Est-il vrai qu'Hausmann aurait copié le Préfet Vaïsse à Lyon pour transformer Paris ?
Question d'origine :
Bonjour,
Des amis m'ont dit qu'Hausmann en transformant Paris, aurait copié le travail du Préfet Vaïsse à Lyon. Qu'ils auraient d'ailleurs tous deux été en compétition pour le chantier parisien.
N'ayant rien trouvé allant dans ce sens en ligne, je m'interroge. Est-ce vrai ?
Réponse du Guichet

Concours de circonstances et choix politique délibéré, les nominations des préfets Haussmann et Vaïsse à Paris et Lyon, ainsi que les travaux réalisés dans ces deux villes ne semblent pas avoir été un enjeu entre les deux hommes.
Bonjour,
Nous avons trouvé des réponses à vos interrogations en compulsant plusieurs ouvrages. Nous avons choisi de les reproduire ici, car ils vous donneront l’exact reflet des raisons des nominations, par l’Empereur et son ministre Victor de Persigny, de Haussmann et Vaïsse en tant qu’administrateurs de la Seine et du Rhône.
Émile Ollivier (1825-1913), préfet, député du second Empire, et chef de gouvernement de l’Empereur en 1870, a écrit une somme intitulée l’Empire libéral, en 18 volumes. Il évoque Haussmann et Vaïsse en pages 86 et 87 du volume numéro 3. Voici l’extrait de cet ouvrage :
« Haussmann avait l’air impudent d’un laquais de bonne maison, il étalait sa personnalité avec une exubérance parfois grotesque, mais il possédait les qualités d’un administrateur de premier ordre. Son inventeur, Persigny [Victor de Persigny, 1808-1872, homme politique français, proche de Louis-Napoléon Bonaparte, ministre de l’intérieur durant le second Empire, et aux commandes des grands chantiers de rénovation urbaine], en a laissé un portrait incisif et vrai auquel il n’y a rien à ajouter. « J’avais devant moi l’un des types les plus extraordinaires de notre temps. Grand, fort, vigoureux, énergique, en même temps que fin, rusé, d’un esprit fertile en ressources, cet homme audacieux ne craignait de se montrer tel qu’il était. Avec une complaisance visible pour sa propre personne, il m’exposait les hauts faits de sa carrière administrative, ne me faisant grâce de rien; il aurait parlé six heures sans s’arrêter, pourvu que ce fût de son sujet favori, de lui-même. […] Là où le gentilhomme de l’esprit le plus élevé, le plus habile, du caractère le plus droit, le plus noble, échouerait infailliblement, ce vigoureux athlète, à l’échine robuste, à l’encolure grossière, plein d’audace et d’habileté, capable d’opposer des expédients aux expédients, des embûches aux embûches, réussira certainement. Je jouissais d’avance à l’idée de jeter cet animal de race féline à grande taille au milieu de la troupe des renards et de loups ameutée contre toutes les aspirations généreuses de l’Empire. […].»
Grâce à ces précieuses qualités, Haussmann fut nommé Préfet de la Seine le 23 juin 1853. Quand il prit possession de son poste, le plan général des travaux de Paris avait été arrêté par l’Empereur et les moyens financiers imaginés par Persigny. Il n’est donc pas juste d’attribuer à Haussmann seul la gloire d’une entreprise qui, après avoir été presque universellement critiquée, est aujourd’hui universellement louée. Il n’en reste pas moins digne d’admiration par l’intelligence ferme et rapide, par l’activité obstinée, par l’habileté violente et rusée, par l’entrain, par l’intégrité courageuse sans lesquels une œuvre aussi persévéramment entravée n’eût pu être menée à bout.
A Lyon la tâche fut confiée à Vaïsse, administrateur des plus distingués, qui, par des qualités opposées, la mesure, le tact, la bonne grâce, la modestie, obtint le même succès.»
