Quelle est l'origine des pyramides, géographiquement mais aussi mathématiquement ?
Question d'origine :
bonjour, quelle est l'origine des pyramides (géographiquement mais aussi mathématiquement) ? cdlt
Réponse du Guichet

Il est aujourd'hui admis que la première pyramide de l’histoire est la pyramide à degrés du roi Djéser (ou Djoser), construite par l’architecte Imhotep sous la IIIe dynastie égyptienne (vers - 2700), près de Saqqarah, à 30 km au sud du Caire. L'origine mathématique des pyramides est plus difficile à définir. Est-ce une construction culturelle égyptienne ou bien une forme géométrique qui lui préexistait ? Difficile de trancher. Nous vous partageons toutefois les études de spécialistes qui ont tenté de faire l'état des connaissances mathématiques et géométriques en Égypte antique au moment de la construction des plus anciennes pyramides.
Bonjour,
Pour répondre à votre question sur l'origine géographique des pyramides, nous avons confronté de nombreuses sources, aussi bien sur internet que dans nos collections. Par chance, les égyptologues, archéologues et autres spécialistes de l'histoire antique semblent s'accorder sur une date et un lieu pour le monument qui est considéré, à ce jour, comme la première des pyramides. Déterminer qui de la forme ou de l'édifice a préexisté à l'autre est en revanche plus compliqué. Nous vous partageons un état des lieux des connaissances probables en géométrie et mathématique des Égyptiens lors de la construction des plus anciennes pyramides.
La première pyramide à degré aurait été construite sous la IIIe dynastie égyptienne par l'architecte Imhotep près de la nécropole de Saqqarah (à 30 km au sud du Caire), proche de Memphis (capitale de l’Égypte antique). C'est le tombeau du roi Djoser ou Djéser, vers 2667-2648 av-J-C, qui marque le renouveau des sépultures royales. Une photo prise au 19ème siècle de la pyramide est visible sur le site de la Bibliothèque nationale de France.
Conseiller et architecte du roi, Imhotep est souvent considéré comme le père de l'architecture monumentale de pierre. Il fut divinisé (dieu de la médecine) et son culte gagna même la haute Égypte. Son image figure même sur plusieurs temples gréco-romains (Universalis - Imothep). Pourtant, d'autres constructions monumentales non pyramidales, utilisant des degrés lui auraient préexisté selon Damien Agut et Juan Carlos Moreno-García :
A partir du règne de Djéser (2667-2648), la région memphite devient le lieu exclusif de la nécropole royale. Cette concentration de moyens en un seul point du royaume permit probablement l'édification d'un édifice de type nouveau : la pyramide à degrés qui se dresse, encore aujourd'hui, sur le plateau de Saqqarah.
Il ne faut pas exagérer l'importance de l'aspect architectural de cette rupture. La pyramide de Djéser n'est pas le premier édifice monumental en pierre bâti en Égypte. Des structures monumentales réalisées dans ce matériau ont été repérées sur le plateau de Saqqarah, non loin de la pyramide de Djéser. Une équipe japonaise y a découvert une autre construction, présentant, elle aussi, des degrés.
(...)
En résumé la capacité à construire des bâtiments en pierre de taille est antérieure au règne de Djéser.
Source : L’Égypte des pharaons : de Narmer à Dioclétien : 3150 av. J.-C.-284 apr. J.-C / Damien Agut, Juan Carlos Moreno-García (Belin, 2022) (p. 113)
Cet article publié dans National Geographic constitue un bon résumé de l'histoire des premières pyramides, rappelant que le perfectionnement des règles de construction des pyramides s'est structuré sur le temps long. Si l'histoire retient le précurseur Imhotep ou l'incontournable Kheops, vous découvrirez aussi dans cet article le pharaon Snefrou, père de Kheops, sous lequel des avancées considérables dans l'histoire des constructions pyramides auraient été réalisées :
L’histoire des pyramides remonte, au moins, au règne de Djéser (2667-2648), qui fit bâtir l’édifice à degrés qui domine son complexe funéraire à Saqqarah. Les progrès techniques les plus spectaculaires eurent lieu toutefois quelques décennies plus tard, sous Houni (2637-2613), mais surtout sous son successeur, Snefrou (2613-2589). C’est en réalité sous le règne de celui-ci que la totalité des solutions techniques mises en œuvre pour construire les pyramides à faces lisses furent découvertes. Solutions que s’empressa de reprendre Kheops (2589-2566), le commanditaire de la première des célèbres pyramides de Gizeh.
