Notre système de protection sociale est-il amené à disparaître ?
Question d'origine :
Le système exceptionnel de droits sociaux français comme les allocations, les aides etc va-t-il pouvoir durer ou est-il condamné à disparaître dans ce monde de plus en plus dur?
Réponse du Guichet

Face aux défis lancés entre autres par les effets de la conjoncture démographique et économique, notre système de protection sociale doit nécessairement s'adapter pour se maintenir.
Bonjour,
Nous supposons que vous souhaitez aborder l'avenir de la protection sociale dans son ensemble. Un petit point tout d'abord sur ce que recoupe cette notion de "protection sociale" aujourd'hui :
La protection sociale est organisée selon quatre niveaux :
la Sécurité sociale fournit la couverture de base des différents risques sociaux et se compose de régimes qui regroupent les assurés selon leur activité professionnelle ;
les régimes complémentaires peuvent fournir une couverture supplémentaire. Certains sont obligatoires, d'autres facultatifs ;
l'Unédic gère le régime d'assurance chômage ;
l'aide sociale gérée par l'État et les départements.
source : Vie publique
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter cette précédente réponse : Quelle est la différence entre la protection Sociale et la Sécurité sociale ?
Cette protection sociale est assurée par l’État providence qui désigne :
au sens large, l’ensemble des interventions économiques et sociales de l’État ;
dans un sens plus restreint, uniquement l’intervention de l’État dans le domaine social, qui vise à assurer un niveau minimal de bien-être à la population, en particulier à travers le système de protection sociale.
source : Vie publique
Voir aussi l'article sur les Systèmes bismarckien et beveridgien d'État-providence pour en savoir plus.
Cet Etat providence est entré dans une crise depuis les années 1970. Quelles ont été les mesures prises par l’État français pour y faire face ?
La France a mis en œuvre les mesures suivantes.
Maîtrise des dépenses sociales :
en réduisant le niveau des prestations servies. Par exemple, le moindre remboursement de médicaments dont l’effet thérapeutique est faible ;
en durcissant les critères d’éligibilité. Par exemple, la hausse du nombre de trimestres cotisés pour bénéficier d’une retraite à taux plein ;
en augmentant le reste à charge des assurés, avec l’instauration des franchises sur les médicaments en particulier.
Baisse du coût du travail pour les entreprises :
en transférant des cotisations vers les impôts une partie du financement (création de la contribution sociale généralisée ou CSG en 1990) ;
en exonérant les salaires les plus bas de tout ou partie des cotisations patronales. Par exemple, en France, les différentes mesures de réduction progressive des cotisations patronales pour les salariés dont la rémunération est inférieure à 1,6 Smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance).
Gestion de l'État-providence :
en décentralisant les compétences, ainsi en confiant aux départements des prérogatives en matière de dépendance (gestion de l’allocation personnalisée d’autonomie – APA) ou de gestion de minima sociaux tels que le revenu de solidarité active (RSA) ;
en introduisant, au sein des organismes de protection sociale, des méthodes de gestion et de management issues du secteur privé. Par exemple, la France a généralisé à partir de 1996 les conventions d’objectifs et de gestion (COG) conclues entre l'État et les organismes de Sécurité sociale. Les COG se déclinent dans les caisses locales par le biais des contrats pluriannuels de gestion (CPG) ;
en développant le contrôle, l’évaluation et l’orientation des politiques publiques. L’instauration, en 1996, d’une loi de financement de la Sécurité sociale en est une illustration. Fixant son cadre budgétaire, elle permet à la représentation nationale de débattre sur les orientations financières et le contenu des politiques publiques de sécurité sociale.
Prestations de l'État-providence :
en ciblant les prestations destinées aux populations les plus démunies. En France, par exemple, les minima sociaux sont accordés sous conditions de ressources ;
en mettant en place des politiques d’activation des aides sociales. Ainsi, en France, le RSA s’inscrit dans une logique d’aide qui doit permettre aux bénéficiaires de revenir vers l’emploi en leur garantissant un niveau de revenus lorsqu’ils exercent une activité professionnelle.
source : Qu'est-ce que la crise de l'État-providence ? / Vie publique
Ces mesures sont-elles efficaces et suffisantes ?
