Qu'évoquent les "cornes de Samson" dans ce vieux guide sur Saint-Etienne et le Forez ?
Question d'origine :
Bonjour
Dans le guide de St Etienne et du Forez publié par le syndicat d'initiative de la Loire entre 1906 et 1912 que j'ai consulté dans vos fonds en ligne, on y trouve une expression curieuse : "les cornes de Samson" dans la phrase suivante :
"Les éloges sur St-Etienne ne tarissaient pas en gravissant la colline surmontée par les CORNES DE SAMSON (en majuscules dans le texte) d'où la vue est en effet assez originale et supérieure à ce qu'on peut rencontrer dans d'autres villes industrielles..." (p. 21 sous la photo, voire piece jointe)
Je souhaite savoir à quoi fait référence cette expressoion. Le savez vous? Un monument/le nom d'un établissement disparu? évocation d'autres choses? De quelle colline parle le texte? Mes recherches n'ont jusque là rien donné ni mes demandes auprès des associations locales du patrimoine.
En vous remerciant par avance
Pierre H.

Réponse du Guichet

L'expression "Les cornes de Samson" semble faire référence au héros biblique légendaire du Pilat qui aurait laissé la trace de son pied sur un rocher au-dessus de Chuyer, aujourd'hui surmonté par la croix de Pilherbe depuis laquelle "une jolie vue se dégage sur le village niché au pied du Mont Ministre, et de l’autre côté vers les sommets du Pilat, le Pic des Trois Dents et l’Œillon".
Bonjour,
Vous souhaitez comprendre la signification de l'expression "les cornes de Samson" présente dans le guide de St Etienne et du Forez publié par le syndicat d'initiative de la Loire entre 1906 et 1912.
La bibliothèque numérique de la Bnf, Gallica, cite le nom de Samson concernant l'histoire de Saint-Étienne dans le numéro du 28 août 1853 du titre de presse "L'Industrie : journal du commerce et du travail dans le département de la Loire" :
Variétés. Études historiques de le Forez. Première étude. Les ancêtres des comtes de Forez. Le Forez fut compris dans un vaste gouvernement qui s'étendait sur le Dauphiné, le Lyonnais, le Beaujolais, etc. Ses premiers comtes furent Warnier, Gérard, surnommé de Roussillon, habitué à résister à l'autorité des rois fainéants. De son mariage avec Frenande, fille de Waifre, il eut Samson. Samson laissa un fils, surnommé comme son aïeul, Gérard. Gérard de Roussillon était comte vers l'an 850, etc.
Le site de presse de la Bnf Retronews présente le journal ainsi :
Fondé en 1845, ce journal d'abord intitulé "le Mémorial judiciaire de la Loire" est, comme son nom l’indique, un journal judiciaire. D’abord hebdomadaire puis quotidien, il est rebaptisé "L’Avenir républicain" en 1848, puis "L’Industrie" en 1852, puis "le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire" en 1854, nom qu’il raccourcit quelques quatre-vingt-ans plus tard en "Le Mémorial". Collaborationniste, le journal est interdit en 1944.
Pour autant, le nom de ce comte ne semble pas avoir de lien manifeste avec "les cornes de samson" courronnant la colline dont fait mention le texte joint à votre question.
Deux autres références du nom propre Samson sont en lien avec l'histoire toponymique de la région du Forez. Il s'agit du Sentier du But de Samson, désignant une haute pierre de près de 5 mètres, pesant plusieurs dizaines de tonnes. Cette météorite égarée fut, semble t-il, pendant de nombreux siècles un lieu de culte, tant païen que chrétien et se trouve près du lieu-dit Les Ravières. Il existe également la mention du pied de Samson, dans le village de Chuyer :
L'empreinte d'un pied est creusée dans une dalle rocher orientée face au soleil levant. La légende dit que le géant Samson se tenait à cheval au-dessus du Rhône, un pied dans le Pilat, l'autre dans le Dauphiné et buvait dans le fleuve.
