fonctionnaires, aucune pièce justificative n'avait été demandée aux volontaires qui se rendaient aux bureaux de
la LICA. La campagne de 1939-1940 allait montrer que les facteurs qui déterminaient la place des étrangers dans la société française en temps de guerre ne ressortissaient pas à leur volonté personnelle de servir le pays qui les avait accueillis. Intégration dans des corps d'armée spécifiques (Légion étrangère, Légion polonaise, Armée tchécoslovaque), versement dans des compagnies de prestataires, internement des ressortissants du Reich en attendant le passage de commissions de criblage qui mirent des mois à se mettre en place53... La sécurité intérieure imposait certes la prudence vis-à-vis des sujets de l'empire allemand, mais comme l'a noté Denis Peschanski, leur maintien dans des camps d'internement « répondait également à des stéréotypes idéologiques partagés par de larges franges de l’opinion54». La xénophobie et l’antisémitisme des années 1930 qu'aucune mesure, même juridique55, n’avait réellement pu endiguer, pouvaient difficilement se dissoudre en temps de guerre. La gratitude exprimée dans les lettres adressées à la LICA, et plus globalement à travers les milliers de signatures de l'automne 1938, n'étaient que de peu de poids aux yeux d'une administration qui considérait avec méfiance les immigrés et qui légiférait en conséquence depuis des mois. La persécution antisémite d'État, que le nouveau régime issu de la défaite devait bientôt mettre en place, allait piétiner avec plus de mépris encore ceux qui avaient affirmé avec force leur reconnaissance infinie envers leur patrie d'adoption.
source : L'obligation de certains étrangers à des prestations militaires / Stoupnitzky Arsène. In: Travaux du Comité français de droit international privé, 6e année, 1938-1939. 1946. pp. 56-66.
Vous trouverez sur le site Mémoire des Hommes, une base de données recensant les Engagés volontaires étrangers en 1939-1940. D'après cette base, 1 308 suisses se sont engagés volontairement. Y retrouverez-vous le nom de cette personne ?
Cette base a été constituée à partir de la numérisation et de l’indexation des listes des engagés volontaires étrangers établies par chaque région militaire au lendemain de la guerre.
Ces listes, lacunaires et aujourd’hui conservées dans le fonds de l’UEVACJ-EA au Mémorial de la Shoah, font état aussi bien des volontaires recrutés au titre de la Légion étrangère, que d’une armée nationale reconstituée en France (armées polonaise et tchécoslovaque), enfin au titre des unités régulières de l’armée française.
Parmi ces engagés, on retrouve notamment de nombreux républicains espagnols et ressortissants de l’Europe centrale et orientale. Si certains ont été contraints au titre de leur qualité de bénéficiaires du droit d’asile, il s’agit pour beaucoup de lutter contre le fascisme et de servir leur pays d’accueil.
Riche de plus de 53 000 noms, le corpus des engagés volontaires ici présenté reste en construction, de par ses lacunes à ce jour identifiées et l’existence d’un nombre de doublons proche de 25 %.
Pour en savoir plus sur les engagés volontaires, rendez-vous sur le site Mémoire des Hommes.
Bonne journée.