Une chose est certaine, vous n'êtes pas le seul à être inquiet à propos de l'avenir de la protection sociale et de l’État providence en France. Beaucoup s'interrogent sur sa viabilité et émettent des doutes.
D'après une enquête Ipsos - ESI École d'ingénieurs pour le Groupe VYV et la Fondation Jean Jaurès, "88% des Français pensent que la Sécurité Sociale ne pourra plus se financer correctement dans le futur, et 86 % anticipent des déremboursements croissants."
Lire aussi ce résumé de la Fondation Jean Jaurès.
Il est vrai que face aux bouleversements sociodémographiques, à la transformation du marché du travail, à la baisse de la croissance économique, au changement climatique, etc., notre système de protection sociale est mis à rude épreuve.
Un article de Forbes Future of World | Quel avenir pour la protection sociale ? expose bien l'ensemble des problèmes actuels :
Comment adapter un modèle pensé au XXe siècle, dans une Europe en pleine croissance démographique et économique, aux réalités du XXIe, marqué par le vieillissement, la robotisation et l’explosion des modèles de travail non-salariés ?
Les systèmes de protection sociale européens – et singulièrement français – trouvent leurs racines dans l’immédiat après-guerre. En France, la mise en place de la Sécurité sociale en 1945 traduit cette aspiration à garantir à tous les citoyens un socle commun de protection face aux aléas de la vie : maladie, vieillesse, chômage. Le modèle repose sur une forte solidarité intergénérationnelle, rendue possible par une démographie favorable, avec un ratio travailleurs/retraités particulièrement haut. [...]
Or, ce modèle, adapté aux conditions démographiques et économiques d’après-guerre, était bâti sur un présupposé de croissance continue, d’emplois stables et d’une pyramide des âges relativement favorable. Le choc pétrolier de 1973, suivi de plusieurs décennies de croissance ralentie, a progressivement érodé les fondements de ce paradigme. Aujourd’hui, à l’heure où le vieillissement démographique s’accélère – Eurostat prédit qu’en 2050, près de 30% de la population de l’UE aura plus de 65 ans – les paramètres économiques et sociaux ont radicalement changé.
Le nœud gordien : vieillissement, transformations du travail et stagnation économique
Plusieurs évolutions majeures forment aujourd’hui un nœud gordien entravant la pérennité des systèmes de protection sociale européens.
Le premier, et sans doute le plus évident, est le vieillissement de la population. En France, la part des plus de 65 ans est passée de 16,3% en 2000 à 20,1% en 2020, et devrait atteindre près de 28% d’ici 2050. Ce phénomène, largement partagé par les pays de l’Union européenne, exerce une pression considérable sur les retraites, la santé et les soins de longue durée, alors que la proportion d’actifs en mesure de financer ces prestations diminue.
Deuxième transformation majeure, l’évolution des modes de travail. La fin du salariat à vie, la montée en puissance des travailleurs indépendants, freelances, auto-entrepreneurs, « slashers » (cumulant plusieurs micro-activités) et autres acteurs de la gig economy, redessine le paysage professionnel. Selon Eurostat, la part de travailleurs indépendants dans l’UE-27 oscillait autour de 14% en 2010 et se maintient autour de 13-14% en 2020, mais cette apparente stabilité masque une transformation qualitative profonde : l’émergence de micro-entrepreneurs numériques, de plateformes telles qu’Uber ou Deliveroo, et la volatilité des statuts. En France, le nombre de micro-entrepreneurs est passé d’environ 700 000 en 2009 à plus de 2,1 millions en 2021. Cette mutation remet en cause le principe même sur lequel reposait la Sécurité sociale : un financement largement basé sur des cotisations salariales prélevées sur un emploi stable et à temps plein.