Source : Le site de la commune de Chuyer
Cette mention du géant Samson est employée par Patrick Berlier lors de sa présentation de la croix de Pilherbe, située sur le piémont entre la vallée du Rhône et les Crêts du Pilat, depuis laquelle "une jolie vue se dégage sur le village de Chuyer, niché au pied du Mont Ministre, et de l’autre côté vers les sommets du Pilat, le Pic des Trois Dents et l’Œillon" :
C’est une haute croix de pierre, aux branches fleurdelisées enserrées dans un cercle garni de perles, selon la mode celtique très en vogue au XIXe siècle. Elle est plantée sur un socle de section carrée orné d’une Piéta côté nord, lui-même posé sur un large piédestal en escaliers. Une inscription, côté sud du socle, nous apprend que le 6 août 1876 la population affligée a fait le vœu d’ériger ce monument, et de s’y rendre chaque année en procession le 3 mai (jour de l’Invention de la Sainte-Croix), « pour la préservation de la grêle et des autres fléaux dévastateurs ». Dans les croyances populaires et ancestrales, c’est en effet en cet endroit que naissaient les plus horribles tempêtes, la grêle venant détruire les récoltes sur pied en un instant. D’où ce nom de Pilherbe, qui vient de « pile herbe ». Depuis que la croix et sa procession existent, suite à ce vœu, le lieu maudit a semble-t-il été exorcisé. Il faut ajouter qu’on en a profité pour masquer à jamais, sous le large piédestal, un rocher creusé d’une alvéole, qui n’avait semble-t-il pas une bonne réputation. D’après Georges Pétillon, qui dressa un inventaire des richesses archéologiques du Pilat, connu sous le nom de Dossier Pétillon, il s’agissait en réalité du second Pied de Samson. On sait qu’au flanc du Mont Ministre, près du lieu dit Bonnebouche, un rocher porte la trace d’un énorme pied, trace naturelle pour les uns, creusée par l’homme pour les autres, que la légende a attribué au géant Samson. Celui-ci l’aurait laissée en se baissant pour boire l’eau du Rhône. On en a conclu qu’il se tenait à cheval au-dessus du fleuve, mais la légende ne dit rien de tel. Il avait peut-être bien les deux pieds côté Pilat, le second à l’emplacement de la croix de Pilherbe, soit il faut bien le dire au même niveau que le premier, et dans une position parallèle par rapport au Rhône.
Source : Patrick Berlier sur le site d'histoire locale Regardsdupilat.free.fr
L'auteur pré-cité revient largement sur la légende des géants du Pilat :
Ce titre surprend sans aucun doute. Des géants dans le Pilat ? Oui, il y a bien ces arbres, les sapins géants du Grand Bois ou de la forêt de Taillard, mais pourtant les géants dont il va être question étaient bien des hommes. En effet dans les croyances populaires il ne manque pas de traditions relatives à des géants. La Bible les évoque, ce sont les Nephilim de la Genèse, les enfants que les fils de Dieu ont eu avec les filles des hommes, ou encore Samson à la force surhumaine [...] On le sait moins, mais des traditions analogues existent dans le Pilat, et nous allons tenter d'en faire le tour [...]
Parmi les géants légendaires du Pilat, Gargantua célébré par Rabelais a naturellement sa place. Tout d'abord son nom est forgé sur la racine GAR (« pierre, lieu pierreux » dans les langues anciennes) qui a aussi formé les noms du Gier et du Jarez. On a vu Gargantua un peu partout en France, et pour le Pilat c'est le Crêt de Thorée qui est désigné comme son lieu de résidence. On dit que le géant s'y tenait assis, et pour passer le temps il s'amusait à jeter des cailloux dans le Rhône, au niveau de Saint-Pierre-de-Bœuf. Les pierres, qui pour Gargantua n'étaient que des cailloux, étaient des rocs énormes, lesquels en s'écrasant dans le Rhône auraient formé l'Île de la Platière.
L'autre célèbre géant légendaire du Pilat est le héros biblique Samson, qui aurait laissé la trace de son pied sur un rocher au-dessus de Chuyer. Il faut aller jusqu'au hameau de Bonne-Bouche, puis prendre à gauche la route goudronnée qui rejoint le lacet de la D 30. À peu près à mi-chemin, un sentier balisé grimpe à droite sur le coteau. On passe d'abord par un rocher creusé d'un siège (peut-être la trace de l'enlèvement d'une meule), dans lequel les anciens voyaient s'asseoir le géant, et auquel ils donnaient le nom irrévérencieux de « Cul de Samson ». Le sentier poursuit sa grimpette et finit par arriver sur une grande dalle de pierre, dans laquelle on observe ce qui ressemble à la trace d'un pied, géant en effet car il ne mesure pas moins de 43 cm de long. C'est le célèbre « Pied de Samson ».
La légende dit que le géant aurait laissé cette empreinte en se baissant pour boire l'eau du Rhône. Il y aurait donc en toute logique un second « Pied de Samson ». Georges Pétillon, qui fut l'un des dirigeants du Parc Naturel Régional du Pilat à sa création en 1974, nous apprend par ses fameuses "Fiches archéologiques" que ce deuxième pied se trouvait sur un rocher près du hameau de Pilherbe, toujours dans la commune de Chuyer. Il n'est plus visible aujourd'hui car c'est sur ce roc que l'on a implanté la croix de Pilherbe en 1876.
Samson aurait-il également laissé la trace de sa main gauche, lorsqu'il se baissa pour prendre de l'eau dans la Rhône avec sa main droite ? Une telle empreinte existe pourtant, près du hameau du Gonty, commune d'Échalas, sur ou plutôt sous une roche à cupules bien connue nommée « Pierre Blanche » ou « Pierre Guittard ». Cette empreinte en creux apparaît quand le soleil couchant vient en souligner les reliefs, et cette main géante pourrait bien être celle de Samson, même si aucune tradition légendaire ne le signale.
