Comment expliquer les phénomènes de harcèlement en groupe ?
Question d'origine :
Comment les bourreaux choisissent-ils leurs victimes? Comment se fait la sélection des personnes qui se font harceler, que ce soit des enfants ou des adolescents ou des adultes? Quand une personne et un groupe harcelent quelqu'un, comment ont ils choisi cette personne pour en faire leur victime? D'après mon expérience le harcèlement se fait à tout âge, de l'enfance à l'âge adulte...je souhaiterais connaître les raisons et plus de détails sur le harcèlement, en particulier sur les phénomènes de groupe
Réponse du Guichet

De premières recherches sur le harcèlement scolaire révèlent moins de profils « types » d'élèves harceleurs ou harcelés que des dynamiques collectives. Il naît d’un rapport de pouvoir répété, nourri par le rôle actif ou passif des témoins, et repose sur des mécanismes de domination et d’exclusion. Les enfants plus capables de se fondre dans le groupe ou de s'adapter à des normes seraient moins soumis à ce phénomène. Comme l'exprimait l'anthropologue René Girard, le groupe se soude en désignant un bouc émissaire, ce qui renforce sa cohésion interne mais aggrave la souffrance des victimes.
Cher Braveheart,
Selon la définition fournie par le dictionnaire en ligne Larousse, le harcèlement scolaire se caractérise par des violences verbales, psychologiques ou encore physiques répétées à l'égard d'un élève, pouvant mener à son isolement, altérer sa santé physique ou mentale et compromettre son avenir scolaire. (Souvent aggravé par un cyberharcèlement sur Internet et les réseaux sociaux, le harcèlement scolaire dépasse de très loin le cadre de l'école.)
Le psychologue Dan Olweus semble être une référence dans l'étude de ce phénomène avec la parution de son livre en 1991 Bullying at School: What We Know and What We Can Do. Selon ses mots, un élève est victime de harcèlement lorsque celui-ci :
"subit, de façon répétitive, des actes négatifs de la part d’un ou plusieurs élèves. Un comportement négatif peut se produire lorsqu’un élève, ou un groupe d’élèves, inflige un malaise à un autre élève, que ce soit de manière physique (frapper, pousser, frapper du pied, pincer, retenir autrui) ou verbale (menaces, railleries, taquineries et sobriquets). Les actions négatives peuvent également être manifestées sans parole ni contact physique (grimaces, gestes obscènes, ostracisme ou refus d’accéder aux souhaits d’autrui). "
Cette définition élaborée par le psychologue Dan Olweus suggère trois dimensions importantes permettant de distinguer le harcèlement des autres formes de comportement violent :
- le pouvoir ;
- la fréquence ;
- la nature des agressions.
En milieu scolaire, le harcèlement est le fait, pour un élève ou un groupe d'élèves, de faire subir de manière répétée à un camarade des propos ou des comportements négatifs voire violents.
- Le harcèlement a pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
- Avec le développement des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, il dépasse le cadre scolaire et affecte aussi les jeunes à travers le cyberharcèlement.
- Les victimes sont souvent seules face à cette menace diffuse.
Source : Non au harcèlement - education.gouv
Vous vous questionnez sur les causes de ce harcèlement, sur l'identité des harceleurs et des harcelés et sur l'impact du groupe dans la manifestation de ce phénomène.
Premièrement, il semble important de dire qu'il n'existe pas de profils types d'enfants harceleurs ou harcelés. De nombreuses conjonctures sociales, environnementales ou éducatives déclenchent ce type de situation. Magali Rebattel et Mathilde Royol dans leur ouvrage, Mon enfant est harcelé : concrètement, que faire ? (Tom Pousse, 2023) démystifient la thèse du harceleur ou du harcelé naturel :
Il est important de souligner qu’il n’existe pas de profil type d’enfants harcelés. Il n’apparaît pas de caractéristiques semblables, immuables et intrinsèques à l’enfant harcelé qui provoqueraient le harcèlement.
