Question d'origine :
"À l'époque médiévale, les élèves et les intellectuels étaient rattachés et soumis à l'église et dotés de droits (jura)" (Histoire religieuse de l'occident médiéval, Jean Chélini, Hachette Pluriel,1993, P446). À quoi correspondait le statut de Jura ?
Merci de votre réponse, et bon courage.
Réponse du Guichet

Le mot latin « jura » qui signifie ici « serment » corresponds au fait que les maîtres et les étudiants des universités médiévales font partie d'une communauté jurée puisque ce sont des clercs : ils ont donc prêté serment à l'Eglise.
Bonjour,
Votre question vise à s’interroger sur les universités au Moyen-Âge ainsi qu’au statut de ses enseignants et de ses élèves. Comme le souligne l’historien Jean Chélini dans son livre : Histoire religieuse de l'Occident médiéval : nouvelle bibliographie, la création des universités au XIIIème siècle marque un véritable tournant dans l’histoire religieuse de la période. L’établissement des universités dans de grandes villes telles qu’Oxford, Bologne ou Paris a un grand impact sur les ecclésiastiques puisque ce ne sont plus eux qui assument entièrement la charge de l’éducation des clercs mais également des aristocrates qui souhaitaient obtenir un enseignement élémentaire.
Avant ce changement, ce sont les écoles monastiques qui forment en majorité les moines et les enfants des classes sociales les plus hautes mais cela change au XIème siècle avec la diffusion de la règle de Saint Benoît et l’établissement de l’ordre de Cluny. Ces écoles sont dès lors réservées aux clercs uniquement. Parallèlement, les écoles épiscopales (qui sont sous l’autorité des évêques) se chargent alors de former clercs et laïcs. Face à une demande scolaire grandissante au XIIème siècle, ces écoles se voient dans l’obligation de faire appel à des maîtres pour les assister dans l’éducation des élèves. Ces maîtres doivent posséder une licence, la « licentia docendi » (qui signifie littéralement « autorisation d’enseigner ») qui permettait à toute personne qualifiée de pouvoir enseigner. D’abord payante, la délivrance de cette permission est rendue gratuite à toute personne désignée capable par le pape Alexandre III au troisième concile de Latran, en 1179. Cette décision, qui a pour but de réaffirmer l’autorité pontificale et son monopole sur l’éducation au détriment des autorités locales, a des conséquences majeures puisqu’elle pose les fondements qui permettent la création des universités : l’enseignement n’est plus réservé aux ecclésiastiques. Grâce à la licentia docendi, de nombreuses écoles voient le jour puisque le métier d’enseignant est devenu une profession à part entière.
A l’origine des universités, on trouve le désir des maîtres et étudiants d’acquérir plus d’autonomie dans leurs enseignements par rapport aux écoles traditionnelles. C’est pourquoi, certains souverains, désireux de dépasser l’autorité du pape, prirent sous leur protection ces corporations étudiantes pour les établir en une véritable institution à part entière. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’est fondée l’université de Paris en 1200 : Philippe Auguste reconnaît que les maîtres et étudiants ne dépendent plus du prévôt de Paris et donc en ce sens, l’université comme une institution juridique propre. Si le roi soutient ce projet, l’université reste néanmoins, sous l’autorité de l’Eglise. Dès lors, on comprend que l’université a un statut particulier et nouveau. L’université jouit alors d’une grande autonomie : sous juridiction ecclésiastique, elle échappe à l’autorité religieuse ordinaire et l’autorité royale. De même, elle gère de manière autonome son organisation, son fonctionnement, la délivrance des diplômes et obtient donc le droit de grève, par exemple, comme le montre la grève de l’université de Paris en 1229 qui donne lieu à l’établissement en 1231 de la bulle papale Parens scientiarum (qu'on peut traduire du latin en « mère des sciences », désignant alors l'université de Paris). Cet acte confirme l’autonomie de l’université et scelle son statut particulier.
D’ailleurs et pour répondre à votre question, les maîtres et les étudiants sont des clercs : ils font partie du clergé séculier. On les distingue, d’ailleurs, par leur tonsure et la robe. Comme le mentionne le livre de Jean Chélini, ce statut leur permet d’avoir des droits (jura) et des privilèges (libertates) (ce que Jean Chélini appelle « franchises »). Le mot latin « jura » qui signifie ici « serment » évoque le fait que les enseignants et les étudiants sont à l’origine une corporation (« l’Association des maîtres et des étudiants de Paris » qu’on nomme ensuite « Universitas magistrorum et scholarium Parisiensium », d’où est issu le nom université). Ils font donc partie d’une communauté jurée, c’est-à-dire ici dans ce cas, qu’ils ont prêté serment à l’Eglise contrairement à d’autres corporations et communautés qui sont dites « réglées » et qui doivent respecter les règles du roi et du royaume. Cette distinction rappelle que les enseignants et étudiants ne dépendent pas du pouvoir temporel local mais bien du pouvoir spirituel de l’Eglise. De fait, des droits leur sont accordés comme le privilège de for qui fait que les individus dépendent de la justice ecclésiastique et non de la justice royale, comme Philippe Auguste le reconnut. Ils sont également exemptés du devoir militaire et de l’impôt.
Ainsi, les maîtres et les étudiants des universités ont comme celles-ci un statut particulier : s’ils sont soumis à l’Eglise et en possèdent les droits et privilèges, ils n’ont pas l’obligation de devenir prêtre. Ils peuvent faire le choix d’une vie laïque une fois leur éducation complétée et même se marier, contrairement au clergé.
De fait, les universités et les universitaires possèdent une grande autonomie notamment l’université de Paris qui a pu servir de modèle à d’autres universités postérieures telles que Naples ou Rome. C’est d’ailleurs cette autonomie qui garantit son succès et son rayonnement partout en Europe et ce jusqu’au XVème siècle.
Pour l’anecdote, grâce à son statut spécifique, l’université possédait une franchise universitaire qui lui permettait à ce qu’aucune force de l’ordre ne puisse entrer dans l’université sans l’autorisation de l’évêque. Ce statut a perduré et existe toujours : seul le président de l’université peut autoriser les forces de l’ordre à entrer dans son université même si les débordements depuis les années 2020 tendent à montrer le non-respect de cette franchise par les institutions policières.
Voici quelques recommandations pour approfondir le sujet :
- Les universités au Moyen Âge de Jacques Verger, Presses universitaires de France, 1999.
- L'honneur des universitaires au Moyen Age : étude d'imaginaire social d'Antoine Destemberg, Presses universitaires de France, 2015.
- Les intellectuels au Moyen Âge de Jacques Le Goff, éditions du Seuil collection Points, 1985.
- L'enseignement au Moyen Âge de Pierre Riché, CNRS éditions, 2016.
- Histoire de l'enseignement et de l'éducation. Tome 01 : des origines à la Renaissance (Ve av. J.-C.-XVe siècle) de Michel Rouche, éditions Perrin, 2003.
- Système éducatif et cultures : dans l'Occident médiéval (XIIe-XVe siècle) de Danièle Alexandre-Bidon et Marie-Thérèse Lorcin, éditions Ophrys, 1998.
- Culture et société dans l'Occident médiéval d'Hervé Martin et Bernard Merdrignac, éditions Ophrys, 1999.
En vous souhaitant d'agréables lectures ! :)
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