Qui a dit : "A quoi bon la persuasion si on a des canons ?"
Question d'origine :
Bonjour cher Guichet,
Pourrais-je connaitre l'auteur de cette phrase que j'attribue (mais sans certitude) à Rousseau :
A quoi bon la persuasion si on a des canons ?
Merci de votre réponse
Cordialement
Réponse du Guichet

Nous n'avons pas trouvé cette citation dans les sources suivantes que nous avons interrogées.
Nous pouvons en revanche vous orienter vers une citation de Rousseau sur la persuasion, ainsi que sur la citation de Paul Claudel : "Il est plus laborieux de conduire les hommes par la persuasion que par le fer".
Enfin, nous vous orientons également vers Aristote, premier philosophe ayant formalisé l’art de manier le discours et de persuader son auditoire.
Bonjour,
Vous souhaitez connaitre l'auteur de cette phrase que vous attribuez sans certitude à Rousseau : "A quoi bon la persuasion si on a des canons ?"
Dans son Dictionnaire philosophique, André Comte-Sponville consacre une notice à la notion de persuasion :
C'est obtenir l'assentiment d'autrui, ou le sien propre, mais par art plutôt que par preuve (ce n'est pas une démonstration), ou même que par raisonnements (qui sont nécessaires pour convaincre, pas toujours pour persuader). [...]
Une première recherche dans Gallica, portant sur les textes océrisés de Jean-Jacques Rousseau au sein desquels nous avons interrogé les mots clés "canon" et "persuasion", apporte 43 réponses qui se sont révélées infructueuses, du moins nous semble t-il à première vue.
Une occurrence du mot "canon" a retenu notre attention au sein du texte océrisé suivant, Œuvres complètes de J.-J. Rousseau. Tome 3 / mises dans un nouvel ordre, avec des notes historiques et des éclaircissements ; par V.- D. Musset-Pathay.... 1823-1826 :
Prenez tout, usurpez tout, et puis versez l'argent à pleines mains ; dressez des batteries de canon ; élevez des gibets, des roues ; donnez des lois, des édits ; multipliez les espions, les soldats, les bourreaux, les prisons, les chaînes : pauvres petits hommes, de quoi vous sert tout cela ? Vous n'en serez ni mieux servis, ni moins volés, ni moins trompés, ni plus absolus. Vous direz toujours, Nous voulons ; et vous ferez toujours ce que voudront les autres.
Source : Livre II de l'Émile in Œuvres complètes de J.-J. Rousseau. Tome 3 (Gallica)
Cet extrait est tiré de l'Émile ou De l'éducation qui est beaucoup plus qu'un simple traité d'éducation :
On y retrouve les principaux motifs de la pensée de l’auteur : le postulat que « l’homme est naturellement bon » (comme le dit une lettre de 1764), qu’à l’inverse « tout n’est que folie et contradictions dans les institutions », ou encore l’idée d’un perfectionnement possible de l’homme, s’il est bien orienté sur le chemin de sa liberté – l’éducation comme authentique problème philosophique. Ainsi Rousseau peut-il affirmer que « [sa] véritable étude est celle de la condition humaine ».
Source : Pionnier de la pédagogie, 21 mai 2014, Philosophie magazine
Jean-Jacques Rousseau nous invite en effet à nous interroger sur toutes les formes de servitude volontaire, celle où les hommes "perdent tout dans leurs fers, jusqu'au désir de s'en sortir". La république lui apparaît dès lors comme le régime qui permet non seulement de ne pas renoncer à sa liberté, mais d’en révéler la nature profonde. Une des expressions philosophiques célèbres de Rousseau étant : "Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme" (Source : Expressions philosophiques expliquées [Livre] / Nicole Masson, Michel Brivot)
Une recherche dans Google Livre portant sur l'expression susmentionnée dans votre question pointe notamment sur un extrait d'une revue du XIXème siècle se référant à la pensée de Rousseau valorisant en politique l'éloquence et la persuasion pour suppléer aux canons :
[...] car si les hommes de la Révolution ont subi l'influence de Rousseau dans leur manière de penser ; ils l'ont subie aussi dans leur façon de s'exprimer. Ils lui ont emprunté ce style d'une sensiblerie affectée et d'une emphase qui fatigue. Ils aiment dit Taine l'emphase, la rhétorique à grand orchestre, les pièces d'éloquence déclamatoire et sentimentale. Qu'on lise à ce sujet quelques passages des discours insérés dans le Moniteur universel, qu'on assiste d'esprit à quelques séances de l'Assemblée constituante ou de la Convention. Après cette lecture on apprécie à sa juste valeur le jugement qu'un bon observateur Schmidt porte sur ces gens là. Nos philosophes veulent tout gagner par la persuasion, c'est comme si l'on disait que c'est par des arguments d'éloquence, par de brillants discours, par des plans de constitutions, qu'on gagne des batailles. Bientôt suivant eux, il suffira de porter au combat au lieu de canons une édition complète de Machiavel, de Rousseau et de Montesquieu.
