La quantité totale d'eau sur Terre est-elle stable au fil des décennies ?
Question d'origine :
Bonjour,
Pouvez-vous me dire si la quantité totale d'eau sur Terre (océan, glaciers, nappes phréatiques, cours d'eau, nuages, ...) est toujours identique et stable au fil des décennies, ou si elle diminue ou augmente ?
Je vous remercie.
Bonne journée
Alain P.
Réponse du Guichet

Le stock total de l'eau sur Terre est difficile à quantifier car la plus grosse partie se trouve dans le manteau et la croûte terrestre. Ne connaissant pas le stock de départ, il est difficile de pouvoir estimer une variation en positif ou en négatif au cours du temps. Il semblerait cependant, au lu des dernières études sur le sujet, que le bilan des entrées et sorties d’eau serait actuellement très légèrement négatif, notamment concernant l’hydrosphère et l’atmosphère de la Terre.
Tout d’abord, il faut se poser la question de la quantité totale de l’eau sur la Terre. Cette eau se trouve sous forme gazeuse (vapeur d’eau de l’atmosphère), sous forme solide (glace des Inlandsis, de la banquise ou des glaciers), sous forme liquide (océans, mers, fleuves et eaux souterraines).
Mais ce décompte classique fait l’impasse sur un stock énorme auquel on ne pense pas de prime abord, à savoir l’eau présente dans le manteau terrestre. Selon une étude publiée en 2014 dans la revue Sciences (Cycling water through the transition zone), la quantité d’eau située dans la zone de transition du manteau (appelée ringwoodite) pourrait représenter au moins 3 fois celle de la surface (If just 1% of the weight of mantle rock located in the transition zone was water it would be equivalent to nearly three times the amount of water in our oceans).
Comme l’explique cet article de Pierre Thomas, du Laboratoire de géologie de l’ENS-Sciences, l’eau du manteau terrestre et de l’hydrosphère ont (à l’heure actuelle des connaissances) deux origines :
- Une origine au sens propre : par l’accrétion dès le départ de roches venant en partie de l’extérieur du système solaire et contenant plus d’eau que celle venant de la partie centrale du système solaire. Ces roches sont nommées chondrites.
- Une origine extérieure plus tardive par le bombardement de sa surface par de très nombreuses comètes ayant de l’eau dans leur composition. Cet épisode est surnommé le bombardement météoritique lourd.
D’après l’ouvrage d’Alain Meunier, la naissance de la Terre, «il semble que l’eau sur Terre ait été apportée essentiellement par les chondrites – au temps primitif de l’accrétion -. Le bombardement météoritique lourd (3,9-38 Ga) n’a pas modifié cette signature chondritique.»
Une partie de l’eau s’est trouvée «expulsée» du manteau par le dégazage de ce dernier, via le volcanisme, phénomène qui continue de nous jours. Mais tous les calculs ne peuvent qu’estimer l’ampleur de ce dégazage et par conséquent du transfert, entre autres éléments, de l’eau du manteau vers la surface, sous forme liquide ou gazeuse.
Toujours selon l’article de Pierre Thomas, «si suffisamment d'eau en quantité était initialement disponible dans le matériau chondritique initial, il est important et difficile de quantifier la proportion de cette eau qui a dégazé lors de l'état “magmatique” de la Terre en formation, eau libérée à sa surface dont une grande partie s'est certainement échappée vers l'espace du fait de la pression et de la température de surface d'alors.»
Bref, nous nous trouvons avec deux inconnues :
- Nous ne connaissons qu’imparfaitement le stock d’eau sur Terre sous toutes ses formes, dans le manteau et l’écorce terrestre, dans l’hydrosphère ou l’atmosphère ;
- Nous ignorons la quantité de matière qui s’échappe dans l’espace aux temps premiers de la Terre. Concernant l’eau d’ailleurs, la vapeur d’eau ne s’échappe pas elle-même. C’est un de ses composés, l’hydrogène, qui s’enfuit via l’échappement de Jeans.
Enfin, et pour corser l’affaire, au registre des entrées (d’eau), il faut compter avec l’apport météoritique. Actuellement, il est de 40 tonnes/jours environ (il a bien diminué heureusement). En tablant sur une composition moyenne de 1 % d’eau, cela fait 150 tonnes par an. Une… goutte d’eau quand on sait que l’équivalent de 50 000 tonnes d’eau (sous forme d’hydrogène uniquement) s’échappe dans le même temps.
Mais la fuite est mineure au regard de la masse de l'hydrosphère terrestre (essentiellement les océans) qui est de 1,5 x 1018 tonnes.
Quant au cycle de l’eau entre le manteau et la surface, il est complexe, mais bien expliqué dans cet article de l’Encyclopédie Universalis: l’eau du manteau terrestre.
On y lit que l’ «on peut estimer qu'environ 1012kilogrammes d'eau sont incorporés en un an dans le manteau. Le magmatisme des dorsales libère quant à lui environ 2.1011kgs d'eau par an. On obtient ainsi que le manteau s'enrichit chaque année de 8.1011kgs d'eau. Si ce chiffre paraît élevé à l'échelle humaine, il convient cependant de le comparer à la quantité d'eau stockée dans les océans, c'est-à-dire 1,5.1021kgs. En un milliard d'années (109ans), ce n'est ainsi que l'équivalent d'un dixième des océans qui serait réinjecté dans le manteau.
Pour résumer, on aurait donc un double bilan négatif concernant les eaux de surface : une partie vis-à-vis du manteau, et l’autre partie vis-à-vis de l’espace. Mais les pertes sont assez négligeables au vu du stock actuel.
Il reste qu’à ce rythme, la Terre a un destin identique à celui que l’on présume pour Mars: celui d’une planète bleue devenue aride. En raisonnant à l’échelle du milliard d’année au moins.
A moins que les choses s’accélèrent, comme cela est conté dans le film Oblivion. Une dystopie qui fait froid dans le dos…
Cordialement.