Pourquoi les jeunes ont tendance à laisser leur logement en désordre ?
Question d'origine :
Comment interpréter cette tendance qu'ont certains jeunes à laisser leur logement dans un désordre permanent ?
Réponse du Guichet

D'après le sociologue Jean-Claude Kaufmann, si les jeunes délaissent les tâches ménagères c'est qu'ils ont des préoccupations toutes autres : loisirs à l'extérieur du domicile, rencontres entre amis et recherche d'un.e partenaire de vie, études prenantes, vie professionnelle intense... Autant de sollicitations qui incitent à réduire le ménage au minimum. D'autres raisons peuvent l'expliquer : marque d'indépendance face au milieu familial, question de préférence personnelle ou de manque d'habitude, les motivations (ou absences de motivation) peuvent être multiples et chaque situation est unique.
Bonjour,
Les jeunes ont-ils vraiment tendance à laisser leur logement dans un désordre permanent ? Qu'en disent les enquêtes sociologiques ?
D'après les enquêtes "Emploi du temps" réalisées par l'INSEE, les jeunes passent effectivement moins de temps que les adultes plus âgés à réaliser des tâches ménagères :
Si les « jeunes » constituent un groupe hétérogène, ils ont en commun un faible investissement dans les tâches domestiques, un intérêt pour les cultures numériques et les distractions à l’extérieur du foyer. [...]
Les jeunes adultes s’impliquent assez peu dans les travaux ménagers5. Tout d’abord, comparés à leurs aînés, ils mangent plus souvent à l’extérieur, chez des connaissances principalement ou au restaurant (cantine comprise) (cf., dans la partie sur le temps libre des jeunes, le tableau 12). Les deux tiers résident au domicile de leur parent (cf., dans la partie sur le temps libre des jeunes, le tableau 11) et participent de ce fait assez peu aux tâches domestiques. La préparation des repas, par exemple, ne les occupe que 1h25 par semaine comparé à 4h25 chez les 25‑64 ans.
source : Travail professionnel, tâches domestiques, temps « libre » : quelques déterminants sociaux de la vie quotidienne / Cécile Brousse - ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 478-479-480, 2015 119
Voir aussi le Tableau n°3 (Temps domestique et parental quotidien moyens des hommes et des femmes par tranche d’âge, 1985‑2010) de l'article Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans ? / Clara Champagne, Ariane Pailhé et Anne Solaz - ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 478-479-480, 2015
La prochaine étude est en cours de réalisation : Enquête Emploi du temps 2025 - 2026
Comment expliquer ce désamour de la jeunesse pour les tâches domestiques ? Le sociologue Jean-Claude Kaufmann apporte quelques éléments d'explication :
Dans les premiers logements qu'ils occupent, les jeunes gens passent un temps réduit au nettoyage et au rangement, ainsi qu'à l'entretien du linge. Pour ces tâches, quelques minutes par jour suffisent (Galland, Garrigues, 1989). Chacun a sa méthode pour contenir ce temps dans d'étroites limites, les uns faisant appel aux services de la mère, les autres acceptant de vivre dans un certain désordre, souvent légitimé alors comme un style de vie revendiqué, d'autres encore utilisant toutes les ressources ses substituts papier du linge (serviettes de table et torchons sont rares). [...]
Se limiter à l'étude des travaux ménagers ne permet cependant pas de comprendre le comportement particulier de la jeunesse par rapport au domestique. Il est nécessaire d'élargir le champ. Ce comportement s'inscrit en effet à la fois dans un processus générationnel et dans un mouvement propre à une classe d'âge, à un moment du cycle de vie. la socialité de la jeunesse se distingue nettement de celle des autres périodes de la vie, notamment dans son rapport à tout ce qui touche au domestique. Pour reprendre l'expression de Michel Bozon, "les loisirs forment la jeunesse" (Bozon, 1990) : en dehors du temps consacré au travail ou aux études et à ce que l'INSEE appelle le "temps physiologique" (manger, dormir, ...), les jeunes passent l'essentiel de leurs journées à l'extérieur du domicile : sortie, loisirs (Galland, Garrigues, 1989). Chez les plus jeunes, l'attention est centrée sur les relations amicales dans le groupe des pairs, les copains. Puis sur des activités permettant plus sélectivement la rencontre (et le choix du futur conjoint). Les loisirs des jeunes sont de ce point de vue construits sur un paradoxe. Car ils ne se résument pas à la détente : ils dissimulent une activité intense de recherche du partenaire à un moment clé de l'existence. Le temps de la jeunesse, derrière ses apparences de décontraction, est celui d'une mobilisation qui va décider pour une large part du futur (choix du partenaire, études, premières expériences professionnelles). On comprend que dans ces conditions l'investissement dans le ménager ne soit guère attirant.
source : La trame conjugale : analyse du couple par son linge / Jean-Claude Kaufmann aux pages 50 à 52.
Il s'agit d'une réponse possible parmi d'autres. Il existe peut-être autant de raisons et d'explications au désordre que de jeunes désordonnés !
Des facteurs psychologiques peuvent également expliquer ce comportement. Le jeune adulte peut tenter de se créer son propre univers, distinct du milieu familial et de ses règles, manifestant ainsi un désir d'affirmation de soi. Étape naturelle du développement vers l'autonomie, le désordre constitue alors un moyen de marquer son territoire et de s’approprier un espace personnel, signe d'une indépendance en construction.
Lire le chapitre 8. La défense d’un « petit monde » pour un jeune adulte vivant chez ses parents de l'ouvrage d'Elsa Ramos intitulé Libres ensemble : L'individualisme dans la vie commune aux pages 197 à 222
ainsi que l'article LA CHAMBRE À L’ADOLESCENCE À L’ÈRE DES ÉCRANS CONNECTÉS Ancrage spatial et mobilité numérique / Elsa Ramos
qui développent cette idée.
Toutefois, pas de panique, le désordre d'une chambre adolescente ou d'un logement pourrait être le signe d'une créativité féconde...
Trop absorbés par leur rangement, les superordonnés peuvent oublier que le but d’une journée n’est pas de produire un bureau propre. C’est sans doute ce qu’avait voulu dire Albert Einstein avec sa feinte interrogation : « Si un bureau en désordre évoque un esprit brouillon alors que dire d'un bureau vide ? » Le bazar est l’apanage de la vraie vie. Les seuls enfants qui ne laissent pas de pagaille derrière eux sont ceux qui restent plantés devant des écrans. Toute activité créatrice laisse du désordre.
source : Les bordéliques résistent aux forces de l'ordre / Guillemette Faure - Sciences humaines - 14 janvier 2025
... voire d'une intelligence supérieure !
voir cet article : Et si être désordonné était un signe d’intelligence ? / Yohan Demeure - SciencePost - 30 décembre 2024
Bonne journée.