Quels sont les motifs légaux d'activation du droit de grève ?
Question d'origine :
Lorsque une grève ne porte pas directement sur le travail (salaires, conditions de travail), est-elle légale ?
Réponse du Guichet

Pour que la grève soit licite, les tribunaux exigent qu’elle soit exercée en vue de satisfaire des revendications d’ordre strictement professionnel présentées à l’employeur (demande d’augmentation de salaire, de paiement de primes ou des heures supplémentaires, revendications concernant les conditions de travail, les droits syndicaux ou encore réaction face à une annonce de compression d’effectifs, etc.). La grève purement politique, qui consiste à protester contre une décision de la puissance publique (décision de justice, administrative, militaire ou gouvernementale, par exemple) constitue un mouvement illicite.
La Cour de cassation admet cependant « les grèves mixtes », c’est-à-dire celles qui consistent à protester contre les aspects économiques et sociaux de la politique de l’État ayant des conséquences directes sur le terrain professionnel, les conditions de salaires ou l’emploi.
Notons que les grèves de solidarité, pour lesquelles les salariés ne présentent pas de revendications personnelles mais agissent pour soutenir d’autres salariés de l’entreprise ou des travailleurs étrangers à celle-ci, sont licites dès lors qu’elles ont pour but de défendre des intérêts professionnels et collectifs du personnel.
Concernant les conditions d’acceptabilité du droit de grève face aux bouleversements et à l’urgence climatique, l'illicéité de principe de la grève est parfois tolérée par des sociétés soucieuses de leur réputation qui ferment les yeux ou encouragent même leurs salariés à y participer (voir ci-dessous l'article de Jean-Emmanuel Ray).
Bonjour,
Vous souhaitez savoir si une grève ne portant pas directement sur le travail (salaires, conditions de travail) est licite.
Le site Vie-publique.fr répond à la question Qu'est-ce que le droit de grève ? :
En France, le droit de grève est reconnu aux agents des secteurs privé et public. Les conditions de la grève sont néanmoins plus strictes pour les fonctionnaires. Faire grève ne peut pas mettre en danger l’emploi des grévistes, mais cela entraîne des retenues sur la rémunération. Quelques rares professions ne bénéficient pas du droit de grève en raison de l'impératif de continuité du service public.
En France, le droit de grève est un droit à valeur constitutionnelle. Il fait partie des droits et devoirs accordés dès 1946 et repris par la Constitution de la Ve République : "le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent" (alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946).
L’arrêt du 2 février 2006 de la chambre sociale de la Cour de cassation définit la grève comme "la cessation collective, concertée et totale du travail en vue de présenter à l’employeur des revendications professionnelles".
Pour être valable, une grève doit réunir les conditions suivantes :
un arrêt total du travail ;
un arrêt collectif du travail par l’ensemble des salariés grévistes (l’appel d’un syndicat à faire grève n’est pas nécessaire) ;
des revendications professionnelles (portant sur le salaire, les conditions de travail, la défense des droits...)
[...]
Dans le secteur privé, un mouvement de grève peut être déclenché à tout moment, sans préavis ni avertissement ou tentative de conciliation avec l’employeur. À l’inverse, dans le secteur public, une grève doit obligatoirement être précédée d’un préavis de cinq jours pendant lequel les représentants syndicaux et l’administration employeur sont tenus de négocier.
Dans les deux cas, les revendications portées par les grévistes doivent être clairement communiquées à l’employeur dès le départ. La grève peut être de courte durée (1h par exemple) ou bien s’étendre sur plusieurs jours voire semaines. Elle peut aussi être répétée. Néanmoins, les grévistes ont pour obligation de respecter le travail des non-grévistes. Si les grévistes empêchent les non-grévistes de travailler (en bloquant l’accès aux outils de travail ou en dégradant le matériel), ils s’exposent à une sanction.
Certaines formes de grèves sont interdites dans la fonction publique :
- la grève tournante, qui correspond à la cessation du travail par roulement concerté des différents secteurs ou catégories professionnelles d’une même administration ;
- la grève politique, non justifiée par des revendications professionnelles ;
- la grève sur le tas avec occupation et blocage des locaux de travail.
