Question d'origine :
J'ai déjà entendu dire que toutes les bibliothèques ont des cas sociaux, est-ce vrai? Comment définir un cas social? Quelles difficultés posent le cas social? Qui sont ceux que l'on peut dire être des cas sociaux?
Réponse du Guichet

Les bibliothèques de lecture publique sont des lieux de mixité sociale qui favorisent l'inclusion et tentent de lutter contre l'exclusion. Elles aident les publics précaires et accueillent diverses populations. Des termes comme "cassos" reflètent des jugements subjectifs liés au mépris de classe, selon des sociologues. Pour aller à rebours de ces idées reçues, des initiatives comme les "bibliothèques vivantes" déconstruisent les stéréotypes et renforcent la cohésion sociale d'individus provenant d'univers sociaux différents.
Bonjour,
Les bibliothèques de lecture publique sont des lieux de mixité sociale où se rencontrent des publics variés. Ces établissements maillent le territoire national et constituent un réseau public considérable, le deuxième du pays derrière la Poste, avec plus de 15 000 lieux de lecture (Observatoire de la lecture publique - ministère de la Culture), et favorisent l'inclusion : « Elles font un travail remarquable pour prévenir et lutter contre l’exclusion dans les grandes villes, mais davantage encore dans le monde rural, les banlieues, pour l’aide aux démarches administratives, l’accueil des migrants, l’accompagnement de tous les publics que l’on dit “spécifiques” faute de savoir comment les appeler. », écrivait Érik Orsenna dans le rapport commandé par le gouvernement Macron, « Voyage au pays des bibliothèques » (février 2018). Ce sont donc des lieux ouverts qui oui peuvent attirer des personnes en situation de précarité ou rencontrant des problématiques sociales. Mais nous aurons du mal à définir à l'aide de critères objectifs ce que vous nommez un "cas social" ou sa célèbre contraction "cassos", hormis le fait qu'il soit l'expression d'un jugement de valeur, d'une mise à distance par rapport à une norme. En effet, il est essentiel de souligner que cette catégorisation est subjective et peut varier selon les contextes et les perceptions individuelles. Pour la chercheuse Polina Ukhova, l'emploi de ce mot peut se rattacher à une forme de "mépris", un sentiment dont elle explique les ressorts sociologiques :
L’acte de mépris suppose donc que le locuteur exprime un jugement sur autrui lui permettant de s’élever au-dessus ; autrement dit, il s’agit à la fois de la dévaluation de l’autre et de la valorisation de soi lors de la production de l’énoncé. Nous nous retrouvons donc dans le domaine subjectif des valeurs. De ce fait, plusieurs remarques s’imposent.
6D’abord, en parlant des jugements de valeur, la première notion à convoquer est celle de norme. Pour juger que quelque chose est bien ou mal, il faut se représenter une norme qui servirait de référence
Source : Polina Ukhova, « De l’expression du mépris au marquage d’une solidarité : l’emploi ontotypique de cassos, beauf, bolos, crevard, kéké et kikoo dans les discours spontanés entre jeunes », Lidil, 61 (2020).
Fréquemment employé dans le langage courant pour décrire une personne en grande difficulté sociale ou financière, le mot est devenu une injure courante dont la signification fluctue d'une situation à l'autre mais aussi en fonction des intentions du locuteur et de son identité. Ces documents pourraient vous aider à comprendre pourquoi son utilisation peut-être problématique :
Polina Ukhova, « De l’expression du mépris au marquage d’une solidarité : l’emploi ontotypique de cassos, beauf, bolos, crevard, kéké et kikoo dans les discours spontanés entre jeunes », Lidil, 61 (2020).
Renahy, N. et Sorignet, P.-E. Introduction. Pour une Sociologie du Mépris de Classe L'économie des Affects Au Cœur de la Domination. Sociétés contemporaines, 119, (2020).
Pour un renversement de perspective plus engagé politiquement : Qui sont les cassos ? Pour une redéfinition d’une insulte de classe de Mathieu Fusi (Point Virgule, 2023).
Sur l'accueil des publics et le rôle social des bibliothèques, nous pouvons vous conseiller de lire ces travaux de recherche :
Le “rôle social” des bibliothèques ». Quel modèle de bibliothèque ? de Thierry Ermakoff (Presses de l’ENSSIB, 2008)
L’accueil des publics en bibliothèque : une pratique politique d’ouverture sans se perdre ni exclure de Vincent Chekib (ENSSIB, 2008).
