Les mathématiques sont-elles encore vecteurs de mobilité sociale ?
Question d'origine :
Bonjour,
On le voit aujourd'hui, les pouvoirs publics cherchent à réarmer l'école en termes de mathématiques. Je m'interrogeais sur la capacité des mathématiques à être vectrices de mobilité sociale. Le sont-elles ?
Merci de me répondre,
Bonne jouirnée.
Réponse du Guichet

L’apprentissage des mathématiques reste en France un puissant levier de mobilité sociale, ouvrant l’accès à des filières et métiers très valorisés. Toutefois, de fortes inégalités persistent selon l’origine sociale et le genre, limitant l’accès des élèves issus de milieux modestes et des filles aux parcours scientifiques réputés d'excellence. Malgré l’importance économique des mathématiques, les études montrent que l’école française peine à corriger ces écarts, malgré la mise en place de plans nationaux, comme le plan mathématiques Villani-Torossian (2018), freinant ainsi la mobilité sociale par l’éducation.
Bonjour,
L'apprentissage des mathématiques est historiquement considéré comme un puissant levier de mobilité sociale en France. Depuis longtemps, la discipline ouvre à ses meilleurs élèves les portes des plus prestigieuses écoles et université du pays : Polytechnique, Paris-Saclay, la Sorbonne, l'ENS etc. Dans un modèle de société méritocratique fonctionnel, une bonne maîtrise des mathématiques pourrait être un vecteur de mobilité sociale, tant les compétences en la matière sont aujourd'hui recherchées. Et pour cause, les mathématiques ne se résument pas aux postes d'enseignants-chercheurs, mais irriguent une immense variété de secteurs d’activités du monde du travail : finance, ingénierie, gestion, crypto-sécurité, intelligence artificielle, satellites etc. aux enjeux financiers et stratégiques majeurs. A tel point qu'une étude réalisée par l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (CNRS) en 2022 révélait que 18% du PIB national, ainsi que 13% des emplois salariés en France (soit 3,3 millions d'emplois) étaient impactés par les mathématiques.
Ces chiffres parlent pour eux-même. La maîtrise de cette discipline ouvre l'accès à des filières sélectives et à des emplois à forte valeur ajoutée, très recherchés sur le marché du travail. Pourtant, il suffit d'allumer la TV ou la radio de temps à autres pour entendre à quel point la discipline aurait du mal à être enseigné dans les écoles françaises. Les mathématiques cristalliseraient même les plus grandes inégalités d'apprentissage chez les élèves et la France se classerait parmi les plus mauvais pays européens (et sous la moyenne des pays de l'OCDE) : Mathématiques : la France toujours dernière d’Europe et championne des inégalités (Le Monde, décembre 2024). Cette faiblesse chronique a pourtant été identifiée depuis des années, comme en atteste dès 2018 le lancement du Plan mathématiques Villani-Torossian, qui visait déjà sous la présidence d'Emmanuel Macron à répondre aux difficultés rencontrées par les élèves à la sortie des classes de primaire.
Et le problème se complexifie davantage si l'on s'intéresse aux origines sociales ou au genre des élèves qui parviennent à se pérenniser dans ces filières d'excellence. Ce rapport de France Stratégie publié en 2023, Les politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes, fait état d'une "surreprésentation" des élèves issus d'un milieu favorisé parmi les filières perçues comme les plus "rentables", notamment scientifiques et mathématiques. Pire, le phénomène inverse est observé dans les bacs professionnels et chez ceux sortis sans le bac du système scolaire...(p. 125). Un note d'information au ministère de l'éducation nationale (2025) nous informe quant à elle d'un décalage extrêmement précoce des performances entre filles et garçons en mathématiques et ce, dès l'école primaire...: Évolution des écarts de performances entre filles et garçons en mathématiques, au fil du temps et de la scolarité. Un rapport de l'Académie des sciences, publié en juin 2024, donne parmi ses hypothèses l'effet négatif, particulièrement sur les jeunes filles, de la piètre qualité des formations en science des enseignants du premier degrés.
L'article du Monde qui en fait la synthèse, permet de visualiser de précieux graphiques, notamment dans le choix des parcours scientifiques au lycée, que l'on peut voir largement dominés par les garçons.Plus tard pourtant, une quasi-parité s'installe à la sortie des doctorats, où hommes et femmes seraient presque aussi nombreux à décrocher leur diplôme. Avant une nouvelle "évaporation" observée dans le milieu professionnel où ce sont essentiellement des hommes qui occuperaient les postes à plus haute fonction hiérarchique (auto-censure, maternités et carrières hachées en seraient les raisons principales pour la physicienne et chercheuse au CNRS Hélène Bouchiat.
Plus largement, les spécialistes du sujet et autres observatoire sociétaux tirent la sonnette d'alarme à propos de la faiblesse des mobilités sociales grâces à l'école en France. Si le sujet vous intéresse, nous pouvons vous conseiller la lecture de ces documents :
- Le dossier : Faiblesse préoccupante de la mobilité sociale est lisible en intégralité sur Cairn et regroupe de nombreux articles écrit par des spécialistes du sujet.
« Le constat sans appel de l’étendue de l’inégalité des chances en France devrait provoquer un électrochoc » (Tribune, Le Monde).
Évolution des inégalités sociales de compétences au fil du temps et de la scolarité (note d'information, DEPP).
Équité et efficacité des systèmes scolaires : une comparaison internationale basée sur la mobilité sociale par Jean Hindriks (Université catholique de Louvain, Belgique) et Mattéo Godin (Stratec, Belgique).
Mais aussi ces livres parmi nos collections :
La spirale du déclassement - les désillusions des classes moyennes de Louis Chauvel (Points, 2019)
Passer les frontières sociales : comment les filières d'élite entrouvrent leurs portes / Paul Pasquali (Fayard, 2014)
Ce que les mathématiques font aux filles / Martine Pons-Desoutter, Claudine Moïse (Bréal, 2021)
Matheuses : les filles, avenir des mathématiques / Clémence Perronnet, Claire Marc, Olga Paris-Romaskevich (CNRS, 2024)
Le monde des mathématiques / sous la direction de Pierre-Michel Menger et Pierre Verschueren (Seuil, 2023)
Bonnes lectures,