À noter que Georges Pétillon, passionné d'archéologie et premier directeur adjoint du Parc Naturel Régional du Pilat, a effectué de nombreuses recherches sur le terrain, et mené plusieurs campagnes de fouilles. Il réalisa l'une des premières publications du Parc, un ensemble de fiches archéologiques qui connut deux versions, l'une pour le grand public sous le titre "Si le Pilat m'était conté", l'autre à l'attention des chercheurs, des enseignants, des associations et des élus. Cette seconde version, complète et détaillée commune par commune, est simplement intitulée "Fiches archéologiques". (Source : Moulin à vent).
Disponible sur la plateforme Europresse (consultable avec un abonnement BmL), l'article du Progrès du 13 mars 2002 "Les légendes de Duerne" fait mention de la légende du géant Samson dans la région du Forez :
Les légendes de Duerne font rêver les enfants. Le Crêt des Fayes, perché sur une colline, est un site où les Gaulois offraient des sacrifices à la déesse, la lune. La légende raconte qu'un veau d'or serait enseveli sous ses pierres ; nos recherches dans ce petit bois mystérieux rempli de gros rochers n'ont rien donné ; nous étions pourtant motivés. Un gros rocher situé au Moulin du Pêcher aurait été lancé par un géant, Samson du Mont Pilat. On distingue encore à la surface de cette immense pierre ce qui pourrait être l'empreinte de ses doigts.
Nous pouvons ainsi faire l'hypothèse que l'expression "Les cornes de Samson" fait référence au héros biblique légendaire du Pilat qui aurait laissé la trace de son pied sur un rocher au-dessus de Chuyer. Les cornes pouvant ici faire référence, dans un sens toponymique, à l'angle délimitant le lieu en question (voir la définition du CNTRL). Dans un sens anatomique, les cornes désignent les saillies d'un corps humain et même par métonymie, un chausse pied !
Vous trouverez ci-dessous les sources à consulter pour approfondir votre recherche.
Sources bibliographiques du Web
Pétillon Georges, 1973-80 - Fiches Archéologiques, publication du Parc Naturel Régional du Pilat, 67p.
Pétillon Georges, 1980 - Il était une fois... le Pilat… , publication du Parc Naturel Régional du Pilat, 22p.
Joisten Alice, Abry Christian. Gargantua dans la Drôme. In: Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d'ethnologie, n°1-4/1992. Êtres fantastiques dans les Alpes. Recueil d'études et de documents en mémoire de Charles Joisten (1936-1981) pp. 331-345.
Bresc Henri. Le temps des géants. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 13ᵉ congrès, Aix-en-Provence, 1982. Temps, mémoire, tradition au Moyen-Âge. pp. 243-266.
Parc naturel régional du Pilat, Massif du Pilat : les crêts, la Drôme, les hauts plateaux, le Jarez, le Piémont rhodanien : balades à pied : 45 circuits de petite randonnée, Clermont-Ferrand, Chamina, 1998, 128 p. [randonnées] / Tijou et al. 1998 : Christian TIJOU, Georges PETILLON, Georges MARAS, Gérard BADIOU, Jean CARTON, Philippe VOUILLON, Anne GUILLEMAIN, Pierre ENJELVIN, Chamina [association pour le développement du tourisme et des loisirs de randonnée]
Zoom sur les mégalithes du bois du vieux moulin (Le Progrès - 17 juil. 2019)
SAMSON (XIIes. av. J.-C.) (Article Encyclopédie universalis)
Documentation présente à la BmL
Le livre des géants [Livre] : mythes, histoires et légendes / Henry Wysham Lanier ; traduit de l'anglais par Grégoire Ladrange, 2021
Contes et légendes du Pilat, du Jarez et du Gier [Livre] / Carmen Montet, 2019
Guide du Pilat pittoresque / [Livre] / Jean Combe / préf. de Michel Durafour, 1973
Le Mont-Pilat [Livre] : contes et légendes / Jean Combe, 1980
Mon Pilat [Livre] : étymologies, rêves, légendes et réalités / Noël Gardon, 1993
A la découverte du Pilat. 1 [Livre] / Patrick Berlier, 2000
Les Roches de Merlin [Livre] : légendaires sentinelles du Pilat / Patrick Berlier, 1986
Balades préhistoriques au Mont Pilat [Livre] / Stéphane Orsier, 2011
Le Pilat insolite... [Livre] : entre chien et loup / Louis Challet, Bernard Plessy, 1981
N'hésitez pas également à contacter les archives départementales de la Loire et les archives municipales de Saint-Étienne.
Bonnes recherches à vous,