Existe-t-il des contes traditionnels avec un personnage ayant plusieurs "personnalités" ?
Question d'origine :
Bonjour,
Y aurait-il des contes traditionnels, mythes anciens et légendes avec un personnage ayant plusieurs "personnalités", plusieurs identités (comme dans la nouvelle Dr Jekyll et Mr Hyde par exemple) ?
Merci d'avance pour votre réponse :)
Réponse du Guichet

La figure du double traverse mythes, légendes et œuvres littéraires, incarnant la dualité de l’être humain sous des formes extrêmement variées. Si la notion de dédoublement de personnalité a été formalisée scientifiquement au XIXe siècle, elle puise ses racines dans une riche tradition culturelle. Le dualisme en particulier est une matrice narrative récurrente de l'histoire de nombreux personnages légendaires ou mythiques dont voici quelques exemples.
Bonjour,
Oui la figure du "double", est assez récurrente dans l'histoire de la mythologie, des légendes et contes traditionnels. Il semble difficile cependant de rencontrer des personnages ayant un dédoublement de personnalité, ou trouble dissociatif de l'identité, dont la formalisation scientifique et l'étude ne s'est développée qu'à partir du XIXème siècle. Qu’il s’agisse de mythes anciens, de contes populaires ou de créations littéraires le "double" incarne à la fois la part cachée de soi, l’altérité menaçante et le miroir des contradictions humaines. Voici une succession de personnages qui pourraient intégrer une galerie archétypale de personnalités "doubles", à la Dr. Jekyll et Mr. Hyde.
Dès la mythologie romaine, le dieu Janus (France Culture), est un être duel honoré pour incarner le passage du temps. Représenté le plus souvent avec deux visages opposés, l'un tourné vers le passé et l'autre vers l'avenir, il est le dieu des portes, des passages, des fins et commencements. Janus était célébré aussi bien pour la fin que le début de la nouvelle année, son nom est à l'origine de l'étymologie du mois de "janvier".
Le "doppelgänger" est un personnage de la mythologie nordique et germanique. Il est une représentation fantasmagorique d'un individu, un "double" souvent maléfique ou du moins, une version alternative d'un individu. Le terme aurait été popularisé par les Frères Grimm qui en donnèrent la définition dans leur dictionnaire dont la publication s'est étalée entre 1854 et 1861. Il s'incarne dans la littérature avec la nouvelle de Guy de Maupassant, "Lui" ou "Le double" de Dostoïevski. Vertigo (Sueurs froides en français) d'Alfred Hitchcock ou La double vie de Véronique de Krysztof Kieslowski pour le cinéma.
Vous pourriez aussi vous intéresser au texte mésopotamien, l'épopée de Gilgamesh, l'une des plus anciennes œuvres connues de l'humanité, sur l'histoire d'un roi demi-dieu qui tyrannise son peuple et face auquel les dieux envoient Endiku, un personnage miroir puissant qu'il affronte sans que l'un ni l'autre l'emporte avant de devenir finalement amis. La mort d'Endiku sera un coup terrible pour Gilgamesh qui prend conscience de sa propre mortalité. Voir à ce sujet la page Wikipédia qui lui est consacrée Épopée de Gilgamesh ("article de qualité) ou plus succinctement, ce petit résumé sur le site de la BNF.
Dans un autre registre, nous pouvons également citer le mythe de l'Androgyne, raconté par Aristophane dans "Le Banquet", de Platon. Trois sortes d'êtres humains cohabitaient aux commencements, les hommes, les femmes, mais aussi les androgynes. Un androgyne était « composé des deux premiers et qui les renfermait tous deux ». Ces êtres humains, « orbiculaires », présentaient en effet la forme d’un œuf. Chacun était double : quatre mains, quatre pieds, deux visages placés à l’opposé l’un de l’autre et, surtout, deux sexes placés sur ce que l’on appelle aujourd’hui la partie postérieure de l’être humain » (L'épreuve du genre: que nous apprend le mythe de l'androgyne ? - Jean François Rey dans Cités (2010)). Les androgynes étaient des êtres forts, prodigieux et ambitieux. Ils partirent à la conquête des cieux en défiant les dieux et provoquèrent leur colère, ils furent punis par Zeus qui les sectionna en moitiés, hommes et femmes. Depuis, chaque partie rechercherait sa moitié pour reformer l'être originel. Aristophane nomme cet élan vital Eros.
Enfin, dans un univers mythologique "fictif", vous pourriez aussi vous intéresser à la figure de Smeagol, personnage du Seigneur des anneaux de J. R. R Tolkien, dont le destin a basculé le jour où il trouva par hasard l'anneau unique de Sauron et qu'il conserva en commettant un meurtre. Sous l'influence du pouvoir de l'anneau, ce hobbit se transforme physiquement et psychologiquement. L'anneau maléfique lui permet d'accroitre sa durée de vie mais avilit complètement sa personnalité. Métamorphosé par son contact, Smeagol devient Gollum, un personnage maigre, décharné, solitaire mais très puissant. Il a la particularité de se parler à la troisième personne. Tout au long du roman ou des films le personnage oscille entre la volonté d'aider les héros à se débarrasser de l'anneau et l'envie irrépressible de le récupérer.
Si vous avez besoin d'en apprendre davantage et de glaner de nouvelles références, nous vous conseillons la lecture de cet ouvrage, disponible sur Openedition : Figures du double de Nathalie Martinière, Presses universitaires de Rennes, 2008. Mais aussi l'article de Josiane Bru Figures de la duplicité et formes de l’entre-deux (2021). Ou encore, ces analyses de textes littéraires : Le double: Chamisso, Dostoïevski, Maupassant, Nabokov / études recueillies par Jean Bessière (H. Champion, 1995).
Il y a aussi cette thèse de Jean-Paul Susani, La question du double dans la psychanalyse et dans les contes : « Ombres et lumières du double » (2017, Université Paris Sorbonne). Et plus anciennement : L'ombre e(s)t le Double : lectures du « Doppelgänger » de Chamisso à Nabokov de Duarte Mimoso-Ruiz dans la revue Littératures (1995) sur Persée.
Bonne journée.