Pourquoi rajoutons nous parfois un "me" ou un "nous" dans certaines phrases ?
Question d'origine :
Bonjour
Quelle est cette curieuse façon (qui m'agace, veuillez m'en excuser) de rajouter un "me" ou "nous" inutile dans certaines phrases ?
Exemples :
"va me ranger ta chambre"
"quelle bêtise m'as tu encore inventée ?"
"tu nous fais un tableau Excel et tu nous pointes les anomalies"
Merci et bonne journée
Réponse du Guichet

Bien que pas toujours correct grammaticalement l'ajout de pronoms personnels réfléchis ne semble pas inutile. Au contraire, ils véhiculent, dans vos exemples un certain sens. Nous détaillons ces plausibles éléments de réponse plus bas.
Bonjour,
Les phrases que vous avez sélectionnées sont porteuses d'un sens, ou plutôt d'une nuance, qui diffère de leur occurrence sans ces "me" ; "m' " ou "nous" : des pronoms personnels réfléchis.
(nul besoin de demander à être excusé.e, au vu du ton utilisé dans vos exemples, on comprend que ces tournures vous agacent !)
Examinons ces trois phrases que vous proposez pour illustrer ce procédé :
- "va me ranger ta chambre".
Ici la phrase est effectivement incorrecte. En se basant sur une lecture purement grammaticale, "me" est bien inutile. Seulement, l'interprétation ne devrait pas s'arrêter là. Premièrement, et cela vaudra pour les autres énoncés, le pronom personnel réfléchi ajoute ici un aspect familier. En plus de cet aspect, il y a une implication marquée de l'énonciateur. Ici on peut difficilement parler de sujet car les verbes à l'impératif se construisent sans ce dernier. Si toutefois il en existait un, il serait plus probable qu'il soit à la deuxième personne du singulier plutôt que la première : (Tu) range(s) ta chambre !
L'implication de l'énonciateur peut-être perçue comme le marquage d'un caractère affectif ou plus personnel qui coïncide bien avec le registre familier. L'énonciateur appuie grammaticalement sur sa présence dans la phrase alors que son identité est normalement parfaitement connue de son interlocuteur.
Cela a pour effet de faire comprendre que c'est l'énonciateur qui a envie que la chambre soit rangée plutôt que de laisser transparaître une obligation globale. Cette obligation, désormais particulière est décuplée par le statut potentiel de l'énonciateur. Dans l'exemple prototypique c'est un parent qui demande à son enfant de ranger sa chambre. On peut facilement s'imaginer que, bénéficiant de toute autorité parentale supposée, l'énonciateur joue de sa position pour accentuer l'obligation. "moi, ton père/ta mère, je te demande d'aller ranger ta chambre", soit en langage plus familier et implicitement marqué : "va me ranger ta chambre !"
L'ajout du pronom personnel réfléchi tend ici à la subjectivité, à l'obligation induite par l'implication de l’énonciateur, et au familier.
- "quelle bêtise m'as tu encore inventée ?"
Ici l'implication de votre tournure à première vue superflue n'est pas bien différente que celle du cas précédent. Cette phrase est cela dit plus idiomatique et semble moins incorrecte. Le registre reste familier, par la seule présence du pronom personnel réfléchi "me". Ce dernier ne se contente pas d'altérer le registre, il implique encore une fois la personne qui parle. En éliminant le marqueur on a : "Quelle bêtise as-tu encore inventée ?" On peut certes facilement s'imaginer le ton peu enthousiaste d'une telle phrase mais "Quelle bêtise m'as-tu encore inventée ?" lie l'action (la bêtise inventée) à l'énonciateur. Du fait, on se figure immédiatement que la personne qui parle fera les frais de cette bêtise, qu'il s'agisse de ranger, nettoyer, ou simplement s'inquiéter pour l'auteur de la bêtise en question ! On pourrait traduire par "quelle nouvelle bêtise vais-je devoir supporter ?"
Sont marqués dans cette phrase (par le pronom personnel réfléchi) : la subjectivité, l'inquiétude, et le registre familier.
- "tu nous fais un tableau Excel et tu nous pointes les anomalies"
Peut-être l'exemple qui justifie le plus votre agacement ! Pourquoi est-ce que ce dernier parait si irritant ? Encore une fois, le registre familier est de la partie. La tournure plus soutenue aurait donné : "fais-nous un tableau Excel et pointe-nous les anomalies". Les deux sens sont pratiquement identiques, si ce n'est la variation du registre. Dans un cas comme dans l'autre, le nous implique encore une fois l'énonciateur dans l'ordre donné. Il englobe cependant un plus grand groupe que la simple personne en train de parler. Il est aisé de penser à un contexte d'entreprise dans lequel la personne prononçant ces mots appuie sur l'impératif de groupe : "fais ce tableau Excel pour notre entreprise (le groupe), et pointe à cette même entreprise dont nous faisons partie les anomalies" ; voilà ce que l'énoncé aurait pu donner en explicitant excessivement et de manière très peu naturelle. L'ordre est ici très ambivalent dans sa tournure en ce qu'il allie familier et obligation/ordre professionnel, le tout enjoint dans une notion de collectif venant pourtant d'une seule personne.
En somme, on retrouve marqués encore une fois : le registre familier, l'implication de l'énonciateur qui inclut ici le groupe (très probablement de nature professionnelle) et renforce le côté impératif de la requête car elle dépasse la volonté d'une simple personne.
En somme, en s'attardant réellement sur ces occurrences et en dépassant leur utilisation grammaticale parfois impropre, on constate qu'elles ne sont, justement, pas inutiles ! Bien souvent les choix linguistiques sont faits, plutôt que d'autres, pour une raison. Ces raisons sont plus ou moins conscientes mais elles témoignent d'un sens particulier. Bien-sûr ces interprétations ne sont pas figées ni objectives mais nous avons avancé les idées les plus plausibles.
Quelques manuels de grammaire française pour aller plus loin.
Vous nous pardonnerez le retard pris pour répondre à cette question.
En espérant vous avoir aidé.e, bonne journée !
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