La grève suspend le contrat de travail des grévistes mais ne le rompt pas. Le code du travail, dans sa version de 2002 toujours en vigueur, précise que "l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié" (article L2511-1). Le gréviste perd une partie de son salaire proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail. Dans la fonction publique cependant, la retenue sur salaire ne peut pas être inférieure à 1/30e de la rémunération (soit un jour de travail).
Aucun salarié ne peut être sanctionné ni faire l’objet d’une discrimination pour avoir fait grève. Il peut néanmoins être sanctionné voire perdre son emploi s’il a commis des actes illégaux (comme l’usage de la violence à l’encontre du personnel ou de la direction de l’entreprise).
Certains agents publics n’ont pas le droit de grève, en raison de l’obligation d'assurer la continuité du service public. Les professions concernées sont :
les militaires ;
les policiers, gendarmes et compagnies républicaines de sécurité (CRS) ;
les magistrats ;
les surveillants pénitentiaires ;
les personnels des transmissions du ministère de l’intérieur (chargés du bon fonctionnement des appareils informatiques, de surveillance et de conservation des données).
D’autres professions bénéficient d’un droit de grève limité et doivent assurer un service minimum à cause de leur organisation particulière comme les contrôleurs aériens, les employés de l’audiovisuel public, des transports, du secteur nucléaire ou encore le personnel hospitalier. Pour garantir un service minimum d'accueil des élèves dans les écoles maternelles et élémentaires, les enseignants doivent informer à l'avance leur administration de leur intention de faire grève.
Le pouvoir exécutif peut également décider de limiter le droit de grève au nom de l'article L1111-2 du code de la défense, lequel autorise la mobilisation générale de tout ou une partie de la population "en cas de menace portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population".
Le Gouvernement peut aussi demander aux préfets concernés de "requérir toute personne nécessaire" sur un territoire délimité, en utilisant l'article L2215-1 du code général des collectivités territoriales.
Source : Qu'est-ce que le droit de grève ? (Vie-publique.fr, dernière modification le 30 octobre 2023)
Le site officiel de l'administration française, Service-Public.fr, met en ligne des fiches thématiques sur le droit de grève du secteur privé et du secteur public :
Droit de grève dans la fonction publique : certaines règles sont communes aux trois fonctions publiques.
Notons également que les grèves de solidarité, pour lesquelles les salariés ne présentent pas de revendications personnelles mais agissent pour soutenir d’autres salariés de l’entreprise ou des travailleurs étrangers à celle-ci, sont licites dès lors qu’elles ont pour but de défendre des intérêts professionnels et collectifs du personnel.
Ainsi, lorsque des salariés déclenchent une grève de solidarité pour protester contre le licenciement d’un collègue, les tribunaux examinent la cause du licenciement. Si le licenciement est justifié (refus du travail, injure…), les juges estiment que l’intérêt de l’ensemble du personnel n’est pas mis en cause. En revanche, face à un licenciement abusif, discriminatoire ou si le salarié a été licencié pour un fait qui concerne également les autres membres du personnel (soutien de salariés licenciés pour avoir prolongé leur congé au-delà de la date fixée par l’employeur, la suppression du fractionnement des congés ayant été revendiqué en vain par le personnel, par exemple), les juges considèrent que les grévistes ont agi dans l’intérêt collectif. La grève de solidarité dépassant le cadre de l’entreprise est également licite lorsqu’elle a pour but de défendre des droits communs à une branche professionnelle ou à l’ensemble des salariés.
Source : À quelles conditions la grève est-elle autorisée ? La défense des salariés (Institut du salarié, 8 avril 2020)
En résumé, pour que la grève soit licite, les tribunaux exigent qu’elle soit exercée en vue de satisfaire des revendications d’ordre strictement professionnel présentées à l’employeur (demande d’augmentation de salaire, de paiement de primes ou des heures supplémentaires, revendications concernant les conditions de travail, les droits syndicaux ou encore réaction face à une annonce de compression d’effectifs). La grève purement politique, qui consiste à protester contre une décision de la puissance publique (décision de justice, administrative, militaire ou gouvernementale, par exemple) constitue un mouvement illicite. La Cour de cassation admet cependant « les grèves mixtes », c’est-à-dire celles qui consistent à protester contre les aspects économiques et sociaux de la politique de l’État ayant des conséquences directes sur le terrain professionnel, les conditions de salaires ou l’emploi. Ce fut par exemple le cas des grèves contre le « Plan Juppé » de réforme des retraites en 1995 (Cass. soc., 15 février 2006).
