Question d'origine :
Mr Mélenchon est souvent accusé d'antisémitisme. Y-a-t-il un antisémitisme d'extrème-gauche en france?
Réponse du Guichet

Depuis le 7 octobre 2023, la France connaît une forte recrudescence des actes antisémites, sur fond de tensions liées au conflit israélo-palestinien. Le sujet est largement instrumentalisé dans le débat politique, mais selon la CNCDH, l’antisémitisme reste plus marqué à l’extrême droite qu’à gauche, et aucun membre de La France insoumise n’a été condamné par la justice pour de tels faits à ce jour malgré de nombreuses sorties polémiques. Robert Hirsch estime que la gauche radicale n’a pas pleinement participé à la diffusion de l’antisémitisme, mais s’est plutôt montrée désarmée face à son renouveau, allant parfois jusqu’à le nier ou à en relativiser la gravité.
Bonjour,
Dès les années 2000, et le déclenchement de la Seconde intifada, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme fait l'hypothèse d'une corrélation entre les actes antisémites recensés en France et les soubresauts du conflit israélo-palestinien au Proche-Orient (CNCHD - La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, rapport - année 2018). On constate de nouveau une interdépendance entre les deux phénomènes depuis le 7 octobre 2023 et l'attaque du Hamas contre Israël, puisque la France connaît depuis maintenant près de 2 ans une recrudescence "alarmante" de faits antisémites. Un rapport des Assises de lutte contre l'antisémitisme, remis au gouvernement le 28 avril 2025, dresse un constat très inquiétant, dont voici quelques chiffres :
- 1 570 actes antisémites ayant donné lieu à un dépôt de plainte en 2024 (après 1 676 en 2023). 65% d’entre eux sont des atteintes aux personnes : 652 gestes ou propos menaçants et 106 violences physiques. Au premier trimestre 2025, on compte déjà 280 faits antisémites ;
- 1 670 faits antisémites en milieu scolaire et universitaire durant l’année 2023-2024, contre 400 en 2022-2023 (+317%). Les équipes académiques soulignent la récurrence des apologies du nazisme.
Source : Assises contre l'antisémitisme dans Montée de l'antisémitisme en France : une situation "alarmante", Vie Publique (2025)
Sur fond d'antisémitisme croissant et de guerre entre le Hamas et l’État d'Israël (dont les dirigeants sont poursuivis par la CPI pour crimes contre l'Humanité), personnalités publiques et partis politiques s'emparent de la question juive pour la transformer en sujet politique. Guillaume Erner, sociologue journaliste à France Culture, qualifie cette omniprésence de "Judéobsession" (Flammarion, 2025), et exprime sa lassitude, comme ici dans la matinale à Radio France :
Il me semble qu’il y a assez à dire dans le programme du RN, comme dans celui de LFI, ou du parti que vous voudrez, pour que l’on ne vote pas en fonction de la question juive. Plus qu’une lassitude, je ressens même un épuisement face à cette judéobsession quotidienne, une judéobsession qui est devenue étouffante depuis le 7 octobre. Les problèmes des français sont connus : l’inflation, le logement, les services publics, la sécurité, l’identité. Pourquoi faut-il à tout pris y rajouter la question juive ?
Source : Le Rassemblement national est-il antisémite ? (France Culture, juin 2024)
Et en effet, parlementaires, ministres, éditorialistes, se livrent attaques et accusations d'antisémitisme par déclarations interposées, que ce soit dans les médias ou dans les différentes institutions politiques du pays, dans ce qui ressemble à une restructuration des placements dans l'échiquier politique, en fonction d'un soutien explicite/tacite à Israël et sa politique ou à la Palestine, et d'accusations diffamatoires, ou non, pour antisémitisme. Ce type d'articles, publié lors des élections législatives anticipées de 2024, est assez représentatif d'une époque qui n'hésite pas à utiliser la "question juive" comme argument électoral : Législatives 2024 : qui sont ces candidats RN qualifiés de racistes ou d'antisémites par Gabriel Attal lors du débat sur France 2 ? (France Info, juin 2024) ou Législatives 2024 : sur quoi reposent les accusations d'antisémitisme qui visent La France insoumise ? (France Info, juin 2024).
Extrême gauche et extrême droite sont donc souvent mis dos à dos par leurs adversaires politiques ou se renvoient la balle au sujet de ces questions. Pourtant, en juin 2024, la CNCDH avait clairement déclaré dans un rapport officiel que "l'antisémitisme reste "plus marqué à droite qu'à gauche" (rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie) :
Pour les chercheurs cités par la CNCDH, "il existe de l'antisémitisme à gauche, tout particulièrement à la gauche de la gauche, chez les proches des insoumis et des écologistes notamment", mais à un niveau "sans comparaison avec celui observé à l'extrême droite et chez les proches du Rassemblement national", estime le texte.
Source : L'antisémitisme reste "plus marqué à droite qu'à gauche", pointe le rapport annuel de la CNCDH (France Info, juin 2024).
