Comment l'eau était-elle gérée sur ces sites historiques ?
Question d'origine :
Bonjour,
Merci de me communiquer des éléments de comparaisons entre les différents systèmes de maîtrise de l'eau
captation, acheminement, distribution pour des sites historiques remarquables :
Assur, Machu Pichu, Ninive, Petra, abbaye de Cluny, Oulan Bator, l'Alhambra ,Krak des Chevaliers
D'avance merci
Réponse du Guichet

Nous vous proposons quelques éléments d'information et références sur chacun des sites demandés.
Bonjour,
Concernant tout d'abord les villes d'Assyrie, Assur et Ninive, l'approvisionnement en eau se faisait grâce à l'eau de pluie, à des nappes souterraines et à partir de fleuves, via des aménagements comme des canaux, des aqueducs, des puits et des bassins.
Nous vous proposons tout d'abord quelques extraits de l'ouvrage intitulé Histoire de la Mésopotamie de Véronique Grandpierre qui explique dans un chapitre consacré à "L'alimentation en eau" des villes de Mésopotamie (page 196 et suivantes) :
L'alimentation en eau est cruciale, les rois en ont conscience, les récits de fondation le prouvent. Les puits existent en Mésopotamie dès le Néolithique. Les shadouf à balancier sont courants mais les qanat reliant par des galeries les nappes d'eau souterraines à plusieurs puits n'apparaissent qu'à partir du Ier millénaire av. J.C. en Syrie et dans le nord de la Mésopotamie. A Mari, dès le IIIe millénaire av. J. C. les eaux de pluie sont récupérées par des canalisations en céramique et en pierre afin d'être utilisées. Par ailleurs, plusieurs canaux sont aménagés à partir de l'Euphrate pour l'approvisionnement de la ville, la navigation et le développement des cultures (drainage et irrigation). Ils apportent l'eau nécessaire à la ville. [...]
Au XIIIe siècle av. J.C., à Dûr-Untas, un canal de 50 kilomètres apporte de l'eau jusqu'à un bassin de décantation situé à l'extérieur de la ville. A partir de ce bassin, neuf canalisations distribuent l'eau à l'intérieur des remparts. A Kar-Tukulti-Ninurta, le roi décrit la façon dont il a fait creuser le canal Patti-Mêsari (canal de justice) pour alimenter sa ville ; de même Assurnasirpal II fait creuser le canal Patti-Hegalli ("canal d'abondance") pour alimenter les habitants de Kahlu et irriguer ses jardins. Senna-chérib, quant à lui, construit tout un réseau pour alimenter en eau les villes d'Arbèles, Kilizu, Kalhu et Ninive. L'ensemble se compose de barrages, de bassins de décantation, d'un pont pour traverser la vallée de Girmua, une partie souterraine pour arriver à Arbèles. [...]
Les restes de cet aqueduc (275 mètres de long, 22 mètres de large sur cinq arches) ont été retrouvés dans les années 1930 par des fouilleurs américains.
Voici un autres extrait, issu de l'ouvrage intitulé L'Empire assyrien : histoire d'une grande civilisation de l'Antiquité / Josette Elayi (pages 135-136) :
Les travaux hydrauliques se développent en Assyrie à partir du XIIIe siècle, en relation avec les restaurations d'anciennes cités et les fondations de nouvelles capitales. L'eau du Tigre ne pouvait pas être utilisée, en raison des différences de niveau et des fortes fluctuations du débit. Il fallait aller chercher l'eau dans les rivières des régions montagneuses du nord. Assurnasirpal II se vante d'avoir creusé le "canal de l'abondance", long de 18 kilomètres, à partir du Zab supérieur, pour irriguer les champs en bordure du Tigre et produire des arbres fruitiers et de l'orge. Le projet hydraulique le plus ambitieux est celui de Sennachérib pour irriguer la région de Ninive et fournir l'eau nécessaire à la capitale. Il fait construire un système de quatre canaux sur une longueur de plus de 150 kilomètres, ainsi que des tunnels, des barrages et des aqueducs comme celui de Jerwan.
A lire aussi :
L'Assyrie au Ier millénaire av. J.-C. : L’agriculture et les ressources
Les capitales Assyriennes : Ninive et Assur
Au Machu Pichu, on retrouve des canaux d'irrigation : "l'eau conservée dans des bassins immenses, était conduite par voie souterraine le long de canaux artificiels de drainage construits en pierre.