Les revendications mixtes
Concernant une grève aux revendications mixtes (professionnelles et politiques), la Chambre sociale de la Cour de cassation, selon son arrêt du 10 mars 1961, considère qu'elle est licite seulement si les revendications politiques sont accessoires ; de son côté, la Chambre criminelle considère qu'elle est licite si elle contient, notamment, des revendications précises de nature professionnelle ou sociale (arrêt du 23 octobre 1969). [...]
Par un arrêt du 15 février 2006, la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que le soutien d'un mot d'ordre national visant la défense des retraites était bien une revendication à caractère professionnel, et donc licite.
Source : Droit de grève en France (Wikipédia)
Jean-Emmanuel Ray (professeur à l'école de droit de Paris-I-Panthéon-Sorbonne) dans sa chronique La grève pour le climat est-elle licite ? publiée dans le journal Le Monde le 16 octobre 2019, précise les conditions d’acceptabilité du droit de grève face aux bouleversements et à l’urgence climatique.
En France, « l’exercice normal du droit de grève » exige l’existence de revendications professionnelles. De nature politique, un mouvement exclusivement fondé sur le changement climatique n’est donc pas licite ; à moins que ses organisateurs y ajoutent des revendications sociales sur la qualité de vie au travail, le télétravail… Sinon, il s’agit d’un « mouvement illicite » susceptible d’entraîner pour ses participants les mêmes sanctions disciplinaires que pour un salarié absent sans motif dans les mêmes conditions, avec un éventuel licenciement en cas de récidive.
Seule exception : la très politique grève du 24 avril 1961 à la suite du putsch des généraux à Alger. Dans son arrêt du 16 juin 1963, la Cour de cassation n’avait pas évoqué le terme « grève », mais un « arrêt général de travail organisé par toutes les organisations syndicales en réponse à un appel du chef de l’État pour protester contre le mouvement insurrectionnel d’Alger ». Puisqu’il s’agissait d’un mouvement de civisme, l’employeur ne pouvait pas sanctionner un participant à cet « arrêt général » en forme de mobilisation des citoyens.
Cette « illicéité » de principe est la même dans la plupart des pays du monde, car la grève est un « conflit d’intérêts » qui oppose les syndicats au « partenaire social adéquat » : l’employeur susceptible de négocier leurs revendications. Alors une grève mondiale pour le climat…
Sans parler du fréquent « devoir de paix », lié à la signature d’un accord collectif, aux États-Unis, au Canada ou en Allemagne. Pendant toute sa durée, les syndicats ne peuvent valablement déclencher une grève : s’ils le font tout de même, l’employeur pourra les assigner en responsabilité contractuelle. [...]
Dans nos sociétés qui font la part belle à la réputation, l’entreprise médiatisée licenciant ainsi un collaborateur aurait sans doute judiciairement raison, mais médiatiquement tort. Au-delà de ce risque d’image, des employeurs préfèrent donc fermer les yeux sur cette dynamique collective et consensuelle. Certains encouragent même leurs salariés à y participer, s’engageant à ne prendre aucune sanction, à accorder un jour de congé, ou à payer intégralement le salaire du jour non travaillé. Mais si elle se reproduit régulièrement… [...]
Source : La grève pour le climat est-elle licite ? (Le journal Le Monde, le 16 octobre 2019) > article à lire en intégralité avec Europresse, site de presse en ligne accessible depuis la BmL.
Ressources web
Dossiers et actualités sur le droit de grève sur le portail juridique Net Iris spécialisé dans l'édition en ligne d'informations juridiques de qualité professionnelle à destination des actifs intéressés par le droit français.
Droit de grève et liberté syndicale dans la jurisprudence constitutionnelle : des libertés « particulières » ? par Laurence GAY - Chargée de recherches au CNRS, UMR 7318 DICE, Aix-Marseille Université, Institut Louis Favoreu-GERJC (sur le site Conseil Constitutionnel)
Articles de presse (disponible en intégralité sur Europresse)
- Questions-réponses sur la grève (Liaisons sociales Quotidien, no. 228, Conflits Collectifs, lundi 16 décembre 2024)
"Dans un contexte économique peu porteur et sur fond d’austérité budgétaire pour 2025, les appels à la grève se multiplient en cette fin d’année. Aucune structure n’est à l’abri d’un conflit collectif, et ce, particulièrement dans un contexte inflationniste. C’est pourquoi il est important pour les employeurs de savoir comment réagir et, pour les syndicats et salariés, de connaître les limites à ne pas dépasser. Le point dans ce dossier".
