La CNAV a-t-elle démenti cette rumeur ?

Bonjour, 

Oui, les rumeurs faisant craindre une fraude massive à l'Assurance retraite en Algérie, la faute à un versement des pensions incontrôlé à des retraités pourtant décédés, refait régulièrement surface dans les médias et sur les réseaux sociaux. 

Fin 2024, Cyril Hanouna sur l'antenne d'Europe 1 réactivait cette arlésienne en invitant Charles Prat, ex-candidat RN, qui affirmait sans contradicteur que les familles de dizaines de milliers de centenaires, morts depuis des années, continuent de percevoir les pensions de leurs aînés : 

"Vous avez des milliers, des dizaines de milliers de centenaires, mais largement dépassés, en Algérie, qui sont là-bas et qui vivent très bien. Mais en fait, on continue de leur verser leur retraite ce qui est tout à fait normal parce qu’ils ont travaillé sur le territoire français et qu’après ils sont retournés dans leur famille, sauf qu’ils sont morts depuis des années et des années et que personne n’a déclaré le décès, et on continue de verser. On a des centenaires qui ont 110 ans, 112 ans, 115 ans, mais par dizaines de milliers !"

Source :  CheckNews - Chez Hanouna, on ressuscite l’intox des «dizaines de milliers» de faux centenaires algériens percevant une retraite française (Libération, novembre 2024). 

Or cela fait des années que ces chiffres sont dans leur très grande majorité contestés par des journalistes ou experts du fonctionnement du système des retraites qui publient régulièrement des articles extrêmement fouillés et sourcés. L'erreur initiale serait cachée dans un rapport de la Cour des Comptes en date de 2010 dans lequel une citation tronquée de la DDS (direction de la sécurité sociale) et contestée depuis, véhiculait cette information erronée. Vous obtiendrez un rapport détaillé des circonstances qui ont mené à la circulation de cette intox grâce au journal Libération : Checknews - Est il vrai qu'il y a moins de centenaires recensés en Algérie que de centenaires algériens pensionnés par l'Etat français ?

Plus récemment, et en raison de la vitalité retrouvée par cette rumeur impérissable, le média indépendant Les Surligneurs, a lui aussi contribué à rétablir un peu de vérité. Si des pratiques frauduleuses ne sont pas à exclure, elle seraient limitées et bien inférieures aux chiffres malhonnêtes avancés :

Les dernières données sur le nombre de centenaires vivant en Algérie datent du recensement de 2008 : à cette époque, il y avait 650 centenaires dans le pays. D’après les chiffres de la Cnav en 2008, on comptait 441 centenaires résidant en Algérie et touchant une retraite française. Avec ces chiffres, il est possible de dire que 68 % des centenaires algériens bénéficiaient d’une retraite française en 2008.

On ne dispose pas d’un chiffre plus récent sur le nombre de centenaires algériens, mais d’après les chiffres de la Cnav, au 31 décembre 2023, il y avait environ 337 183 pensionnés du régime général français résidant en Algérie (c’est le lieu de résidence à l’étranger le plus prisé des retraités du régime général français). Selon cette dernière, la pension mensuelle moyenne de ces assurés est de 262 €.

Interrogée par les Surligneurs, la Cnav rapporte qu’à la même date, on comptait parmi eux 1 018 centenaires (0,3 % du total). On est donc bien loin des chiffres avancés par l’auditeur d’Europe 1.

Source : Non, il n’y a pas des dizaines de milliers de faux centenaires retraités français en Algérie - Les Surligneurs (2024). 