Approches de l'accueil en bibliothèques municipales : techniques, postures, évaluation de Lucie Munsch (ENSSIB, 2013).
La mixité sociale dans les lieux culturels Contre l’exclusion, les médiathèques en première ligne de la journaliste Marjorie Cessac (dans Regards sur la mixité sociale #2 Vivre ensemble dans l’espace public).
L’accueil : penser la médiathèque à l’épreuve des rapports sociaux ». Penser la médiathèque en situation de crise, édité par Raphaële Gilbert, (Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2022)
Les bibliothèques françaises face aux précarités (BBF, 2023)
Nous vous suggérons également de vous intéresser au concept de "bibliothèque vivante", une initiative qui nous vient du Danemark et se développe en France, avec pour objectif de renforcer la cohésion sociale, l'écoute et la tolérance dans nos société. Ce mémoire de Mathilde Dumaine : La « bibliothèque vivante » (2014) est une bonne porte d'entrée. Voici en quoi consiste la démarche (p.9) :
Au tout début des années 2000 est né au Danemark un événement qui porte le nom original, voire antinomique de « Human library ». Les termes de « bibliothèques humaines » ou « bibliothèque vivante » sont utilisés pour qualifier cet événement en France. Il s'agit d'une initiative qui a pour leitmotiv une lutte contre les stéréotypes et préjugés « take out your prejudice » ; la bibliothèque vivante prône une large ouverture d’esprit et vise à un renforcement de la cohésion sociale entre les individus. Elle fonctionne de la même façon qu’une bibliothèque traditionnelle où des lecteurs viennent emprunter des livres, à la différence que les livres sont des êtres humains. Les individus participant à cette activité sont invités à échanger sur les stéréotypes et préjugés. La bibliothèque vivante vise ainsi à créer des dialogues constructifs, des interactions entre deux personnes, des rencontres entre des groupes.
Dans nos collections à la bibliothèque, ces ouvrages :
- Le rôle social des bibliothèques dans la ville : communications et recherches réalisées pour le 17ème colloque "Profession : bibliothécaire" du jeudi 1er avril 2010 / sous la direction de Pascale Villate et Jean-Pierre Vosgin (PUB, 2010) : "A partir d'une enquête sur la presse professionnelle, puis d'entretiens auprès de professionnels, l'ouvrage démontre l'importance du développement du rôle social des bibliothèques. En effet, les écarts de pratiques culturelles entre milieux sociaux semblent se creuser. La bibliothèque au coeur des politiques sociales permet l'accès de tous à la culture."
Des pauvres à la bibliothèque : enquête au Centre Pompidou / Serge Paugam, Camila Giorgetti (PUF, 2013) : "Cet ouvrage repose sur une enquête réalisée auprès des publics en difficulté (pauvres, chômeurs, sans-abris...) qui fréquentent la bibliothèque du Centre Pompidou. Il montre comment cet espace public est pour les pauvres un moyen de constituer et de renforcer leurs liens sociaux conjurant ainsi le processus de disqualification sociale."
Bibliothèques troisième lieu / sous la direction d'Amandine Jacquet ; illustrations, Bibliopathe (ABF, 2017) : "Vingt contributions autour du concept de bibliothèque troisième lieu, modèle phare aux États-Unis, endroit où culture, loisirs et lien social, échanges humains et éducation permanente se rejoignent et se mêlent. Les contributeurs analysent ce type d'établissement à travers des exemples français et étrangers, urbains et ruraux, et les questions qu'il soulève sur les plans théorique et pratique."
- La valeur sociétale des bibliothèques : construire un plaidoyer pour les décideurs / sous la direction de Cécile Touitou (ABF, 2017) : "Les bibliothèques sont aujourd'hui sommées de prouver leur utilité, de montrer leur aptitude à être des vecteurs d'informations, de connaissances et de culture. Des bibliothécaires, économistes, sociologues, responsables associatifs et élus donnent les outils pour y parvenir et les méthodes pour communiquer, convaincre et démontrer la richesse et la variété de leur rôle."
Bonnes lectures,