Les nominations des deux préfets Haussmann et Vaïsse sont également mentionnées dans l’ouvrage que Michel Carmona consacre au Baron Haussmann :
" Le 20 février [1853], Haussmann est convoqué à Paris par Persigny. Napoléon III, en reconnaissance des services éminents rendus par Georges-Eugène [Haussmann] dans ses différents postes et tout particulièrement à Bordeaux, pense lui offrir une promotion flatteuse. Il projette de la faire entrer au Conseil d’État, pour le nommer, comme conseiller d’État en service extraordinaire, préfet du Rhône-maire de Lyon, directeur de la police pour le Rhône […]. Mais Haussmann refuse. Il préfèrerait terminer sa carrière à la Préfecture de la Gironde, où il est fort occupé par deux projets qui lui tiennent à cœur, le rattachement de la commune de La Bastide au territoire communal de Bordeaux, et la réalisation d’un boulevard circulaire autour de la ville. […] L’empereur comprend ses raisons, accède à la requête de Haussmann, et nomme l’ancien ministre de l’Intérieur Vaïsse à sa place à Lyon. […] Le 23 juin 1853 au soir d’une journée consacrée à la tournée de révision, Georges-Eugène est en train de dîner à la sous-préfecture de Bazas. Au milieu du repas, une estafette venue de Bordeaux lui apporte un pli contenant une dépêche de Persigny. Elle annonce à Haussmann sa nomination comme préfet de la Seine et lui ordonne de gagner Paris sans retard. […] Le secret avait été bien gardé, et prend Haussmann au dépourvu."
Plus loin dans l’ouvrage, Michel Carmona s’attarde sur le cas lyonnais: « A Lyon, l’initiative revient au préfet Vaïsse, celui qui a pris en 1853 le poste refusé par Haussmann avant sa nomination à Paris. Vaïsse, qui reste en fonction jusqu’en 1864, est selon Émile Ollivier, aussi intelligent et efficace que Haussmann, mais moins brutal. »
Mais ce sont les mémoires du Duc de Persigny qui expliquent la manière dont les choix politiques et administratifs furent faits : vous trouverez ces mémoires en ligne sur le site Gallica, dans un chapitre consacré aux travaux de Paris :
« Parmi les candidats auxquels j’avais d’abord pensé pour remplacer M. Berger [préfet de la Seine de 1848 à 1853] se trouvait en première ligne M. Vaïsse, ancien ministre de l’intérieur et ancien préfet de Lille, administrateur vraiment capable, vraiment habile, et qui pouvait tout aussi bien que M. Haussmann diriger de vastes opérations en elles-mêmes. Mais combien ne me suis-je pas applaudi de lui avoir préféré M. Haussmann ! M. Vaïsse, homme du monde aux manières distinguées et réservées, jeté sur le théâtre de Paris, exposé sans défense aux intrigues de la politique, n’eût pu supporter longtemps le dégoût de pareilles luttes, et il eût bientôt abandonné la partie. Je ne me suis pas moins applaudi de la résolution que j’avais prise quelques mois auparavant à son égard. En proposant à l’Empereur de l’envoyer à Lyon avec la même mission que M. Haussmann à Paris, dans les mêmes conditions que lui, c’est-à-dire en réunissant en sa faveur, sous le titre d’administrateur du département du Rhône, les fonctions de préfet de département et de maire de Lyon, j’avais pensé que les facultés de cet esprit éminent s’exerceraient avec d’autant plus de succès qu’il serait placé plus loin du centre des intrigues, c’est-à-dire hors de la vue de ces eunuques politiques qui encombrent d’ordinaire le palais des princes et qui sont toujours si jaloux de la virilité des autres.
M. Vaïsse, depuis sa sortie du ministère, satisfait de sa situation au Conseil d’État, avait abandonné toute idée de rentrer dans l’administration. Il avait d’abord décliné ma proposition. Mais quand je lui eus fait connaître ce que l’Empereur attendait de lui, que je lui eus exposé les avantages du système financier des emprunts remboursables à longs termes, par voie d’annuités, pour se procurer un gros capital et, à l’aide de ce capital, transformer la ville et la percer en tous sens ; que le lui eus fait sentir comment, en exaltant toutes les têtes par la nouveauté du spectacle, il pourrait remuer les capitaux au fond de toutes les bourses de Lyon, et créer enfin dans cette grande cité l’activité publique, qui enfante à son tour les merveilles, son esprit droit, noble, comprit tout. Il accepta la mission avec le sentiment profond d’un service à rendre au pays, et il alla faire, loin des regards jaloux, simplement, sans bruit, sans tapage, dans la seconde ville de l’empire, ce que M. Haussmann était destiné à faire avec tant de fracas dans la capitale.
