Est-ce que les disciples de Thomas ont précédé les Nestoriens à X’ian ?
Question d'origine :
J'ai visité en Chine le site qui aurait vu arriver les premiers chrétiens, les Nestoriens, dans la région de X'ian au VIè siècle. Mais un ami me dit que des disciples de Thomas s'en seraient approchés bien plus tôt à partir du 2è siècle. Est-ce possible?
je vous joins la photo que j'ai prise en 2013 de la pagode construite après le départ des Nestoriens...

Réponse du Guichet

S’il existe des publications faisant état dès le 1er siècle d’une présence de Thomas lui-même (aux alentours de 64), elles ne font pas du tout consensus auprès des spécialistes. La présence de chrétiens en Chine aux premiers siècles est possible, mais la seule date où elle est réellement étayée semble rester 635.
Bonjour,
Et merci pour la photo !
On peut lire dans l’article Église nestorienne en Chine sur Wikipédia :
«La première trace d'une mission chrétienne en Chine est celle du moine syriaque connu sous son nom chinois d'Alopen. Cette mission arrive dans la capitale chinoise Chang'an (aujourd'hui Xi'an) en 635, sous le règne de l'empereur Taizong de la dynastie Tang. Celui-ci accorde à Alopen une tolérance officielle et invite les chrétiens à traduire leurs œuvres sacrées pour la bibliothèque impériale. Cette politique de tolérance sera poursuivie par de nombreux successeurs de Taizong, permettant à l'Église de l'Orient de prospérer en Chine pendant plus de200 ans».
C’est la date la plus souvent avancée depuis longtemps dans les études sur la question.
Voir par exemple:
Histoire des chrétiens de Chine, par Jean Charbonnier
Le christianisme syriaque en Asie centrale et en Chine : [actes de la 12ème Table ronde de la Société d'études syriaques, Paris, 14 novembre 2014] / volume édité par Pier Giorgio Borbone et Pierre Marsone.
Cependant, on trouve mention, essentiellement sur des sites chrétiens, d’ouvrages faisant remonter l’arrivée des chrétiens en Chine au 1er siècle.
Le site EECHO, Enjeux de l’Étude du Christianisme des Origines, en fait régulièrement la présentation :
L’article Thomas fonde l’Église en Chine, en 2008, recense le livre de Pierre Perrier:
«Les connaissances des traditions araméennes ont amené notre ami Pierre Perrier à confronter ce qu’elles disaient à propos de l’Apôtre Thomas aux chroniques chinoises, que Xavier Walter connaît bien. Le résultat est inattendu. On savait que Saint Thomas avait évangélisé le Kérala, au sud de l’Inde; il est mort et enterré à Méliapouram (Millipore, qui était le port indien pour la Chine à cette époque, aujourd’hui Madras-Chennay). En 232, quelques reliques de Saint Thomas furent ramenées à Edesse (où les actes de Thomas furent écrits en syriaque). On avait oublié quelque peu que son projet initial avait été d’aller en Chine, ce qui s’avérait quasiment impossible dans les années 50-90 par voie de terre (c’est-à-dire jusqu’à ce que l’Empereur de Chine sécurise la route à nouveau en la parsemant de postes de garde).
Il avait donc pris la voie maritime traditionnelle, qui faisait le tour de l’Inde puis de la Malaisie. Mais l’accueil des communautés juives des ports du Kérala et ensuite celle des populations malabar et malankar fit qu’il s’y arrêta. Ce sont les chroniques chinoises qui nous permettent de comprendre pourquoi Saint Thomas se rendit néanmoins en Chine, à laquelle il consacra trois années (de 65 à 68): le fait déterminant avait été un songe prémonitoire de l’Empereur Ming-Di qui précéda d’un an le moment où il reçut l’Apôtre Thomas venant de l’’Inde du sud.»
En 2012, on peut lire sur ce même site les articles : P. Perrier, "Le prince Ying et l’apôtre Thomas" et L’Apôtre Thomas et le Christianisme en Asie : Recherches historiques et actualité.
Enfin, en 2021 : Vers une nouvelle histoire de la Chine au 1er siècle ?
De nouvelles certitudes concernant la mission de saint-Thomas en Chine annonce pour sa part le site France Catholique, en 2013.
Plus prudent, le site Vatican News questionne : Les bas-reliefs de Kong Wang Shan, témoins de la présence chrétienne en Chine?, en 2021.
Mais les affirmations de Pierre Perrier semblent faire débat. Le Forum La cité catholique en fait état sur la page L’Apôtre Thomas en Chine.
Sur la notice Pierre Perrier (scientifique), Wikipédia, on peut lire:
«Pierre Perrier souligne qu'à l'exception de cette prédication en Chine où Thomas a bénéficié de l'aide d'un traducteur qui s'était converti, la carte de la prédication chrétienne au Ier siècle en Asie correspond aux régions où l'on parlait araméen. Il estime que le centre de l'organisation de cette prédication se trouvait dans la région de Ninive. Ce travail récent reste toutefois à évaluer de façon critique. Ainsi, Daniel H Bays indique qu'il faut rester extrêmement prudent par rapport à cette thèse jusqu'à ce que des chercheurs traditionnels s'impliquent dans cette question, car la preuve décisive avancée par Pierre Perrier «ne semble pas claire du tout».
On peut trouver en ligne le prologue du livre de Daniel H Bays, A New History of Christianity in China, qui explique bien les raisons de ses doutes.