C’est en effet sous Snefrou que l’on passa d’un empilement de structures rectangulaires de plus en plus petites, comme c’est le cas dans la pyramide à degrés, à la réalisation d’un solide pyramidal de base carrée, aux proportions cyclopéennes. Cette transformation de la forme des tombes royales entraîna tout naturellement son lot de tâtonnements et de ratages. Des errements dont témoignent les trois pyramides qui se dressent toujours à Dahchour et à Meidoum, respectivement à 25 et 60 kilomètres au sud du Caire.
Source : Premières pyramides : un génie technique vieux de 5000 ans - National Geographic.
L'histoire de la pyramide et de la nécropole est aussi très bien racontée dans l'article Wikipédia : Complexe funéraire de Djéser (article de qualité, labellisé en 2009). Le spécialiste incontournable de ce site serait l'égyptologue Jean-Philippe Lauer (1902 - 2001), son étude fut l’œuvre de sa vie. Nous possédons dans nos collections l'un de ses ouvrages : Saqqarah : une vie / Jean-Philippe Lauer ; entretiens avec Philippe Flandrin (Rivages, 1988) (livre à consulter sur place), l'archéologue y raconte notamment la conception "empirique" de la pyramide de Djéser :
C'est ainsi que Quibell et moi sommes parvenus au noeud de l'affaire. Car la pyramide à degrés n'a pas été construite en un seul mais en trois temps. On a d'abord édifié un mastaba initial, un édifice carré qui constitue la base de la pyramide. Puis on a construit une pyramide à quatre degrés avant de passer à six degrés.
On n'avait encore jamais vu à cette époque, un tombeau s'élever à pareille hauteur, pas plus qu'un ensemble monumental couvrant une telle superficie, le tout réalisé en pierre de taille, alors que jusque là on n'avait pratiquement utilisé que la brique crue. Cela aura nécessairement provoqué une révolution dans l'art de construire, fait capital pour l’époque dont, 2400 ans plus tard, l'historien Manéthon fera encore état.
A travers le mythe, Djoser et Imhotep poursuivent des objectifs précis, et la mastaba institution des premières dynasties devient une pyramide, mieux, un complexe funéraire, qui est au moins autant la sépulture du roi qu'une représentation de l’État. C'est l'affirmation du caractère indissoluble du politique et de la religion à travers une conception architecturale entièrement nouvelle.
Source : Saqqarah: une vie / Jean-Philippe Lauer ; entretiens avec Philippe Flandrin (Rivages, 1988) (p. 54 - 55)
Voir aussi : L'œuvre d'Imhotep à Saqqarah de Jean-Philippe Lauer (numérisé sur Persée).
D'autres informations peuvent être lues au sujet de la nécropole dans le chapitre "Les pyramides à degrés (écrit par Ali Radwan, à partir de la p. 102) dans l'ouvrage Trésors des Pyramides de Zahis Awas (White Star, 2011), dans "Saqqarah sous l'Ancien Empire" dans Voyage en Égypte ancienne Voyage en Égypte ancienne / [aquarelles de] Jean-Claude Golvin ; [textes d']Aude Gros de Beler et plus récemment dans le hors série du Point Les secrets de l’Égypte ancienne (2022), dont tous s'accordent sur le lieu et la datation de la première des pyramides.
Vous pouvez aussi comparer l'histoire de l'apparition des pyramides mondiales grâce à cette petite chronologie de kronobase.
Maintenant, comment les Égyptiens ont-ils pu construire et reproduire de tels édifices ? Que connaissaient-ils de la géométrie et des mathématiques ?
Une pyramide est un "polyèdre dont les faces latérales sont des triangles ayant le même sommet et dont la base est un polygone quelconque." (CNTRL). La figure géométrique précède-t-elle le monument égyptien ou est-ce que la forme pyramidale est née de la construction des pyramides ? C'est en partie la question que se pose l'égyptologue Franck Monnier dans son article Les pyramides dans les problèmes mathématiques égyptiens (2019) :
L’origine du mot est discutée de longue date. Aujourd’hui, nous l’entendons comme « toute structure rappelant par sa forme une pyramide ».