Pendant douze ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort, qui arriva en 1864, il s’appliqua à son œuvre avec une intelligence, un zèle, une activité remarquables, toujours sans faire parler de lui, mais non sans se heurter à bien des obstacles. […] Je n’avais pas vu Lyon depuis le commencement de ses travaux ; M. Vaïsse m’engageait souvent à venir les visiter. Ce fut l’année de sa mort, seulement, qu’en allant au conseil général de la Loire je pus m’arrêter à Lyon. M. Vaïsse m’en fit les honneurs. Je ne connaissais Lyon que comme une ville sale, laide, horrible malgré la beauté de sa situation. Maintenant la transformation était complète, je dois même dire plus frappante qu’à Paris ; avec ses quais entièrement refaits, ses boulevards, ses rues magnifiques, ses palais, ses hôtels, son parc, ses squares, avec cette élégance, cette richesse, cette propreté nouvelle, alliée de manière si admirable à la position pittoresque de la ville, au confluent des deux fleuves, Lyon était devenue une des plus belles villes du monde. J’en fus émerveillé, et comme je ne cessais, à chaque objet de mon étonnement, de complimenter l’habile administrateur qui avait enfanté ces merveilles, M. Vaïsse, se défendant de mes éloges, me dit du ton le plus modeste et le plus pénétré: « Mais ce n’est pas moi ; c’est vous qui en êtes l’auteur. »
Cette parole, Dieu m’est témoin que je ne la reproduis pas par vanité. […] Mais je rappelle cette noble parole comme un hommage à la mémoire de celui qui la prononça. Car ces sortes de reconnaissances sont rares dans la vie politique. C’est la seule, absolument la seule que j’aie jamais reçue pour la part prise par moi dans l’application du système financier, la mise en œuvre des travaux et le choix des hommes qui ont transformé Paris et Lyon. »
Vous l’avez compris, les deux administrateurs-préfets ont travaillé au même moment à faire évoluer l’urbanisation de la ville dont ils avaient la gestion, l’un à Lyon et l’autre à Paris. Quant à dire qu’ils étaient en compétition pour le chantier parisien, les textes ne vont pas dans ce sens. Par ailleurs, ils étaient loin d’être seuls pour cette lourde tâche d’évolution urbaine. A Paris, le projet était déjà à l’étude avant la nomination de Haussmann comme préfet de la Seine…du côté lyonnais, Vaïsse demeurera préfet jusqu’à son décès, et nous n’avons trouvé nulle mention qu’il aurait pu convoiter le poste de préfet de la Seine... Ce qui en revanche est relaté plus haut, c’est le refus début 1853 de Haussmann de prendre la préfecture du Rhône, et le choix de Napoléon III qui s’est reporté sur Claude-Marius Vaïsse...
Pour aller plus loin dans les lectures, voici plusieurs ouvrages dédiés au Baron Haussmann :
Haussmann, Michel Carmona, Paris, Fayard, 2000
Haussmann le grand, Georges Valance, Paris, Flammarion, 2009
Le Paris d'Haussmann, Patrice de Moncan, Claude Heurteux, Paris : Ed. du Mécène, 2002
Mémoires du Baron Haussmann, Baron Georges-Eugène Haussmann, Paris : Victor Havard, 1890 (3 tomes, en ligne sur Google books)
Le baron Haussmann, Georges Laronze, Paris, Alcan, 1932
Le mythe Haussmann, Pierre Pinon, Paris, Éditions B2, 2019
Nous vous souhaitons de bonnes lectures !
Réponse du Guichet

Claude-Marius Vaïsse est surnommé le "Haussmann lyonnais".
Il semble que cette idée soit davantage une légende qu'une réalité historique. Georges-Eugène Haussmann, préfet de la Seine, est choisi par Napoléon III pour mener les transformations de Paris, en raison de ses réalisations antérieures à Bordeaux et de sa vision urbanistique.
Quant à Claude-Marius Vaïsse, préfet du Rhône, il transforme effectivement Lyon avec des projets tels que la rue Impériale (aujourd'hui rue de la République), ce qui lui valut le surnom d'"Haussmann lyonnais".
Cependant, aucune preuve concrète n’a été trouvée concernant une compétition directe entre les deux hommes pour le chantier parisien.