Cette technique était préinca et la civilisation de Cuzco la perfectionna, l'adoptant pour des territoires toujours plus vastes."
source : Le Machu Picchu : la montagne perdue des incas / Francesco Silvestri
En page 89 et suivantes de l'ouvrage intitulé La civilisation de l'Empire Inca, Rafael Karsten revient sur ces canaux pavés en pierre :
"l'eau descendait des montagnes où l'on a découvert, de nos jours, les restes de grands réservoirs cimentés. Au bas des vallées, ils se ramifiaient en tous sens pour arroser durant toute l'année les terres cultivées. Il existait même des écluses permettant de contrôler le volume d'eau. Les ingénieurs durent se heurter à des difficultés considérables dans les montagnes. Le réseau des aqueducs n'en fut pas moins étendu à de très vastes territoires."
Voir aussi : Machu pichu : Seize fontaines successives / Bnf
A Pétra, il existait également un système hydraulique qualifié de "petit" par Pierre Gentelle. Voici un court extrait de son article que nous vous invitons à consulter dans son intégralité :
On relève des citernes, des canalisations, des ouvrages en pierre dans les défilés pour retenir les eaux pluviales, des escaliers taillés dans le roc pour accéder aux uns et aux autres, des déversoirs de citerne en citerne, des rigoles menant depuis des abris rudimentaires aux somptueux tricliniums creusés dans la roche et décorés de peintures. On découvre aussi quelques arches supportant d’étroits aqueducs pour passer d’une falaise à l’autre, sans changer de niveau. Tous ces ouvrages minutieux et bien exécutés au pic ont un caractère commun : ils sont de petite taille. On ne peut s’empêcher de penser aux rigoles et aux petits bassins de rétention que les nomades à long rayon d’action creusent dans les terres meubles des plaines où ils établissent provisoirement leurs tentes. Tout, à Pétra, en ce qui concerne l’eau, est petit. Et, puisqu’il s’agit d’une capitale, on devrait trouver dans tout le territoire de la Nabatène des exemples nouveaux, destinés à conforter cette image ou à l’invalider. Disons-le en une phrase : pour ce qui concerne la période antérieure à la colonisation romaine, les études archéologiques confirment cette interprétation, que ce soit au Negev (Elusa, Avdat…), en Arabie du Nord-Ouest ou en Syrie (Bosra…). Dès que l’on trouve un aménagement de quelque ampleur et régularité, canalisation ou bassin construit, on aperçoit aussitôt la marque de l’hellénisme orientalisé d’abord, de Rome ensuite et, plus tard, celle de Byzance .
source : Gentelle Pierre. « Aménagement du territoire agricole de la ville de Pétra : la terre et l’eau ». Stratégies d’acquisition de l’eau et société au Moyen-Orient depuis l’Antiquité, Presses de l’Ifpo, 2009.
Lire aussi : Histoire de la gestion de l'eau à Pétra / Wikipedia
A Cluny, de nombreuses fontaines, alimentées par des sources abondantes, alimentaient les habitations en eau potable. (source : Cluny : la ville et l'abbaye de Auguste Penjon). Des digues et canaux ont également été aménagés :
La ville est située en fond de vallée au confluent de la Grosne et d'un ruisseau qui prend sa source dans les collines à l'ouest, le Médasson. C'est une situation favorable pour le développement d'une ville et les premières implantations humaines se situent sur la colline Saint-Mayeul puis à proximité de ce confluent. La Grosne coule alors en contrebas et sépare un autre quartier de la ville, le faubourg Saint-Marcel. L'émergence de l'abbaye paraît cependant difficile à proximité de ces cours d'eau qui inondent parfois la cité. Les hommes vont alors réaliser des aménagements d'ampleur qui vont leur permettre de se préserver des inondations tout en gardant le bénéfice d'un accès facilité à l'eau. Une digue de 370m de long et de 42m de large est construite en amont de la ville et engendre l'apparition d'un étang (le Grand-Étang). La Grosne contourne alors cette digue et s'installe dans