Quel a été le montant du financement militaire français pour les USA lors de la 1ère guerre ?
Question d'origine :
Quel a été le montant du financement de la France aux Etats-Unis pour les matériels militaires et les munitions du Corps expéditionnaire américain, de 1917 à l'armistice ? Merci.
Réponse du Guichet

Deux ouvrages apportent des informations essentielles à la question du financement par la France du matériel militaire pour le Corps expéditionnaire américain dans les années 1917 et 1918, et notamment la thèse d'André Kaspi soutenue à la Sorbonne en 1974 et parue plus récemment aux éditions de la Sorbonne, sous la direction d'Olivier Chaline et d'Olivier Fourcade : "L’engagement des Américains dans la guerre 1917-1918 : Lafayette, nous voilà !".
Bonjour,
Si le gouvernement français n’a pas pressé les États-Unis d’entrer en guerre, cette entrée en guerre se produit à un moment assez critique pour la France, précise l’historien André Kaspi dans sa thèse « Le temps des Américains. Le concours américain à la France en 1917-1918 ».
A partir de ce moment-là, ce ne sont plus les banques privées, et en particulier la Maison Morgan qui avancent les sommes dont le gouvernement français a besoin, mais le Trésor américain. Le nouveau Haut-Commissaire de la République française à Washington, André Tardieu, engage immédiatement les négociations pour identifier les besoins respectifs des Français et des Américains. A la tête de 1200 employés, il s’efforce d’arracher au Trésor américain les crédits mensuels de 100 à 150 millions de dollars, au taux de 4,5% dont la France a très besoin pour ses achats de céréales, d’acier et de matériel de guerre.
La France bénéficie aussi d’une aide en hommes avec la constitution de l’envoi d’un Corps expéditionnaire américain (CEA). De juin à novembre 1917, les États-Unis peuvent envoyer seulement 80 000 hommes. Le contingent atteint un million de soldats en juillet 1918 et les deux millions en novembre 1918. L’arrivée des Sammies contribue à relever le moral des troupes françaises, mais avant tout, la présence américaine permet d’acquérir aux Alliés, à partir de juin 1918, une nette supériorité numérique qui va permettre de remporter la victoire.
Dans sa thèse déjà mentionnée, André Kaspi met en lumière un fait assez mal connu, et notamment que la France fournit au CEA en 1917 et en 1918 - sous forme de prêts ou de ventes - une grande partie de ses armes et de ses munitions, c.à.d. :
100% des canons de 75 (1871) ;
100% de ses canons de 155 (224) ;
100% de ses obusiers de 155 (762) et de ses chars ;
81 % de ses avions (4676) ;
57% de ses canons à longue portée ;
57 000 mitrailleuses et fusils-mitrailleurs ;
Dans sa longue liste, l'historien note également les 10 millions d’obus et plus de 206 millions de cartouches. Il précise que la France a vendu aux États-Unis pour 1 431 673 616 francs de matériels et de munitions d’artillerie.
Dans un ouvrage publié sous la direction d’Olivier Chaline et d’Olivier Forcade, intitulé « L’engagement des Américains dans la guerre 1917-1918 », les historiens précisent que dès le mois d’août 1917, les Français se déclarent prêts à livrer, contre des aciers, des poudres et des explosifs, cinq canons de 75 par jour et deux canons de 155 court Schneider avec des stock de munitions correspondants.
Les ambitions françaises se mesurent aussi en d’autres termes. Il s’agit bien de s’imposer aux États-Unis par la technologie armurière et cette volonté s’inscrit dans une double rivalité commerciale et industrielle. Paris veut montrer aux Américains que les Français sont les meilleurs producteurs d’armes au monde pour s‘imposer face aux ambitions identiques des Britanniques. Pour ce faire, il faut annoncer les tarifs et André Tardieu reçoit la liste des prix à proposer le 27 juin 1917. Une voiture-canon de 75 complète est facturée 22 600 francs, un canon de 155 long - 129 000 francs. En outre, des contre-parties sont exigées : par exemple, chaque voiture-canon de 75 doit être compensée par 6 tonnes d’acier.
Les Français se sont engagés sur des masses considérables de matériels : ils doivent fournir 1500 canons de 75 et 500 canons de 155 avant le 1er juillet 1918. En octobre 1917, de nouveaux contrats sont signés et les attentes des Américains sont encore plus grandes. L’équipement de l’armée américaine en armes – fort profitable aux finances françaises – s’accompagne d’ailleurs par un processus de transfert de technologies. Les Français, et André Tardieu le premier, espèrent s’ouvrir un large accès au marché américain. Des problèmes surviennent cependant, liés à l’incapacité de la France à tenir ses engagements commerciaux et Washington proteste contre l’inexécution des contrats à plusieurs reprises. Selon les sources évoquées par les historiens, à la date du 1er Octobre 1918, les retards de fournitures d’armements représentent la moitié des quantités promises.
En 1917-1918, la fourniture massive d’armes par les Français au Corps expéditionnaire américain s'inscrit dans une ample opération financière et commerciale au bénéfice de la France et, comme le dit François Cochet, "constitue un exemple précoce d’interarmisation dans le registre des matériels". La question de la fourniture d’armes montre cependant l’incapacité française à satisfaire les commandes passées par les États-Unis. Cet écart entre potentiel manufacturier français et l'organisation des productions militaires s’accentue tout au long des années 1920 et 1930, avec les conséquences dramatiques en 1940.
Pour aller plus loin:
Les États-Unis dans la Grande Guerre d’Hélène Harter, éd. Tallandier, 2017 ;
Les États-Unis dans la Grande Guerre. Une approche française de Rémy Porte, éd. Soteca 2017 ;
Trois articles sur la guerre. Interprétation économique de la guerre. Comment financer la guerre? Le coût de la guerre d’Edwin Robert et Anderson Seligman, Classiques Garnier, 2023.
Bonne journée !