Source : Revue thomiste, revue doctrinale de théologie et de philosophie , Volume 7, 1899
Le dictionnaire en ligne de citations, Dicocitations, met en exergue cette citation de Rousseau contenant le mot "persuasion" :
Une vive persuasion m'a toujours tenu lieu d'éloquence, et j'ai toujours écrit lâchement et mal quand je n'ai pas été fortement persuadé.
Source : Correspondance, à M. de Malesherbes, 12 janvier 1762 de Jean-Jacques Rousseau, in Dicocitations
Afin d'en savoir plus sur la pensée rousseauiste, nous vous proposons la lecture de ce livre issu de nos collections :
Rousseau [Livre] / François Jacob, 2025
Une biographie de Jean-Jacques Rousseau, dans laquelle l'auteur présente son parcours, son œuvre et son influence. ©Electre
Par ailleurs, nous avons interrogé d'autres sources comme Internet Archive, Wikisource, Frantext mais aussi les ouvrages de Gutenberg et de JSTOR sans résultat pertinent. La consultation de quelques uns de nos dictionnaires de citation a été aussi infructueuse.
La rubrique citations du Figaroscope.fr donne une liste de citations incluant l'occurrence du mot "persuasion" ou l'occurrence du mot "canons". C'est en consultant la première liste que nous sommes tombés sur la citation suivante de Paul Claudel (1868-1955) qui a retenu notre attention :
"Il est plus laborieux de conduire les hommes par la persuasion que par le fer"
Source : Paul Claudel, La Ville (2e version)
Cette citation de Paul Claudel apparaît dans la bibliothèque numérique de la BnF, Gallica, au sein du titre : Mercure de France : série moderne / directeur Alfred Vallette (1901) qui publie la pièce de théâtre "la Ville" de Paul Claudel que nous possédons dans nos collections. Afin d'en savoir plus sur la pensée politique de Paul Claudel, dramaturge, poète, essayiste et diplomate français, membre de l'Académie française, nous vous conseillons de lire les textes suivants :
Paul Claudel, article de l’Encyclopédie Universalis
Le diplomate (Société Paul Claudel)
Paul Claudel, diplomate à ses heures (Sciences Po)
Paul Claudel [Livre] / Michel Autrand, Pascale Alexandre-Bergues, Yvan Daniel, Pascal Dethurens, 2002
Restitue le parcours de l'écrivain diplomate, P. Claudel, à travers trois continents, Amérique, Asie et Europe, entre 1896 et 1936. Ce livre paraît à l'occasion d'une exposition sur Claudel dans le cadre de la collection Écrivains diplomates.
Enfin, nous pouvons également vous orienter vers le philosophe Aristote, fondateur de la rhétorique et premier philosophe qui a formalisé l’art de manier le discours et de persuader son auditoire.
Aristote (- 384/- 322) en particulier a promu l’art du discours et le texte qu’il lui a consacré, Rhétorique, est fondateur. Bien connu des philosophes grecs et romains, il a été souvent recopié dans les écoles monastiques au Moyen Âge, traduit en arabe et en latin, et d’innombrables fois commenté. Il permet de mesurer le pouvoir que l’homme exerce grâce au langage.
Disciple de Platon pendant une vingtaine d’années, Aristote enseigne la rhétorique au sein de l’Académie platonicienne alors qu’il est très jeune, et comme son maître, il reconnaît le lien entre la rhétorique et la dialectique, et accuse les sophistes d’en propager une contrefaçon. L’héritage platonicien est indéniable, mais le fondateur du Lycée confère à l’art rhétorique une autonomie que Platon ne lui a pas reconnue. Aristote s’intéresse surtout aux arguments logiques qui permettent de produire des discours persuasifs. Pour lui, cet art est à la portée de tout le monde, et pas seulement des spécialistes.
Source : Aristote : le pouvoir de l'orateur (Magazine Sciences humaines)
Très bonne journée,