Le troisième élément est la baisse tendancielle de la croissance économique en Europe. Depuis les années 1980, l’UE peine à renouer avec des taux de croissance proches de ceux de l’après-guerre. L’OCDE souligne qu’entre 1995 et 2019, la zone euro a connu une croissance moyenne annuelle du PIB d’environ 1,5% à 2%, loin des performances des Trente Glorieuses. Avec une croissance faible, le gâteau fiscal se réduit, complexifiant d’autant plus le financement d’un système déjà éprouvé.
Face à ces contraintes, certains pays envisagent des pistes de financement alternatives, mais se heurtent à une forte résistance lorsqu’il s’agit d’introduire une part de privatisation ou de capitalisation. On comprend dès lors l’ampleur du défi : comment maintenir un haut niveau de protection sociale quand les ressources se tarissent et que les besoins explosent ?
Égalité versus équité : faut-il repenser l’universalité ?
Au-delà des problèmes de financement, se pose une question plus philosophique, voire idéologique : les systèmes de protection sociale doivent-ils être strictement universels et couvrants, sans conditions de ressources, y compris pour les classes aisées ? C’est une interrogation qui commence à émerger, et qui s’est déjà posée, à mots couverts, lors des récentes réformes de l’assurance chômage.
[...]
Enfin, la question de l’adaptation de ces systèmes au XXIe siècle est cruciale. Les mutations technologiques s’accélèrent, et l’intelligence artificielle, la robotisation ou la digitalisation des process manufacturiers et de services transforment profondément le marché du travail. L’Europe ne fera pas exception. Cette volatilité croissante des emplois et des compétences remet en cause le principe d’un système de protection sociale basé sur la stabilité et la cotisation salariale.
De même, la transition écologique et énergétique, ainsi que la raréfaction de certains emplois industriels, imposent une redéfinition du contrat social. Le système actuel, pensé à une époque où la carrière à vie dans la même entreprise était la norme, peine à intégrer ces nouvelles réalités. Les périodes de formation, de transition, de reconversion, se multiplient, et exigent un système plus flexible, adapté aux carrières protéiformes et discontinues.
L’émergence d’un nouveau régime social, plus agile, pourrait impliquer un renversement des logiques traditionnelles, telles que l’introduction d’un revenu universel de base, expérimenté à petite échelle dans certains pays nordiques, comme la Finlande, ou encore une augmentation massive de la formation continue financée par l’État et les entreprises. Ces pistes restent toutefois controversées et difficiles à mettre en œuvre à grande échelle sans un consensus politique fort.
Notre système de protection sociale n'est pas nécessairement condamné à disparaître, mais il est certain qu'il doit évoluer pour faire face à ces défis. Nous ne pouvons pas prédire l'avenir et vous dire si les aides sociales actuelles seront maintenues à l'avenir. Des réformes significatives sont en tous cas indispensables.
Quelques pistes de solutions ont été proposées par Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po. Vous pouvez consulter cette conférence : POLITEIA#20 | Quel avenir pour notre protection sociale ? et consulter ces documents :
- Refonder le système de protection sociale : Pour une nouvelle génération de droits sociaux / Bernard Gazier, Bruno Palier, Hélène Périvier - un article de Laurie Chambon présente cet ouvrage.
- Quel avenir pour la protection sociale ? / Bruno Palier, Dominique Argoud, Philippe Batifoulier... [et al.] ; /éditorial Olivia Montel, 2014 - La Documentation française - N° 381 Juillet - août 2014
- Réformer le système de protection sociale français : Les femmes, les jeunes et les enfants d’abord ?, un article daté du 19.06.2023 dans lequel il répond à la question suivante :
Selon vous, quelle stratégie devrait être mise en place pour assurer l’efficacité et la pérennité de notre système de protection sociale ?
Nous proposons de mettre progressivement en place une stratégie de la qualité pour tous. Cette stratégie propose d’organiser une montée collective en qualité de l’économie et de la société française, qui ne soit pas tirée par quelques champions nationaux, mais qui soit portée par les services indispensables à tous (soins aux autres, éducation, santé…) : les services d’investissement social qui seraient garantis à tous. Sur ce socle commun, inclusif, il est possible de construire une nouvelle économie de la qualité, qui ait pour objectif non pas une croissance quantitative, destructrice de l’environnement, mais le bien-être qualitatif de toutes et tous.