En raison des rumeurs tenaces, le service Agence France Presse Factuel s'est lui aussi penché sur la question l'an passé, prenant les devant auprès de la Cnav en sollicitant directement son directeur général, Renaud Villard, pour recevoir des chiffres actualisés et de plus amples informations. Il resterait des pensionnaires non identifiés, c'est à dire des personnes qui percevraient leur retraite sans que l'on puisse déterminer, malgré des sollicitations, si celles-ci sont encore en vie ou aujourd'hui décédées. Néanmoins une fois encore, les chiffres sont beaucoup plus bas que ceux relayés. Et si la Cnav ne s'est pour l'heure pas astreinte à la rédaction d'un rapport uniquement consacré à ce sujet, Renaud Villard a fait remonter à l'AFP que plusieurs opérations de vérification avaient débuté depuis plus de 2 ans maintenant et que les premiers résultats commencaient à tomber : 

Pour sa part, la Cnav a dépêché depuis deux ans au consulat d'Alger deux agents chargés de travailler sur "un échantillon beaucoup plus large, avec des profils plus à risques" de fraude du fait de leur âge avancé : "des personnes de 94 ans et plus, percevant une retraite jugée significative".

"A date, ils ont convoqué 2.611 personnes. Parmi elles, 1.604 se sont présentées au consulat et il s'avère que 1.565 sont en conformité, soit 60%" des 2.611, indique Renaud Villard. "Pour les 40% qui n'ont pas répondu, cela ne veut pas dire qu'ils sont tous morts", ajoute-t-il, en expliquant que venir au consulat à Alger peut être compliqué pour des personnes très âgées. Reste que "leur retraite a été suspendue", car "il y a un risque non nul qu'ils soient morts".

(...)

Si les taux de dossiers "fantômes" varient selon les méthodologies tout en restant élevés, les chiffres disponibles restent toutefois loin des 80% évoqués sur les réseaux sociaux.

Source : Attention aux chiffres exagérés sur "80%" de fraudeurs parmi les bénéficiaires de retraites françaises résidant en Algérie - AFP Factuel 

On apprend aussi qu'une commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales a bien été dépéchée en 2020 pour mieux comprendre ces irrégularités, dont certains résultats intéressants sont à retrouver dans l'article. 

Nous vous partageons néamoins cette image extraite de ce rapport, et qui correspond à peu près aux caractéristiques que vous souhaiteriez voir publiées :

Capture d'écran, réalisée le 16 septembre 2024, d'un encadré du Rapport de la commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

La fin de l'article rappelle des éléments essentiels de la nature de la fraude à l'assurance retraite et des modalités de fonctionnement de celle-ci : 

Selon le site de l'assurance retraite, 6.339 contrôles anti-fraude ont été réalisés en 2022. "Les fraudes et comportements fautifs détectés ont représenté 26,3 millions d’euros" tandis que "les fraudes et comportements fautifs évités", c'est-à-dire les sommes qui auraient pu être versées à tort et qui n'ont donc pas été versées après qualification du dossier en fraude, "ont représenté près de 160 millions d'euros" (archive).

Des chiffres faibles lorsqu'ils sont comparés aux 140 milliards d'euros de retraites versés à 15 millions de bénéficiaires de retraites françaises chaque année (archive).

"Même si les chiffres varient, les montants de fraude au décès sur les pensions de retraite sont très très faibles", souligne André Bernay, de l'Agirc-Arrco.

"Je suis le premier à dire qu'il faut lutter contre la fraude, et je ne dis pas que nous sommes les meilleurs, mais il y a beaucoup moins de risques de fraude [sur les retraites, NDLR] que sur les prestations sous conditions de ressources, car notre système est contributif : il faut avoir cotisé tout au long de sa vie pour bénéficier de sa pension", explique Renaud Villard, de la Cnav.

Source : Attention aux chiffres exagérés sur "80%" de fraudeurs parmi les bénéficiaires de retraites françaises résidant en Algérie - AFP Factuel

Pour d'autres sources à ce sujet voir : La fable des retraités centenaires qui touchent une pension française en Algérie fait pschitt (L'Opinion, 2024) ou Quel est le nombre de centenaires touchant une retraite à l'étranger ?. 

Enfin, nous vous transmettons ces documents officiels produits par la Cnav mais qui, il faut le croire, ont eu beaucoup plus de mal à circuler dans les médias ou sur les réseaux sociaux : Structure et mortalité des retraités d’Algérie (2021), Les retraités centenaires du régime général au 31-12-2023 (2024) ou encore le Recueil statistique du régime général 2023 sur 2022. 

Bonne journée,