Le blog Cornélius Pomponius Pisces revient sur les principales «découvertes» qui prouveraient une présence chrétienne en Chine dès les premiers siècles. Son auteur a l’honnêteté de dire qu’il n’est pas spécialiste de la Chine mais expose très clairement les termes du débat dans plusieurs articles qu’il mentionne à la fin de sa mise au point :
Une présence chrétienne en Chine dès les premiers siècles ? Etat des lieux
Enfin, un récent article du journal La Croix refait le point sur la question : En Chine, à la découverte des premiers chrétiens, Mikael Corre, La Croix, 19 août 2024
«Commençons par la tradition. Venu d’Inde, l’Apôtre Thomas serait arrivé en Chine au premier siècle de notre ère, par la mer, pour évangéliser les terres de Confucius.
Ce récit, qui n’a rien d’historique, tente depuis une vingtaine d’années de se faire une place dans la littérature scientifique, sans succès. Étrangement, on en trouve les prémices dans un article publié en août 2002 par l’organe de presse officiel du gouvernement chinois, Le Quotidien du peuple, comme le repère le sinologue suisse Nicolas Zufferey (1). «Des études montrent que dès l’an 86, (…) le christianisme est entré en Chine, soit 550 ans plus tôt que ce qui est admis dans le monde entier», lit-on dans l’article du journal communiste.
Les sources ? Un lot de gravures sur pierre stockées à Xuzhou, dans l’est de la Chine, et sur lesquelles un prédicateur protestant évangélique chinois, Wang Weifan, décèle des poissons, des oiseaux et des animaux qui lui font penser au Livre de la Genèse, mais que l’on retrouve également dans des représentations taoïstes.
«L’histoire du Quotidien du peuple est difficile à croire, écrit Nicolas Zufferey, et, comme c’est souvent le cas pour des annonces aussi spectaculaires, elle n’a pas été suivie d’effet. (…) Les dessins “chrétiens” de la dynastie Han ont disparu avant que les chercheurs n’aient pu les examiner.»
Thomas, Bouddha et la Reine-mère de l’Ouest
Six ans après ces «découvertes», une équipe occidentale est cependant autorisée à se rendre en Chine, plus précisément à Lianyungang, sur les rives de la mer Jaune. À sa tête, un ancien ingénieur de chez Dassault Aviation, Pierre Perrier. À Lianyungang, ce «spécialiste de la transmission orale des Évangiles» donne une interprétation nouvelle d’images sculptées dans les premiers siècles sur une célèbre falaise, appelée Kong Wang Shan – littéralement: «montagne où Kung (Confucius) regardait (la mer)». On y trouve un éléphant d’inspiration indienne, un crapaud – sans doute référence à un mythe taoïste –, un homme en position du lotus, main levée, qui pourrait être le Bouddha parvenu au nirvana final (parinirvana), ou bien la divinité taoïste Xi Wangmu, la Reine-mère de l’Ouest…
Dans deux livres publiés en 2008 et 2012, Pierre Perrier postule cependant que ces sculptures racontent la première prédication chrétienne en Chine, par l’Apôtre Thomas, dès 64.
«Tel saint Thomas, je me permets d’en douter, car M.Perrier arrive derrière pas mal de travaux plus experts que les siens», critiquait la sinologue Anne Cheng, dans son cours du 13décembre 2018 au Collège de France.
Même si le récit d’un Thomas évangélisateur de la Chine est séduisant, aucun des sinologues ou spécialistes de l’Antiquité en Chine interrogés par La Croix ne la prend aujourd’hui au sérieux. La route du saint se serait en réalité arrêtée 300km à l’est de la Galilée. «Mais à mesure que la connaissance du monde s’est élargie, que les confins se sont éloignés, des auteurs chrétiens ont imaginé dès les IIIe et IVe siècles des voyages de Thomas toujours plus lointains», relève l’historien Étienne de La Vaissière, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, à Paris. Une manière d’en faire, à jamais, l’apôtre des confins.
Plus tardifs, les débuts réels de l’histoire du christianisme en Chine n’en sont pas moins passionnants. Cette dernière commence au VIIe siècle à Chang’an, au centre du pays, débouché oriental des longues routes commerciales venues d’Asie centrale. C’est dans cette ville aujourd’hui appelée Xi’an qu’ont été déterrées, en 1974, les milliers de statues de soldats en terre cuite de l’empereur Qin Shi Huangdi, devenues célèbres.»
La suite de l’article résume l’histoire du christianisme en Chine et produit une petite chronologie :
Les débuts du christianisme en Chine
64. Arrivée (légendaire) de saint Thomas en Chine.
431. Concile d’Éphèse, qui condamne les thèses de Nestorius.
635. Arrivée (réelle) du premier groupe de chrétiens, des nestoriens, à Xi’an, venus d’Asie centrale.
638. Décret chinois qui autorise la diffusion du christianisme.
781. Érection à Xi’an de la «Stèle de la propagation de la religion radieuse du Da Qin dans l’empire du Milieu», qui fait le récit de l’arrivée de ce groupe. Découverte en 1625.
Fin du IXe siècle. Fin de la politique de tolérance religieuse de la dynastie Tang (règne de 618 à 907).
- Nicolas Zufferey, «Traces of the Silk Road in Han-Dynasty Iconography: Questions and Hypotheses», dans Philippe Forêt, The Journey of Maps and Images on the Silk Road, Brill, 2011, 282p.
Nous n’avons pas trouvé d’autres traces de ces controverses en 2025, il semblerait donc que les thèses de Pierre Perrier et ses amis ne soient pour l’instant toujours pas avérées.
Bonnes lectures !
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