son lit actuel. Une autre digue, dite "de la Servaise", protège la ville à l'est. Des déchargeoirs viennent traverser la digue du Grand-Étang. Ils alimentent des canaux qui permettent le fonctionnement de moulins et l'alimentation en eau des artisans bouchers ou tanneurs. C'est le cas notamment du déchargeoir "ouest" qui vient alimenter un moulin situé sur la digue dans une tour fortifiée : "les Quatre-Moulins". Rejointe par le Médasson, la rivière de la Chaîne vient elle aussi faire tourner les roues d'un moulin qui est le véritable centre du dispositif hydraulique de Cluny. C'est le moulin de l'abbaye dont la tour (la Tour du Moulin) domine encore les rues Filaterie et Lamartine. La rivière de l'Éclouze suit l'ancien cours de la Grosne et traverse la rue principale au niveau de la place du Commerce après avoir suivi une rue logiquement nommée "rue Petite rivière". Comme le Médasson (voir page suivante), ces canaux assurent aussi à l'époque la fonction de réseaux d'assainissement. Ils existent encore aujourd'hui et passent sous nos rues ou sous nos habitations pour évacuer les eaux pluviales vers la Grosne. Situé au nord de la ville, l'Étang Vieux a en revanche disparu. Il avait été créé à la faveur de la construction d'une autre digue toujours visible depuis la route de Massilly et alimentait d'autres moulins en aval.
Des dispositifs plus modernes viendront compléter cette organisation qui, des siècles plus tard, reste parfaitement opérationnelle. C'est le cas du barrage chemin Georges Malère installé pour réguler le flux de la Grosne.
source : Ensemble, magazine d'information municipale de Cluny n°11 - juillet 2023
Lire aussi : Aménagements hydrauliques : le cas de Cluny / réd. Gilles Rollier
Le système hydraulique du plus abouti des palais musulmans d’Espagne se trouve à l'Alhambra.
Mohammed El Faïz, historien de l’agronomie et des jardins arabes (disparu en 2017), situait en effet l’âge d’or de l’hydraulique arabo-musulmane entre le 9e et le 11e siècle. "Diversité des canaux, édification de ponts, de barrages et de digues, multiplication des ouvrages de protection contre les crues, dérivation du cours des fleuves… Basés sur une riche expérience de terrain, des progrès considérables ont alors été réalisés dans la maîtrise et l’exploitation des eaux souterraines et de surface", rappelait-il à l’occasion de l’exposition "Jardins d’Orient" à l’Institut du monde arabe, à Paris, en 2016.
Quatre canaux, comme les quatre fleuves du paradis
Mohammed Ier et ses ingénieurs disposent aussi d’une autre alliée : la Sierra Nevada elle-même. La déclivité du terrain leur permet en effet de tirer parti de la gravité. En amont du site de l’Alhambra, ils créent un lac artificiel pour accroître la pression de l’eau, propulsée ensuite dans un canal, l’acequia real. Reste, pour qu’elle rejoigne la citadelle, à lui faire franchir trois collines. Les ouvriers creusent un tunnel, large d’un mètre et haut de deux, ponctué de puits destinés à en faciliter l’entretien.
Peu avant l’arrivée, l’acequia se divise. Le tronçon principal enjambe un vallon en empruntant un aqueduc. Après 6 kilomètres d’un trajet périlleux, l’artère vitale est enfin raccordée au palais. La seconde branche, elle, prend la direction du Generalife. Bâtie en 1319 sur l’autre rive du Darro, cette résidence d’été des souverains nécessite d’autant plus d’eau qu’elle abrite nombre de potagers et vergers. Pour pallier les sécheresses, mais aussi réguler la pression et contrôler la répartition de la ressource, les ingénieurs ont prévu, en surplomb de l’édifice, des réservoirs alimentés grâce à un moulin actionné par un âne. L’animal fait tourner une roue horizontale qui en entraîne une autre, verticale, munie de godets qui plongent dans l’acequia et se vident dans les citernes. À l’inverse, en cas de surplus, une vanne de sécurité dévie le trop-plein vers une voie parallèle qui rejoint le Darro plus en aval.