Il vient du grec πυραµίς (pyramis en latin) dont la signification a fait l’objet de nombreuses hypothèses plus ou moins bien fondées. Selon certains, il pourrait tirer son origine de la comparaison avec la forme conique d’un gâteau à base de froment (lui aussi appelé πυραµίς), et selon d’autres, de celle avec une flamme (alors dérivé de πυρ, « feu »), hypothèse renforcée par un extrait du Timée de Platon, écrit au 4e siècle av. J.-C., dans lequel le feu en tant qu’élément est associé à cette forme géométrique. Hérodote, au 5e siècle avant notre ère, semble être le premier à l’employer pour désigner spécifiquement les gigantesques sépultures érigées par les souverains de la IVe dynastie. Tandis que le mathématicien Euclide, au 4e -3e siècle avant notre ère, qualifie déjà un tétraèdre régulier de pyramide. Avec une étymologie incertaine et un cadre chronologique aussi serré, on pourrait dès lors se demander si ce sont les pyramides égyptiennes qui ont donné leur nom à la figure géométrique ou l’inverse.
Que les Grecs aient hellénisé le démotique pỉ mr comme a pu le proposer Karl Lang il y a près d’un siècle est difficile à soutenir. Pour la rendre convaincante, il faut en effet faire appel à un phénomène de métathèse et à des modifications lexicales qui constituent un certain nombre d’ajustement artificiels fragilisant inévitablement l’hypothèse. Les allochtones pourraient s’être appropriés le terme égyptien pr-m-ws, identifié à la hauteur d’une pyramide dans les problèmes du papyrus de Rhind (voir ci-après), pour produire πυραµίς. À moins que plus simplement, celui-ci n’ait inspiré aux voyageurs Grecs d’extraire de leur propre lexique un terme quasi-homonymique qui rappelait dans un même temps la forme de ces monuments. À l’heure actuelle, il demeure difficile de se prononcer en faveur de l’un ou l’autre de ces points de vue .
Source : Les pyramides dans les problèmes mathématiques égyptiens (2019) de Franck Monnier (p. 234)
Les principales sources attestant de la connaissance et de la maîtrise des mathématiques par les Égyptiens sont les papyrus Rhind et le papyrus de Moscou. Mais ces documents sont anachroniques pour la période qui nous intéresse ici. L'article de François Poisson Spéculation sur la géométrie en Égypte antique (2009) synthétise l'état des connaissances mathématiques et géométriques des Égyptiens de la IVème dynastie.
Une description mathématique du calcul des pyramides rhomboïdales ainsi que des schémas sont présentés. Ils savaient calculer des surfaces et des volumes, y compris ceux des pyramides et des pyramides tronquées, avec des méthodes empiriques et des formules proches de celles utilisées aujourd’hui. Nous vous laissons en prendre connaissance. Voici listés les principaux problèmes mathématiques posés par ces constructions :
La pyramide rhomboïdale fut construite par Snéfrou, premier pharaon de la quatrième dynastie et père de Kheops. Les égyptologues expliquent sa forme irrégulière par des corrections de la structure nécessitées par la fragilité du matériel utilisé. Nous percevons plutôt une construction scientifique stupéfiante pour exprimer les trois grands problèmes de géométrie de l’antiquité à la vue de tous ses visiteurs :
- la duplication du cube : trouver la longueur de l’arête d’un cube qui aura le double du volume d’un autre cube;
- la cubature de la sphère : déterminer le rayon d’une sphère ayant le même volume qu’un cube déterminé;
- et la trisection de l’angle : séparer un angle en trois angles égaux.
La difficulté définie par les Grecs de l’antiquité à ces grands problèmes provient qu’il ne faut utiliser que la règle et le compas pour obtenir le résultat.
Source : Spéculation sur la géométrie en Égypte antique (2009) de François Poisson.
En parcourant ces analyses sur l’évolution architecturale des pyramides depuis les mastabas jusqu’aux pyramides à degrés, puis aux pyramides à faces lisses, nous dirions que les Égyptiens ne suivaient une forme préétablie mais plutôt que le contexte religieux, symbolique et technique propre à l’Égypte ancienne, a mené à l’émergence de cette forme architecturale unique. Le culte solaire notamment et le symbole du Benben, la pierre sacrée d’Héliopolis, qui aurait inspiré la forme pyramidale
Enfin, l'ouvrage de Corinna Rossi, Architecture and Mathematics in ancient Egypt sera le compagnon de route idéal pour poursuivre vos recherches si vous pouvez lire l'anglais. La troisième partie s'intéresse à la symbolique de la forme et aux problèmes posés par ces constructions.
Nous vous conseillons aussi cet article de Futura Sciences au sujet des dernières découvertes quant à la construction de la pyramide de Khéops.
Bonne journée,