Bien que certains enfants puissent être plus ciblés en raison de diverses stigmatisations et divers préjugés sociaux, il est fort probable que tout enfant, quel que soit son profil, puisse un jour représenter une cible de harcèlement scolaire. Ce qu’on sait, c’est qu’une situation de harcèlement éclot fréquemment aux abords d’un contexte institutionnel difficile (mauvais climat scolaire dans une école par exemple) et/ou d’un contexte personnel déroutant (changement d’école par exemple) et que c’est fréquemment la rencontre malheureuse entre ces différents éléments qui va gouverner la qualité du lien qui s’établit entre les enfants.
Tout comme pour les enfants en situation de harcèlement, les enfants en position de harceler un autre enfant n’appartiennent à aucune logique catégorielle : personne ne peut établir un profil-type de l’enfant harceleur.
Certains sont sujets à une problématique personnelle qui rend les élans impulsifs, agressifs plus difficilement maîtrisables. Ils peuvent avoir des difficultés à exprimer leurs émotions, à communiquer leurs peines, leurs frustrations ou leurs déceptions. Certains encore peuvent avoir du mal à se débrouiller dans des situations de conflits, dans leur rapport à l’autre, dans leur rapport au groupe. D’autres encore ayant eu une réussite suite à une stratégie d’intimidation sans conséquence peuvent avoir tendance à la généraliser suite au bénéfice qu’ils en ont retiré : un objet, de la popularité, une reconnaissance du groupe, etc.
Il y a également ceux dont l’éducation a négligé la loi de la non-violence à la maison, l’enfant transférant alors directement à l’école les lois qui gouvernent son milieu familial depuis toujours
Source : Harcèlement : Existe-il des « caractéristiques » particulières de l’enfant victime et de l’enfant auteur ? - sur le site de l'éditeur Tom Pousse.
L'article de Roger Fontaine, Comprendre le harcèlement pour mieux le prévenir. Enfance, 3(3), 393-406 (2018) nous fournit plusieurs clés de compréhension pour mieux nous saisir de ce qu'il se joue dans une situation de harcèlement. Ce professeur de psychologie tente de créer des typologies (science de l'élaboration des types, facilitant l'analyse d'une réalité complexe et la classification) d'enfants harceleurs et harcelés. Il s'intéresse aussi à l'objet groupe et ses différentes composantes (témoins actifs, témoins passifs, supporters actifs etc.). Le harcèlement s'inscrit dans des relations sociales et nécessite des témoins. Au sujet des victimes, il s'appuie aussi sur Olweus qui établissait deux principaux types de profils :
Olweus (1978) distingue aussi deux catégories de victimes, l’une qualifiée de « passive » et l’autre d’« active ».
Les victimes passives sont des enfants ou des adolescents timides, solitaires et souvent chétifs quand il s’agit de garçons. Ils témoignent d’un manque de confiance en eux et d’une mauvaise estime d’eux-mêmes. Ils sont des « proies » faciles en particulier pour les agresseurs actifs. Ils manifestent un syndrome anxio-dépressif associé souvent à des phobies scolaires et dans certains cas à une dérive suicidaire. Les victimes actives, dénommées parfois « provocatrices », agissent comme des architectes de leur statut. Elles semblent tirer de leur situation des bénéfices secondaires. Cette typologie binaire a aussi été affinée par des recherches ultérieures.
Source : Roger Fontaine, Comprendre le harcèlement pour mieux le prévenir. Enfance,3(3), 393-406 (2018).
Son analyse des profils "neutres", c'est à dire ceux qui ne subissent pas de harcèlement, permet d'expliquer en creux les critères recherchés par les harceleurs pour choisir leurs victimes :
Le statut neutre concerne des enfants « rescapés » du harcèlement. Il s’agit d’un groupe hétérogène d’enfants et d’adolescents qui présentent malgré cela des points communs quant à leurs stratégies d’ajustement social ou de coping avec leurs pairs qui semblent les protéger du harcèlement (Scholte et al., 2007). Ils témoignent de compétences efficaces d’intégration à un groupe de pairs en intériorisant leurs normes et leurs coutumes avec pour conséquence une protection contre les harceleurs (Lodge & Feldman, 2007). Ils savent en particulier tisser des liens d’amitié (Hodges et al., 1997) qui sont aussi protecteurs contre les problèmes internalisés (Holt & Espelage, 2005). Mais ces enfants et adolescents, bien que ne subissant pas personnellement le harcèlement, participent à celui-ci en tant que témoins ce qui n’est pas sans conséquences sur l’ampleur de la gravité de la souffrance des victimes.
