Que sont devenus en 1871 les communards qui se sont exilés en Suisse ?
Question d'origine :
Bonjour le Guichet du Savoir
Merci pour toutes vos passionnantes réponses
En 1871 de nombreux parisiens et lyonnais, qui avaient soutenu le mouvement de La Commune, sont allés se réfugier à Genève. Que sait-on de leur vie en Suisse, de leurs conditions d'existence, certains ont-ils pu recommencer une nouvelle vie? Merci encore.
Réponse du Guichet

Des 800 proscrit·es exilé·es en Suisse après la répression de la Commune de Paris, une moitié sont des ouvriers, le plus souvent qualifiés, un quart des employés et un autre quart est composé de professions libérales et indépendantes, et de commerçants ou artisans à leur compte, d’après la recension de Marc Vuilleumier mais nombreux sont celles et ceux qui connaissent la misère. Iels se retrouvent dans les cafés, pour certain·es, iels adhèrent à la Première Internationale, d'autres s’isolent, perdent le contact avec la réalité sociale tant de la patrie que du pays d’accueil.
Bonjour,
Après la répression de la Commune de Paris, c'est en Suisse qu'environ 800 communard·es ont trouvé refuge en Suisse, notamment à Genève. Mais quelle fut leur existence ?
L'article Quand la Suisse accueillait les exilés... de la Commune de Paris de Christiane Pasteur publié le 20 avril 2021 sur Basta Média, largement documenté par Les exilés communards en Suisse / Marc Vuilleumier, Le Mouvement social No. 99, Au pays de Schneider : Prolétariat et militants ouvriers de la Commune à nos jours (Apr. - Jun., 1977), pp. 47-51 (5 pages) Published By : Sciences Po University Press en lecture libre sur Gallica et Souvenirs de deux Communards réfugiés à Genève, 1871-1873 / Gustave Lefrançais et Arthur Arnould, présentation par Marc Vuilleumier, éd. Collège du travail, 1987, rapporte que
Parmi les figures les plus célèbres de la Commune résidant en Suisse, les journalistes Jules Vallès, Benoît Malon, Jules Guesde, Paul Brousse et Henri Rochefort – qui passera notamment par la Suisse après s’être évadé du bagne de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie –, Eugène Protot, délégué à la justice de la Commune, le peintre Gustave Courbet ou encore le géographe Elisée Reclus.
Des femmes, bien sûr, prendront le même chemin, même si leurs traces sont plus rares. À quelques exceptions près. Citons Virginie Barbet, écrivaine, féministe et militante anarchiste de Lyon, et Victorine Rouchy-Brocher, condamnée à mort pour l’incendie de la Cour des comptes, décrétée à tort morte pendant la Commune, et qui publiera, bien plus tard, ses Souvenirs d’une morte vivante.
Hommes ou femmes, les proscrit·es mènent une vie souvent misérable :
La vie des proscrit·es en Suisse n’en est pas moins difficile. Une moitié sont des ouvriers, le plus souvent qualifiés, un quart des employés et un autre quart est composé de professions libérales et indépendantes, et de commerçants ou artisans à leur compte, d’après la recension de Marc Vuilleumier. A Genève, les possibilités d’emploi sont insuffisantes et la crise économique qui débutera en 1873 frappera durement l’industrie dominante, l’horlogerie et la bijouterie. Nombreux sont les communard·es qui connaissent la misère. Poussant même quelques-uns à se transformer en mouchards au service de la police française.
« Il y a eu aussi pas mal de solidarité », indique Marianne Enckell. « Des coopératives de cordonniers et de boulangers sont créées. Un certain nombre de communards sont accueillis dans le Jura, où des compagnons les aident à trouver du travail. Certains se sont casés et n’ont plus fait parler d’eux. D’autres sont rentrés discrètement ou repartis assez vite car ils n’avaient pas été condamnés. D’autres enfin resteront, comme le syndicaliste révolutionnaire Jean-Louis Pindy, condamné à mort par contumace pour avoir ordonné l’incendie de l’Hôtel de Ville de Paris, qui s’installera finalement à La Chaux-de-Fonds. »
[...]
Les proscrit·es se retrouvent dans des cafés, comme celui du Levant, à Genève. Une grande partie d’entre eux adhérent, dès leur arrivée, à la Première Internationale.
[...]
Les conflits politiques et personnels, la disparité des conditions, la réussite des un·es et la misère des autres constituent une source permanente de tension, note Marc Vuilleumier. Certain·es exilé·es s’isolent, perdent le contact avec la réalité sociale tant de la patrie que du pays d’accueil, alors que d’autres parviennent à s’insérer dans les luttes réelles.
Voici également un extrait de l'article Les exilés communards en Suisse / Marc Vuilleumier, Le Mouvement social No. 99, Au pays de Schneider : Prolétariat et militants ouvriers de la Commune à nos jours (Apr. - Jun., 1977), pp. 47-51 (5 pages) Published By : Sciences Po University Press :
L'absence d'une surveillance policière centralisée et le va-et-vient continuel des proscrits rend très difficile l'établissement de statistiques : peut-être 800, dont 400 à 500 pour la seule Genève ; au moins vingt pour cent viennent de la province ; une écrasante majorité de salariés, surtout des ouvriers qualifiés et un nombre appréciable d'employés ; des hommes de lettres et des journalistes assez nombreux. La plupart se fixèrent à Genève et en Suisse romande, malgré le développement industriel plus important de la Suisse allemande. Les difficultés pour trouver un emploi furent nombreuses, et si l'on compte quelques réussites économiques, la misère dépeinte par Dumay était bien plus fréquente. C'est elle qui, jointe à la démoralisation et peut-être à certaines fautes passées permettant le chantage, poussa deux ou trois proscrits dans les bras de la police (Poirier, Josselin, Chalain). Leurs rapports nous montrent tous les petits côtés de la proscription : conflits d'intérêt, jalousies, rancœurs longuement accumulées, tout cela éclate en conflits personnels qui, souvent, se parent de motivations idéologiques. Ou alors ce sont les conflits politiques qui s'enveniment par ces tensions personnelles. Apparaissent ainsi les traits caractéristiques de toute émigration : repli sur le passé, tendance à perdre le contact avec la réalité sociale (dans la patrie et dans le pays d'accueil), à raisonner sur des abstractions peu à peu vidées de tout contenu, d'où divisions en petites sectes...
