Que représente l'opposition iranienne en exil au sein de la population iranienne?
Question d'origine :
Que représente l'opposition iranienne en exil au sein au sein de la population iranienne?
Réponse du Guichet

Si l'opposition iranienne en exil (6 à 8 millions de personnes) semble désunie face à une dissidence intérieure soudée, elle paraît également en décalage avec les débats internes de la population iranienne. Fariba Adelkhah, anthropologue, met par ailleurs en garde contre la vision occidentale, binaire, de la société iranienne.
Bonjour,
D'après des chiffres de 2023, la diaspora iranienne serait composée de 6 à 8 millions de personnes selon Libération du 26 juin 2025 dans Il ne faut pas opposer les Iraniens de l'intérieur à ceux de la diaspora qui ajoute :
La principale figure de l'opposition en exil, Reza Pahlavi, fils de Mohammad-Reza Pahlavi, se trouve au cœur de vives polémiques au sein de la diaspora, notamment dans le contexte de la guerre des "douze Jours" de juin 2025, en raison de son soutien explicite aux opérations militaires israéliennes – position qu'aucune autre figure de l'opposition n'a adoptée publiquement. La centralité de sa personne dans les débats s'explique par l'ambivalence de son héritage historique : alors que son grand-père, Reza Khan (1925-1941), bénéficie encore d'une image globalement positive auprès de nombreux Iraniens, son père demeure une figure clivante, rejetée notamment par les mouvements de gauche et par les Moudjahidines-e Khalq, une secte islamo-marxiste. Certes, Reza Pahlavi, héritier de la monarchie déchue, recueille selon l'institut Gamaan près de 39 % d'opinions favorables auprès de la population iranienne. Mais cette popularité est moins l'expression d'un désir de restauration monarchique que le symptôme d'une nostalgie : celle d'un temps où l'économie fonctionnait, où l’État ne contrôlait pas chaque sphère de la vie culturelle ou privée. Dans les cercles de l'opposition en exil, la figure du prince divise. Peu crédible comme personnalité unificatrice, il reste néanmoins un symbole. Cependant, à l'intérieur du pays, la jeunesse iranienne ne cherche pas une figure providentielle, en particulier la Génération Z qui a été au centre du Mouvement Femme, Vie, Liberté de 2022.
Selon l'article Qui compose l’opposition fragmentée au régime iranien ? publié par L'Orient - Le Jour le 18 juin 2025, "l’opposition iranienne reste fragmentée entre divers groupes rivaux et courants idéologiques, et elle semble n’avoir qu’une présence organisée limitée à l’intérieur du pays".
Voici quelques-uns des groupes ou blocs d’opposition :
Les monarchistes
Le dernier shah d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi, a fui le pays en 1979 à l’approche de la révolution. Il est mort en exil en Égypte en 1980. Son fils, Reza Pahlavi, héritier du Trône du Paon lorsque la dynastie a été renversée, est désormais basé aux États-Unis. Il plaide pour un changement de régime par la désobéissance civile non violente et appelle à un référendum sur un nouveau gouvernement. S’il bénéficie du soutien de nombreux membres de la diaspora iranienne favorables à un retour de la monarchie, il est difficile d’évaluer la popularité de cette idée à l’intérieur du pays. La plupart des Iraniens sont trop jeunes pour avoir connu la vie avant la révolution, et le pays est aujourd’hui très différent de celui que le père de Reza Pahlavi a quitté il y a 46 ans.
Bien que certains Iraniens regardent l’ère pré-révolutionnaire avec nostalgie, beaucoup d’autres se souviennent également des inégalités et de l’oppression qui y régnaient. Par ailleurs, même parmi les monarchistes, des divisions persistent.
L'organisation des Moujahidines du peuple
Les Moujahidines étaient un groupe gauchiste influent qui menait des campagnes d’attentats contre le gouvernement du Shah et les cibles américaines dans les années 1970, avant de rompre avec les autres factions. Souvent désigné par son nom persan Moujahidine-e-Khalq ou par les acronymes MEK ou MKO, ce groupe est très controversé. De nombreux Iraniens, même parmi les opposants farouches au régime islamique, ne lui pardonnent pas d’avoir pris le parti de l’Irak contre l’Iran pendant la guerre de 1980 à 1988.