Ainsi captée et canalisée, l’eau peut remplir sa mission nourricière. "Un réseau de canaux rustiques, bordés de briques, irriguent les parcelles situées autour du Generalife, où poussent encore aujourd’hui de la vigne, des artichauts et des fèves", explique Michel Audouy, professeur à l’École nationale du paysage. Bien évidemment, l’eau de pluie est récupérée. "Elle ruisselle dans des gouttières ponctuées de gargouilles qui la déversent dans d’autres canaux", poursuit le paysagiste.
source : L'eau, l'architecte des jardins de l'Alhambra / Sciences et avenir. Vous pourrez consulter cet article dans son intégralité via notre base de données Europresse
A lire aussi :
La « Acequia Real » à travers les documents des Archives de l’Alhambra de 1492 à 1829 / Vicente Beaufils, Bénédicte
Nous vous invitons à consulter cette thèse en ligne, notamment sa partie I.
Eau de l'Alhambra / Wikipedia
Entre public et privé, l’alimentation en eau de Cordoue / Mazzoli-Guintard, Christine. Villes méditerranéennes au Moyen Âge, édité par Élisabeth Malamut et Mohamed Ouerfelli, Presses universitaires de Provence, 2014, https://doi.org/10.4000/books.pup.25499.
Oulan Bator connait aujourd'hui des problèmes sanitaires en matière d'approvisionnement en eau et d'assainissement comme l'indiquent cet article de la fondation Veolia : Eau potable et assainissement : des solutions à trouver pour Oulan Bator ainsi que ce rapport de 2020 : Overview of Mongolia’s water resources system and management a country water security assessment.
"Puissante forteresse des États Hospitaliers de Terre Sainte, le Crac des Chevaliers était également une caserne accueillant une garnison importante, composée des chevaliers de l'Hôpital, de leurs sergents et de l'échelon d'intendance nécessaire, ainsi que de troupes supplétives soldées pouvant amener la garnison à atteindre plus de deux milliers de personnes. Les questions relatives à l'approvisionnement en eau y étaient donc cruciales ; celles relatives à l'évacuation des déchets et des excréments l'étaient aussi, l'un ne pouvant être indépendant de l'autre." (source : CeCab)
Dans leur ouvrage intitulé "Le Crac des Chevaliers", Jean Mesqui et Maxime Goepp abordent la question de la gestion de l'eau dans un chapitre intitulé "Les fonctions sanitaires et la gestion de l’eau".
Voici un résumé de leurs travaux :
L’eau joue également un rôle capital dans la défense d’un château via les douves et les fossés. Les plus remarquables sont sans doute les fossés ou birqa du Crac des Chevaliers, présenté par Jean MESQUI, alimentés par un aqueduc. On y retrouve de petites citernes et un réseau de canalisations par des conduites au sol, auquel s’ajoute un système de recueillement des eaux sur toutes les terrasses. « Les descentes d’eau se font de façon classique ; par gravitation dans des vasques, puis par transmission dans des descentes verticales, toutes assurées par des conduites ménagées dans les murs puis cachées par pierre ». Jean MESQUI énonce une grande nouveauté dans ce fossé en eau dans lequel se déversent les canalisations, et pose la question d’une éventuelle continuité de ces fossés en eau autour du noyau central, ce qui impliquerait un fonctionnement de l’eau entre deux enceintes.
source : Colloque « L’eau dans le château » du 18 au 20 octobre 2013 : Compte-rendu
Comme vous l'avez constaté, nous nous sommes limités à fournir quelques références pour chacun des sites demandés. Si vous souhaitez approfondir un thème plutôt qu'un autre, merci de poster une nouvelle question ne comportant qu'un seul sujet d'étude. Nous pourrons alors consacrer davantage de temps à nos recherches.
A lire pour aller plus loin :
Au fil de l'eau : ressources, risques et gestion du néolithique à nos jours / études réunies et présentées par Christèle Ballut et Patrick Fournier
L'Eau dans l'Antiquité : l'hydraulique avant notre ère / Jacques Bonnin
La gestion de l'eau dans les civilisations de l'Asie / Actes d'un colloque organisé par l'Académie des inscriptions et belles-lettres ; la Société asiatique ; et le Collège de France ; édition Jean-Michel Mouton et Nicolas Grimal
L'eau et les villes / sous la direction de Tobias Boestad, Pauline Guéna
H2O : la fascinante histoire de l'eau et des civilisations, de l'Antiquité à nos jours / Giulio Boccaletti
Bonne journée.