Auriez-vous des informations sur les "chapeaux-oiseaux" du XIXe siècle ?
Question d'origine :
Bonjour,
Sur la troisième de couverture de l'album "Le Pélican" de Adriano Gazzellini paru chez l’École des Loisirs, se trouve la photographie en noir et blanc d'une femme portant un chapeau en forme d'oiseau.
Dans cet album pour enfant il est question de mode, d'affirmation de soi mais aussi de ridicule puisque les protagonistes sont amenées à porter des oiseaux, voire des nids d'oiseaux sur la tête en guise de couvre-chef.
La photographie en fin d'album suggère qu'une mode de chapeaux en forme d'oiseau ait pu exister.
Mes recherches m'ont appris que les chapeaux à la fin du XIXe siècle avaient tendance à l'extravagance, mais je n'ai rien trouvé sur les "chapeaux-oiseaux" en particulier.
Comment expliquer aux enfants cette photographie en 3e de couverture.
Merci beaucoup pour votre aide,
Lou

Réponse du Guichet

Dans différentes civilisations, la plume a orné les couvre-chefs guerriers. En raison de sa rareté et de sa beauté, elle était associée au luxe et au pouvoir, liée pendant longtemps au couvre-chef masculin. C'est à partir du XVIIIe siècle que les femmes raffolent de chapeaux décorés de plumes. Cette mode explose et incite les modistes à la création d'ornements en forme d'oiseaux.
Bonjour,
Garnitures fournies par la nature et très prisées, les plumes ont connu, sous les mains habiles des artisans, une fortune assez constante et leur présence dans la composition du chapeau, aussi bien masculin que féminin, s’est perpétuée quasiment jusqu’à nos jours.
Depuis le XIIIe siècle, c’est le plumassier qui crée les ornements en plume. L’art des plumassiers a été décrit en 1854 dans les manuels Roret par Elisabeth Celnart (1796-1865), une sorte d’encyclopédie des techniques et des savoir-faire professionnels concernant différents domaines, et n’a pas connu depuis de forte évolution. Les plumassiers se regroupent en corporations avec les fleuristes et les modistes à partir de 1776, mais les véritables maisons de mode au sens moderne du terme apparaissent à la fin du XVIIIe siècle.
Savonnées, rincées, parfois teintes, les plumes sont travaillées de multiples façons. Elles peuvent être découpées, affinées, crossées, frisées, soumises à des procédés visant à assouplir les plumes et les rendre plus volumineuses. En ce qui concerne le travail d’assemblage, on distingue la technique de montage sur fils de laiton (fleur, pompon) et le collage à plat pour obtenir une minoche. Il arrive aussi que l’artisan couse la plume. Il dessine la forme imaginée en découpant les barbes et les frises avec son couteau, par un mouvement de va-et-vient.
Si à partir du XVIIIe siècle, le goût pour les plumes disparaît du chapeau civil masculin, il fait rage chez les dames de la haute société. Les élégantes n’abandonnent leurs plumes que par la force de la Révolution, et ce, selon Florence Müller et Lydia Kamitsis, pour très peu de temps puisque, dès 1794, le bonnet « à la République » associe au bonnet phrygien une garniture de plumes plantées toutes droites.
A partir de 1831, l’emploi de plumes bicolores se répand : ainsi des plumes blanches ou noires sont bordées de rose ou de bleu selon la couleur du chapeau sur lequel elles sont posées.
Aux alentours des années 1860, la mode est aux petites plumes et oiseaux menus tel le lophophore qui, extrêmement cher, est souvent remplacé par le canard chinois ou le faisan doré. On emploie ses oiseaux entiers en ailes déployées ou simplement leurs têtes posées sur de la gaze ou du tulle.
C’est au tournant du siècle que l’ornement de plumes est à son apogée : on en trouve partout sur les toilettes en remplacement de la fourrure, on les porte en boa, en éventail ou en chapeau. La garniture des chapeaux de feutre qui était faite d’un biais de velours ou d’une draperie de gaze, est désormais remplacée par des plumes d’ailes ou de la queue. L’auteur précise:
«Tantôt ce sont des plumes d’argus ou d’albatros, posées en aigrette et s’échappant d’un drapé de velours, le plus souvent c’est un oiseau aux ailes refermées placé tout droit, la queue en haut, ou, mieux encore, la tête d’un faisan dont toute la queue s’élève en spirale au-dessus du chapeau.»
À la fin du XIXe siècle, une élégante ne peut sortir de chez elle sans son chapeau sur lequel sont juchés un, deux, voire cinq oiseaux. Plus l’espèce est rare, plus la dame se fait remarquer. La corporation des plumassiers prend alors son essor. Le savoir-faire du chasseur-taxidermiste est aussi mis en avant, permettant d’orner les chapeaux de têtes d’oiseaux qui semblent vivants, « comme jouant encore dans le bosquet d’où ils ont été tirés », selon la remarque de l’auteur du Frank Leslie’s Illustrated Magazine n°57 du 10 novembre 1883. Ce phénomène exponentiel n’est pas sans conséquence pour la survie des espèces : la cruauté de cette mode menace, en effet, de nombreuses espèces d’oiseaux, dont l’aigrette garzette, le « héron blanc » le plus répandu d’Europe, ce qui suscite de vives polémiques en Europe et outre-Atlantique.
Les phénomènes de mode ont engendré, déjà à l’époque que nous décrivons, une surexploitation des ressources naturelles, éveillant la vigilance des sociétés protectrices de la nature. Dans cet article de 2014, dédié à la connaissance et la préservation des oiseaux dans l’Yonne, on revient sur les dégâts de la société de consommation qu’un nombre considérable d’associations militantes n’ont naturellement pas la capacité de contrer, malgré leur présence dans chaque école, avec l’objectif de sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge !
Pour aller plus loin:
Le chapeau: grand art et savoir-faire, Eliane Bolomier, éditions Somogy, 1996 ;
Les chapeaux de Madame Paulette, Annie Schneider, La Bibliothèque des Arts, 2014 ;
Cent ans de chapeaux 1870-1970. Musée du chapeau, Chazelles-sur-Lyon, édition Association-Tradition, 1993, sans oublier que l’atelier-musée du chapeau saura certainement vous fournir des informations complémentaires !