Dans cette bataille politique, il est possible d'affirmer que la "complaisance de la gauche vis à vis de l'antisémitisme n'est pas résiduel", mais qu'une instrumentalisation de la question juive par l'extrême droite sert aujourd'hui à redorer l'image d'un parti aux représentants multi-condamnés, et fondé par d'anciens miliciens ou Waffen SS (Pierre Bousquet ou Léon Gaultier) : Les faux-semblants du Rassemblement national contre l’antisémitisme (Le Monde, 2024). C'est en grande partie ce qu'exprime l'analyse du journaliste Joseph Confavreux dans son article pour Médiapart : L’antisémitisme, fléau et piège de campagne (Juin 2024).
Il est compliqué de sonder l'ampleur du phénomène antisémite au sein de l'extrême gauche française. D'ailleurs, pour l'historien Aurélien Dubuisson (auteur de L'extrême gauche en France) sur Public Sénat, il ne serait pas possible de classer la France Insoumise au sein de cette catégorie. Plutôt en faveur d'une économie planifiée sans se déclarer anticapitaliste, et jouant sans hésitation au jeu des institutions par le biais des élections, LFI se démarque nettement d'autres mouvements d'extrême gauche. Cette erreur de jugement serait selon lui dû à une "droitisation de l'échiquier politique".
Quoiqu'il en soit, voici plusieurs articles qui accusent le parti et son leader de véhiculer des stéréotypes antisémites. Antisémitisme, absence de sensibilité, inconscience ou déni à vous de juger, il est difficile de tirer des conclusions, d'autant qu'aucun membre de ce parti n'a pour l'heure été condamné par la justice pour de tels faits : Antisémitisme : les fautes de Jean-Luc Mélenchon (Médiapart, 2023) 7-Octobre : ce que dit l’inflexion langagière de La France insoumise (Mediapart). Ou bien encore le cas de la très polémique affiche concernant Cyril Hanouna : Caricature de Cyril Hanouna : La France insoumise refuse de dire qui a validé l’affiche (Médiapart, 2025).
Le programme du Nouveau Front populaire, dont faisait partie la France Insoumise, exprimait pourtant très clairement sa volonté de lutter contre toutes formes de discriminations et de racismes, dont l'antisémitisme et l'islamophobie.
A l'opposée de nombreux intellectuels dénoncent une lage instrumentalisation de ces questions au détriment de la France Insoumise et de son projet politique.
Sur l'histoire de la gauche et en particulier de la gauche radicale, nous vous invitons à vous référer à cet ouvrage de Robert Hirsch publié en 2020 aux éditions le bord de l'eau, La gauche et les juifs, qui estime qu'au cours de ces dernières années, s'il n'a pas diffusé l'antisémitisme, ce groupe politique s'est trouvé désarmé contre le "renouveau de la haine anti-juive", a nié ou bien a eu tendance à relativiser cette résurgence. Voici certaines de ses explications :
L'explication principale réside dans le fait que cet antisémitisme a les caractères de celui du passé, mais est à présent dans des milieux nouveaux. C'est le cas d'une partie de la jeunesse immigrée, voir de milieux "blancs" en difficulté, comme l'a montré le mouvement des Gilets jaunes. C'est sans doute ce qui a perturbé cette partie de la gauche, gênée de devoir dénoncer un antisémitisme venu de catégories elles-mêmes discriminées ou en difficultés sociales. Sans parler du mélange de la question avec le drame palestinien. Force est de constater que la gauche radicale a eu autant de difficultés à dénoncer les dérives constatées dans le mouvement des Gilets jaunes qu'elle en avait eu à prendre en compte les actes antisémites accomplis par des jeunes de banlieue.
(...)
Les jeunes militants et militantes d'aujourd'hui sont bien loin des temps de l'après Seconde guerre mondiale. Contrairement à ceux de 68, leur radicalisation politique n'y est pas liée, même si ils sont antifascistes. Au niveau international, ils ont souvent été sensibilisés aux injustices du monde à travers la Palestine quand leurs aînés des années soixante avaient les yeux tournés vers le Vietnam. Cette nouvelle génération comprend moins de militants dont la famille a connu la Seconde guerre mondiale. Une partie est intéressée par les théorisations qui considèrent que les Juifs n'ont plus rien à craindre et ne font donc pas partie des catégories dont il convient de se préoccuper.
Source : La gauche et les juifs de Robert Hirsch (le bord de l'eau, 2020) (p. 102 - 103).
Pour finir, nous publions ce petit article de la BBC qui départage nettement les notions d'antisémitisme et d'antisionnisme pour éviter toutes confusions. Ainsi que ce podcast de France Inter : L’antisionisme est-il forcément un antisémitisme ? avec l'historien israélien Shlomo Sand.
Et la lecture de cet article : Pensées et impensés du « nouvel » antisémitisme Comment la haine des Juifs travaille les sociétés contemporaines. Revue du Crieur, sur Cairn.
Bonne journée,