C’est ce groupe qui a révélé publiquement en 2002 l’existence d’un programme secret d’enrichissement d’uranium en Iran. Toutefois, il ne semble plus avoir de présence active à l’intérieur du pays depuis des années. En exil, son dirigeant Massoud Rajavi n’a pas été vu depuis plus de 20 ans, et son épouse Maryam Rajavi a pris la tête du mouvement. Des organisations de défense des droits humains l’ont accusée de pratiques sectaires et d’abus envers ses membres, ce que le groupe nie.
Le MEK est la principale composante du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), dirigé par Maryam Rajavi et actif dans de nombreux pays occidentaux.
Les groupes minoritaires ethniques
Les minorités kurde et baloutche, majoritairement sunnites, ont souvent exprimé leur mécontentement envers le pouvoir central chiite et persanophone de Téhéran. Plusieurs groupes kurdes mènent depuis longtemps une opposition organisée à la République islamique dans l’ouest du pays, où ils sont majoritaires, et ils ont mené à certains moments une véritable insurrection contre les forces gouvernementales.
Dans le Baloutchistan, à la frontière pakistanaise, l’opposition à Téhéran va de groupes soutenant des chefs religieux sunnites cherchant davantage d’espace au sein du système islamique à des jihadistes armés liés à el-Qaëda.
Lors des grands mouvements de protestation qui ont secoué l’Iran, les manifestations ont souvent été les plus intenses dans les zones kurdes et baloutches. Néanmoins, dans aucune de ces régions il n’existe de mouvement unifié capable de représenter une menace claire pour le pouvoir en place.
Les mouvements de protestation
Des centaines de milliers d’Iraniens ont manifesté à différentes reprises au fil des décennies. Après l’élection présidentielle de 2009, des manifestations massives ont éclaté à Téhéran et dans d’autres villes pour dénoncer des fraudes électorales au profit du président sortant Mahmoud Ahmadinejad, face à son rival Mir Hossein Moussavi. Le « Mouvement Vert » de Moussavi a été réprimé, et Moussavi, ainsi que son allié politique Mehdi Karoubi, ancien président du Parlement, ont été placés en résidence surveillée.
Ce mouvement, qui prônait une réforme démocratique à l’intérieur du système de la République islamique, est désormais considéré comme éteint.
En 2022, d’importantes manifestations ont de nouveau éclaté en Iran, cette fois centrées sur les droits des femmes. Le mouvement « Femme, Vie, Liberté » a duré plusieurs mois, mais il n’a pas débouché sur la création d’une organisation ou d’un leadership structuré. De nombreux manifestants ont fini par être arrêtés et emprisonnés.
Le 23 juin 2025 Médiapart titre Désunie à l’extérieur, soudée à l’intérieur : les deux visages de l’opposition iranienne et rapporte que
Dans son ensemble, la société civile iranienne fait consensus pour condamner les frappes israéliennes, a fortiori américaines, tout en rêvant à la fin de la République islamique. [...]
« Trois grands ressorts, non exclusifs l’un de l’autre, motivent la jeunesse iranienne dans sa mobilisation contre le régime », souligne Karim Lahidji, ancien président de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), qui, en tant qu’avocat au barreau de Téhéran, a défendu des centaines de prisonniers politiques sous le régime du chah, puis de la République islamique. [...]
« Il y a le refus net de la République islamique ; l’opposition au principe de la peine de mort [dans un pays qui a enregistré 854 exécutions l’an passé – ndlr] ; et les valeurs mossadeghistes », estime Lahidji. [...]
Aujourd’hui, l’opposition en exil est principalement constituée autour de deux figures : Maryam Radjavi, la dirigeante de l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien (OMPI) et Reza Pahlavi, le fils aîné du dernier chah renversé et mort de maladie en exil.Fondée en 1965 par de jeunes intellectuels, l’OMPI a d’abord été une organisation de résistance au régime du chah, prônant la guérilla urbaine. Ses militants ont payé un prix élevé à la répression de la Savak (la police politique). Après l’exécution de trois de ses fondateurs, en mai 1972, Massoud Radjavi prend le contrôle du parti. Les moudjahidines participent activement au renversement de la monarchie, puis s’opposent à la mainmise du clergé chiite sur l’Iran. D’où un retour de la répression à leur encontre et leur interdiction à partir de 1981.
Ils répliquent notamment par l’attentat du 28 juin 1981 contre les dirigeants du Parti de la République islamique (PRI), dont seront victimes l’ayatollah Mohammad Beheshti, grande figure du nouveau régime islamique, ainsi que quatre ministres, six ministres adjoints et un quart du groupe parlementaire du PRI. Mais Massoud Radjavi va commettre l’erreur stratégique de s’allier avec Saddam Hussein. L’armée qu’il met sur pied se range aux côtés des forces irakiennes pendant la guerre Irak-Iran (1980-1988).