Dans le numéro du 13 mars 1853 de L'Union : journal de l'arrondissement de La Réole, on peut lire au sujet du mouvement de fonctionnaires qui les concerne : « Le décret contenant les mouvements annoncés depuis longtemps dans le personnel des préfectures paraîtra demain au Moniteur. Il embrasse un assez grand nombre de départements, mais la Gironde n'y figure point ; elle reste confiée aux soins de M. Haussmann. Désigné tout d’abord par la haute position qu’il occupe et par la réputation hors ligne qu’il s’est acquise pour la préfecture du Rhône, que laisse vacante l’élévation de M. Bret au Sénat, M. Haussmann aurait témoigné le désir de poursuivre la direction administrative de la Gironde, et sacrifié aux affections qui l’attachent de longue date à ce département, la position supérieure qu’on lui offrait à Lyon. M. Vaïsse, ancien ministre de l’intérieur, qui, dans cette combinaison, devait remplacer M. Haussmann à Bordeaux, va prendre à Lyon la situation exceptionnelle qui est faite au préfet du Rhône, et que l’on songe à agrandir encore. »
Selon cet article, il semble que Vaïsse aurait remplacé Haussmann, pressenti à Lyon, mais qui aurait refusé le poste pour rester à Bordeaux avant d'être nommé Préfet de Paris en 1853. Ce mouvement explique peut-être l'origine de la légende.
En réalité, tout indique qu’ils participent tous deux, dès 1853, en tant que hauts fonctionnaires, au grand mouvement de rénovation urbaine entrepris sous le Second Empire, lequel concerne toutes les grandes villes françaises, avec un accent particulier mis sur l’hygiène, la circulation et l’esthétique.
Une décision impériale clé liée aux projets d'urbanisme du Second Empire fut le décret du 26 mars 1852, qui facilite les expropriations pour cause d’utilité publique. Ce décret permet aux autorités locales de réorganiser les espaces urbains. Il est notamment utilisé pour les premiers travaux de transformation de Paris sous la direction d' Haussmann. Ce décret, complété par d'autres outils juridiques, permet également à d’autres villes d’en demander l’application et d’y recourir.
De la même manière qu'Haussmann à Paris, en tant que représentant de l'Etat, le Préfet Vaïsse, à Lyon, joue un rôle central dans la coordination, la planification et l'organisation des projets urbains. A ce titre il s'entoure de l'architecte René Dardel et de l'ingénieur Benoît Poncet à qui il confie le service de voirie. Parmi les premières idées projetées, on peut citer la rue Impériale (rue de la République), la rue de l'Impératrice (rue du Pdt E.Herriot), la gare de Perrache, le Palais du commerce et le Parc de la Tête d'Or. Il ouvre ensuite la voie aux projets de la gare et du quartier Saint Paul, des quartiers de Grolée et de La Martinière, réalisés, pour certains, de nombreuses années après le décès du préfet Vaïsse, intervenu en 1864.
La modernisation de la ville et son embellissement est la motivation essentielle mais est assorti de la volonté de repousser du centre-ville la population ouvrière et de mettre ainsi un terme aux mouvements de révolte qui ont marqué Lyon depuis les années 1830. Il s'agit également de redorer le blason de la Presqu'ile alors en compétition économique avec le dynamisme émergent de quartiers situés sur la rive gauche du Rhône.
Après la chute du régime en 1870, le mérite de ces hauts fonctionnaires du Second Empire est relativisé. Dans le numéro 26 de La Gazette des Étrangers, daté du 18 février 1876, on peut lire un point de vue critique sur l’action d’Haussmann, ainsi qu’une liste partielle des villes et des responsables de leur rénovation urbaine respective : « Et si M. Haussmann n’a nullement mérité la reconnaissance spéciale du premier arrondissement, y a-t-il vraiment lieu de lui savoir un gré infini de la transformation de Paris ? Ce qu’il a fait à Paris, M. Vaïsse l’a fait à Lyon, M. de Maupas à Marseille, M. de Mentque à Bordeaux, M. Chevreau, je crois, à Lille, M. Ernest Leroy à Rouen. C’est l’Empire qui a transformé Paris. M. Haussmann n’a été qu’un agent, et il a mal dirigé les vues du pouvoir, en transformant une entreprise d’assainissement et d’embellissement en une œuvre de haine et de tyrannie. »
Voir aussi :
Lyon 1853-1859, l'ouverture de la rue Impériale [Article] , Bertin, Dominique
Urbanisme et patrimoine à Lyon [Livre] : 1850-1950 : naissance d'un musée : [exposition, Musée Gadagne, Lyon, 1998] , p. 15 à 17;
Haussmann, l'homme qui a transformé Paris - Ville de Paris
Dix années de l'administration du département du Rhône [Livre] : 1852 - 1862 / Sénateur Claude-Marius Vaisse
Georges-Eugène Haussmann - notice wikipédia
Claude-Marius Vaïsse - notice wikipédia