Mais cette propension au repli sur le passé et à l'isolement est sans cesse combattue par des individus ou des groupes, et leurs efforts pour échapper aux pièges de l'exil constituent sans doute l'aspect le plus attachant de l'histoire de la proscription. C'est le cas de ceux qui participent au mouvement ouvrier local ; malgré les difficultés à s'y intégrer (ce qui explique qu'à Genève la majorité des communeux ait rejoint le petit groupe marginal des partisans de Bakounine), malgré le nationalisme jacobin des Français et le patriotisme démocrate des Suisses, quelques-uns se révélèrent des militants de premier plan, capables de s'adapter à toutes les situations et de poursuivre leur action dans des pays différents (Bazin, Piéron...).
Autre problème : l'attitude de ces proscrits devant la renaissance du mouvement ouvrier en France. Dès le début, ils s'étaient ingéniés à maintenir le contact avec le pays et la Fédération jurassienne prétendit même avoir réussi à établir des relations organisationnelles clandestines, en 1877. Celui qui a joué le rôle le plus important est incontestablement Malon, fort négligé, pour des raisons diverses, par les historiens. Ses relations avec le mouvement ouvrier italien et allemand (Bernstein, Kautsky, Motteler, Vollmar, Hôchberg... au Tessin puis à Zurich), les contacts qu'il noue, sur le plan international, pour la publication de ses revues ou de ses ouvrages (des compilations, mais combien significatives !), le rendent sensible aux nouvelles tendances qui apparaissent au sein du mouvement ouvrier européen. Il admire le Parti allemand et souhaite que les Français s'en inspirent ; il sert de médiateur pour dissiper les malentendus qui surgissent entre le groupe guesdiste et les Allemands, tandis qu'il traduit Lassalle et Schaeffle. Sa Revue socialiste (1880), financée secrètement par Hôchberg et imprimée à Lyon par les soins de Dumay, publie Bernstein, Kautsky, Engels ; elle s'affirme collectiviste et reconnaît que, pendant l'absence des communeux, un nouveau parti ouvrier socialiste s'est formé en France. C'est avec ses éléments que Malon prend contact ; lors du congrès de Marseille, en 1879, ses conseils à Jean Lombard furent particulièrement judicieux et profitables.
C'est pour regrouper tous ces éléments encore disparates qu'il publia la fameuse « Enquête ouvrière » de Marx et qu'il insista auprès de Guesde sur la nécessité d'élaborer un programme. Dès avril 1880, il accepte avec enthousiasme la suggestion de Lafargue : charger Marx de la rédaction du projet, ce qui se fera lors du voyage de Guesde à Londres. Malon s'efforcera alors de récolter les adhésions en province.
Mais si les Bazin, Piéron, Malon réussirent, dans l'exil, à reprendre une action militante et à s'intégrer au nouveau mouvement ouvrier, beaucoup d'autres, séparés de tout mouvement réel durant de nombreuses années, avaient acquis une mentalité d'anciens combattants qui ne leur permit pas cette adaptation ils demeurèrent à l'écart, isolés ou en des groupes marginaux, ou alors évoluèrent dans d'autres directions. La destinée des anciens communeux après 1880 reste à écrire.
Nous vous proposons une petite bibliographie pour aller plus loin :
- La proscription française en Suisse : 1871-72 / par Claris, Aristide Jean (1843-1916),1872, version numérisée sur Google Livres.
- La Suisse et la Commune de Paris, 1870-1871 / Marc Vuilleumier ; texte édité par Marianne Enckell ; préface de Charles Heimberg, Lausanne : Éditions d'En bas, 2022. L'ouvrage est au catalogue de la BNF mais aussi à AUBERVILLIERS - Campus Condorcet, NANTERRE - La contemporaine et à PARIS - BIS, Fonds général.
- L'immigration en Suisse depuis 1848 : une mémoire en construction / Arlettaz, Silvia, Arlettaz, Gérald, éd. Schwabe, 1991. Ce document devrait se télécharger directement sur votre appareil.
- "Nous sommes vos confédérés, car nous sommes républicains" : une micro-histoire sociale de la proscription républicaine française en Suisse, 1848-1870 / Olivier Lamon ; sous la direction de Christophe Prochasson et de Irène Herrmann, Thèse de doctorat, 2024. Ce document devrait se télécharger directement sur votre appareil.
- Les vies d'André Léo : romancière, féministe et communarde / sous la direction de Frédéric Chauvaud, François Dubasque, Pierre Rossignol et Louis Vibrac, préface de Michelle Perrot, 2015
- Sur la page Exil des communards de Wikipédia vous pouvez lire aussi Fortunes diverses de la réintégration.
Bonne journée
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