Le discrédit de la part de la population iranienne qui s’abat sur les moudjahidines est alors total et dure encore. Progressivement, sous l’impulsion de Massoud Radjavi, décédé en 2016 aux États-Unis, et de sa femme, Maryam, présidente du Conseil national de la résistance iranienne, la vitrine politique de l’organisation, l’OMPI s’est transformée en secte.
Ses agissements ont été dénoncés par plusieurs organisations humanitaires, en particulier le culte proprement stalinien de la personnalité à l’égard de Maryam, devenue une figure totalement sacralisée – ce qui ne l’a pas empêchée d’être reçue le 18 juin au Parlement européen, où elle a plaidé pour un renversement du régime en se gardant bien de préciser si elle condamnait ou pas les bombardements israéliens.
Depuis les États-Unis où il vit en exil, Reza Pahlavi a appelé au renversement du régime islamique, s’est refusé à condamner les bombardements israéliens et américains et s’est déclaré prêt à assurer le pouvoir transitionnel. « Il est temps de reprendre le contrôle de l’Iran. Puissé-je être bientôt avec vous », a-t-il ainsi déclaré le 17 juin, dans une vidéo.
La pendaison de l’activiste royaliste Majidreza Rahnavard et l’apparition du drapeau impérial lors des manifestations du mouvement Femme, vie, liberté, en 2022, ont témoigné, parmi d’autres indications, que les monarchistes étaient beaucoup plus représentatifs que ce qu’affirment leurs adversaires.
Selon un sondage réalisé en 2022 par GANAAN, une ONG installée aux Pays-Bas et spécialisée dans l’étude de l’Iran, Reza Pahlavi recueille ainsi 39 % des préférences des Iraniens, devançant Nasrin Sotoudeh et Narges Mohammadi qui obtiennent 15 % chacune. Sur la question du drapeau, celui de la République islamique ne reçoit que 30 % des préférences des Iraniens alors que la bannière à trois couleurs avec le lion et le soleil, qui était celle de l’Iran avant la révolution, en obtient 46 %.
Mais beaucoup plus que les partis installés en Europe ou aux États-Unis ou d’éventuelles figures providentielles, ce sont vers les médias iraniens installés à l’étranger que se tourne la jeunesse iranienne et auxquels elle témoigne de sa confiance à les informer.
Fariba Adelkhah, anthropologue, met en garde contre la vision occidentale, binaire, de la société iranienne :
On oppose donc le « bon » Iran, celui de la « société civile », du mouvement Femme, vie, liberté, de l’opposition en exil de plus en plus inféodée à la mouvance de Donald Trump relayée par quelques intellectuels en vue et par la majorité des médias conservateurs, au « méchant » Iran, celui de l’islam, des mollahs, de la « dictature » du Guide de la révolution, deus ex machina de la répression et du nucléaire.
Cette vision binaire de la société iranienne méconnaît sa réalité, de plus en plus complexe du fait de sa diversité, de son urbanisation, de son éducation et de la démultiplication de son espace à l’échelle du globe par l’intermédiaire de sa diaspora. Elle en occulte aussi l’histoire. Qu’ils le veuillent ou non, qu’ils l’aient combattu ou non, tous les Iraniens sont des enfants de Khomeyni, largement étrangers au régime du chah, que la plupart d’entre eux n’ont pas connu, et tributaires d’une République qui les a façonnés. Pas seulement par la coercition, mais aussi par de multiples interactions, par un processus continu de cooptation au sein des institutions politiques ou économiques, par les liens familiaux qui réunissent au-delà des divergences politiques (ou, au contraire, dramatisent ces conflits en leur donnant une tournure fratricide).
Source : Fariba Adelkhah La vision occidentale de la société iranienne, binaire, méconnaît sa réalité de plus en plus complexe, Le Monde, 24 juin 2025
Toujours selon l'article de Libération, Il ne faut pas opposer les Iraniens de l'intérieur à ceux de la diaspora, pour les acteurs sociaux, culturels, économiques, le mouvement des femmes, les militants, les syndicalistes, des étudiants, des journalistes, des artistes, des sportifs, des écrivains ou des activistes des droits humains qui rejettent majoritairement la mainmise de l’État sur le corps social [...] les partis d'opposition en exil apparaissent souvent en décalage avec les débats politiques internes et centrés sur leurs propres querelles héritées de la période révolutionnaire (1979-1983).
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