Source : Roger Fontaine,Comprendre le harcèlement pour mieux le prévenir. Enfance,3(3), 393-406 (2018).
Capacité d'intégration dans un groupe, assimilation rapide de ses normes et coutumes, faculté à nouer des liens d'amitié avec les autres membres du groupes seraient autant d'aptitudes protectrices vis à vis des situations de harcèlement. Ces enfants, souvent placés malgré eux en position de témoins, occupent néanmoins une place importante dans ce "cercle infernal" (R. Fontaine) :
D’autres rôles que ceux d’agresseur et de victime sont déterminants dans le devenir des situations de harcèlement. Ces dernières dans la plupart des cas, en milieu scolaire, surviennent devant des témoins. Il s’agit des acolytes qui agissent de concert avec l’agresseur, des supporteurs actifs ou passifs qui prennent parti pour l’agresseur, de l’observateur curieux qui s’en désintéresse, du témoin désapprobateur et inactif, du témoin résistant qui prend parti activement pour la victime.
Les témoins peuvent adopter des comportements de défense de l’élève ciblé, observer passivement ou encore soutenir et encourager l’auteur du harcèlement. Mais le comportement des témoins est souvent favorable à l’agresseur accentuant alors la détresse de la victime.
En effet, un article comme celui de S.Tordjamn, Harcèlement scolaire et violence groupale : comment occuper une place dans le groupe par l’exclusion rend parfaitement compte de cette dynamique de groupe et des bénéfices personnels que l'on peut tirer en soutenant les harceleurs ou en restant passif face à ces agressions. Tordjman explique que chaque acteur (bourreau, victime, témoins) adopte une posture pour asseoir son pouvoir, maintenir des hiérarchies et s’assurer une place le groupe social. Ces mécanismes renforcent le harcèlement grâce à des logiques de domination, d'exclusion ou de conformisme collectif.
En faisant corps, les individus expriment leur appartenance au groupe et pointent du doigt les singularités ou ce qu'ils jugent comme les manquements de la personne harcelée. Il y a une logique du nous contre vous qui n'est pas sans rappeler la figure du bouc-émissaire analysée par l'anthropologue René Girard au XXème siècle dans ouvrage La violence et le sacré. Magali Rebattel et Mathilde Royol dans leur ouvrage Mon enfant est harcelé expliquent cette analogie :
René Girard, anthropologue, nous met en garde, dans son ouvrage La violence et le sacré, en affirmant que depuis la nuit des temps, le meilleur moyen de renforcer l’unité d’un groupe est de lui présenter un ennemi commun ! Pour illustrer simplement, nous retrouvons souvent ce mécanisme dans nos familles : nous observons souvent à quel point il est facile de réconcilier une fratrie suite à une punition commune, quand ils peuvent nous prendre facilement comme objet commun de colère ! Inconsciemment, le groupe se fédère en désignant un bouc émissaire et retrouve une unité.
Il semble bien que dans le cas du harcèlement scolaire, le fait de désigner un enfant comme bouc émissaire reflète quelque chose du groupe. En sociologie, on parlerait de mécanismes pour la « survie du groupe ». Il nous appartient donc, à nous adultes, personnel de l’Éducation nationale ou parents, de comprendre comment améliorer et soutenir la santé collective du groupe afin qu’il ne tombe pas dans ces processus primitifs. Pour contrer ces processus, il convient d’explorer toutes les idées favorisant une meilleure dynamique de l’ensemble du groupe. Trouver un objet commun à réaliser ensemble ou une cause commune à soutenir permet souvent de renforcer l’estime de soi de chacun des membres et combat, indirectement aux racines, le besoin d’élire un bouc émissaire.
Source : Harcèlement : Existe-il des «caractéristiques» particulières de l’enfant victime et de l’enfant auteur ? - sur le site de l'éditeur Tom Pousse.
Au sujet du harcèlement scolaire, nous pouvons vous proposer cette sélection de documents disponibles dans nos collections.
En vous souhaitant une bonne journée,