- Droit de grève, réquisition de travailleurs grévistes et droit pénal (Jurisprudence sociale Lamy, no. 552, Tribune, vendredi 18 novembre 2022) par Rodolphe Mesa, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles, Université du Littoral-Côte d’Opale. "Bien que l’exercice du droit de grève ne fasse pas l’objet d’une protection pénale autonome, certains abus commis à son encontre ou à son occasion sont susceptibles d’être constitutifs d’infractions. Ces infractions posent la question de leur justification, notamment par le jeu de l’état de nécessité, ou de leur paralysie inhérente à l’illégalité de l’acte administratif qui participe de leur élément légal".
- Les juges souvent plus favorables aux grévistes (L'Opinion, lundi 6 mars 2023) par Joël Grangé. "Alors que la contestation sur la réforme des retraites présentée par le gouvernement avance, les organisations syndicales invitent les salariés ou les agents à recourir à la grève et envisagent différentes formes de mouvement. C'est l'occasion de rappeler que le droit de grève est un droit constitutionnel. L'article 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 le proclame par la formule: « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». En dehors des services publics, le législateur n'est pas beaucoup intervenu, si ce n'est pour interdire à l'employeur de remplacer les salariés grévistes par des salariés temporaires".
Indulgence. La grève, bien que licite, peut être abusive. Cet abus est caractérisé dès lors que la grève entraîne la désorganisation de l'entreprise. Mais l'abus du droit de grève est quant à lui de plus en plus rarement retenu. Les tribunaux sont très restrictifs sur la notion de désorganisation de l'entreprise : il faudrait une véritable mise en péril, manifeste et anormale, de l'existence de l'entreprise. Il n'y a pas abus du droit de grève lorsque la perturbation n'est que la conséquence normale de la limitation de la durée du travail. Une perte importante et anormale de production provoquée par des arrêts de courtes durées ne rend pas pour autant la grève abusive. Pourtant, cette distinction opérée entre désorganisation de l'entreprise et celle de la production apparaît artificielle, la survie de l'entreprise étant incontestablement liée au maintien de sa production.
- Faire grève est-ce prendre les autres en otages ? (La Croix, no. 41604, Mag, samedi 11 janvier 2020) par Marine Godelier
- Droit de grève : définition et Code du travail (Droit-finances (site web), lundi 16 mai 2022) par Matthieu Blanc
Documents issus des collections de la BmL
Grèves générales [Revue] / [directrice de la publication Stéphanie Chevrier] Éditeur : Paris : La Découverte, DL 2020
"Un numéro consacré à l'évolution du répertoire d'action de la grève au début du XXIe siècle. Les contributeurs explorent le sens du recours à la grève par les mouvements écologistes ou féministes, mettant l'accent sur l'importance vitale des communs et du travail domestique. ©Electre 2020"
Eloge de la grève [Livre] / Léonard Vincent, 2020
"Une célébration de toutes les désobéissances, couronnées de succès ou dérisoires. ©Electre 2020"
Droit du travail, relations collectives [Livre] / Bernard Teyssié, 2020
"Définition complète et structurée du droit des relations collectives du travail. Apportant des solutions pratiques, ce manuel s'intéresse à l'organisation, la composition, les moyens et les missions des différents organes relatifs à la représentation, à la négociation et aux conflits collectifs. A jour des dernières réformes en droit du travail. (c) Electre 2020"
Ma fibre syndicale [Livre] : France Télécom, aux origines de la crise / Benoît Martin, 2023
"Ancien secrétaire de la section CGT des cadres de télécommunication de Paris, l'auteur livre ses réflexions sur l'évolution du syndicalisme en France. Il analyse l'éclatement syndical amplifié par la mutation salariale, le rôle de la grève, les effets du sectarisme syndical, la descente aux enfers de France Telecom et fait un retour sur sa propre expérience. ©Electre 2023"
Documents sur la justice sociale
Enfin, n'étant pas juristes mais bibliothécaires, nous vous recommandons de contacter un professionnel dans le cadre des consultations juridiques gratuites, si vous le nécessitez.
Bonne journée,