Permettre à tous d’accéder aux qualifications et lutter contre la reproduction des inégalités suppose l’accès de tous aux crèches, l’école de la réussite pour tous, un soutien inconditionnel aux jeunes, une politique de conciliation qui ne retire pas les femmes du marché du travail, une politique de formation pour tous, y compris les adultes et notamment les moins formés. Cela nécessite aussi de s’attaquer aux causes des inégalités en France, y compris le culte du « libre choix », le familialisme de nos politiques sociales, l’élitisme scolaire ou bien encore la contributivité de notre protection sociale. Cela nécessite aussi de changer d’instruments de politiques publiques, c’est-à-dire de ne plus tout faire reposer sur les incitations ou exemptions fiscales, et de développer des services universels. Il faut enfin remettre en cause les soi-disant inégalités de productivité des différentes activités de service pour valoriser l’utilité collective des services aux autres.
Vous trouverez les recommandations du MEDEF pour assurer la pérennité de notre système de prestations sociales sur le site du Think tank CRAPS :
Compte-tenu du mur démographique qui est devant nous, nous devons réfléchir à une approche stratégique de long terme et non des mesures au coup par coup.
Prenons l’exemple de la santé. Nous plaidons pour une loi de programmation pluriannuelle en santé qui fixe des priorités et donne de la visibilité aux acteurs, privés comme publics, leur permettant également d’investir.
Il est possible de réduire fortement les dépenses, non par des mesures couperets qui mettent en péril la viabilité économique des acteurs de la santé, mais en s’appuyant sur les multiples leviers d’efficience existants, ce qui contribuerait à rendre plus efficace la réponse apportée à nos concitoyens : accélération du virage ambulatoire, hospitalisations et réhospitalisations évitables et actes redondants, incitation à des prescriptions médicamenteuses raisonnées, accélération de l’usage du numérique et du Dossier Médical Partagé, pertinence des actes et des parcours, meilleur financement de l’innovation… nous ferons prochainement des propositions en ce sens, avec l’ensemble des acteurs privés de santé.
L’investissement dans le virage préventif est évidemment au cœur de ces leviers d’efficience et les organismes complémentaires pourraient jouer un rôle majeur en la matière, mais cela suppose qu’ils puissent sortir d’un rôle qui aujourd’hui s’apparente à celui de financeur aveugle et invisible.
La question du vieillissement de la population, de la dépendance, de la prise en charge du grand âge, de la baisse du nombre d’aidants familiaux, qui eux aussi vieillissent, tout ceci montre qu’il faut se pencher sérieusement sur l’avenir de notre modèle de Protection sociale. Dans le cadre de la concertation sur les retraites, qui était annoncée par la Ministre du travail et de l’Emploi avec les partenaires sociaux, le MEDEF souhaite, quand elle aura lieu, que soit mise sur la table la question d’une dose de capitalisation afin de trouver des solutions pérennes à la baisse prévisible du taux de remplacement des pensions avec des solutions d’épargne qui peuvent par ailleurs stimuler la croissance en favorisant l’investissement dans l’économie productive.
source : « Il faut se pencher sérieusement sur l’avenir de notre modèle de Protection sociale » / Patrick Martin, président du MEDEF
Bibliographie :
- Pour l'État social-écologique : le bel avenir de l'État-providence / Éloi Laurent, 2024
- Grandeur et misère de l'État social / Alain Supiot, 2025
- Refonder notre système de santé : 4 inspirations danoises / CRAPS
- Faut-il aider les autres ? Repenser la solidarité pour la renouveler / Marc Lévy, 2023
- Repenser les fondements de la protection sociale en France / Philippe Trainar - Le cercle des économistes - 1er avril 2022
Quelques podcasts :
- Pourquoi les États-providence sont-ils en crise ? / 9 chroniques sur France Culture
- Préparer le concours des Sciences Po 2025 : les solidarités : une sélection de podcasts Radiofrance
- Pourquoi (et par quoi ?) veut-on remplacer notre État-providence ? / Le Pourquoi du comment : économie et social - France Culture
Bonne journée.