Quelles sont les causes du conflit qui oppose la Thaïlande au Cambodge ?
Question d'origine :
Quelles sont les causes du conflit qui oppose la Thaïlande au Cambodge?
Réponse du Guichet

Les causes du conflit entre la Thaïlande et le Cambodge sont historiques (refus de la Thaïlande d’accepter les frontières du traité de 1907) et politiques (les régimes des deux pays, fragilisés, tentent de miser sur les sentiments nationalistes de leur population).
Bonjour,
Les documents présents dans nos collections ne se penchent pas vraiment sur ce conflit, même s’il peut être intéressant de consulter au moins les deux titres suivants pour mieux connaître l’histoire de ces pays :
Description du royaume thai ou Siam : comprenant topographie, histoire naturelle, moeurs et coutumes, législation, commerce, industrie, langue, littérature, religion et annales des Thaïs : avec cartes et gravures, par Mgr Pallegoix,....
Histoire du Cambodge, David Chandler
Pour envisager les causes du conflit, il peut être utile de lire tout d’abord l’article :
Conflit frontalier entre le Cambodge et la Thaïlande, sur Wikipédia. Il résume très bien ce qui conduit périodiquement les deux pays à s’affronter sur ces questions territoriales.
Ensuite, cette sélection d’articles devrait vous permettre d’y voir un peu plus clair :
En ligne
Thaïlande — Cambodge: cinq points sur la géopolitique d’une frontière explosive, Michel Foucher, Le Grand Continent, 27/07/2025
Face au conflit Thaïlande-Cambodge, la Chine en médiatrice attentive... et intéressée, Aurore Maubian, L’Express, 27/07/2025
Disponibles en entier avec un abonnement à la Bibliothèque sur notre base Europresse (sur le site BML rubrique Numérique -> Lire la presse)
CAMBODGE-THAÏLANDE, Aux racines du conflit, une frontière coloniale disputée, NELLY DIDELOT
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D'où vient le différend entre les deux pays ? Pour comprendre l'origine du conflit, il faut remonter à 1907. La Thaïlande s'appelle alors le Siam et le royaume du Cambodge est sous protectorat français depuis un demi-siècle. A la faveur d'un échange de territoires, la province de Battambang et celle d'Angkor, qui étaient sous administration siamoises, reviennent de dans le giron cambodgien et sont intégrées à l'Indochine française. Paris entreprend alors de cartographier la limite entre les royaumes du Cambodge et du Siam, longue de plus de 800 kilomètres. La notion de frontière linéaire est alors relativement nouvelle dans la région – où les Etats traditionnels préféraient la notion de «marge», floue (et extensible), à celle de la «limite»– et les Siamois ne s'opposent pas à la ligne dessinée par les Français. Ce n'est qu'une trentaine d'années plus tard, lors d'une entreprise de cartographie plus poussée de leur territoire, qu'ils contestent le tracé, en réclamant notamment la possession de plusieurs petits temples. Commence alors un long différend avec son voisin cambodgien, qui connaîtra de grandes périodes de sommeil et de brusques pics de tensions.
«En 1954, la Thaïlande a profité de la faillite française en Indochine et de la fin de la colonisation pour occuper le temple de Preah Vihear, le symbole du conflit frontalier, rappelle David Camroux, chercheur au Ceri Sciences-Po. Les Thaïlandais ont toujours eu un certain mépris pour les Cambodgiens, qui ont été colonisés, contrairement à eux.» Le Cambodge nouvellement indépendant, plus faible que son voisin qui veut imposer un règlement bilatéral des contestations frontalières, s'est tourné vers la Cour internationale de justice (CIJ). En 1962, puis 2013, elle tranche en faveur de Phnom Penh et attribue le temple de Preah Vihear au Cambodge. Une décision que Bangkok n'a jamais acceptée, notamment parce qu'elle se fonde sur les cartes françaises et le traité de 1907. Conscient de son avantage au regard du droit international, Phnom Penh s'est à nouveau tourné vers la CIJ en juin. Le Cambodge lui demande notamment de se prononcer sur l'appartenance de quatre autres zones, dont celle du temple de Ta Muen Thom, d'où sont partis les premiers coups de feu jeudi.
Libération, 26/07/2025
Le conflit s’intensifie entre Cambodge et Thaïlande, Brice Pedroletti
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Le litige initial porte sur la délimitation de la frontière, notamment autour de quatre sites angkoriens disputés, contrôlés par la Thaïlande, mais considérés par Phnom Penh comme partie intégrante de son patrimoine historique. A l’époque de l’Empire khmer, ces temples étaient disséminés bien au-delà de l’actuelle frontière cambodgienne.
En 2013, la Cour internationale de justice (CIJ), saisie par le Cambodge à la suite des heurts de 2008-2011, avait tranché en sa faveur dans le différend territorial avec Bangkok au sujet du temple de Preah Vihear, en se fondant sur une carte française de 1907, à l’échelle 1 : 200 000. La Thaïlande, de son côté, a toujours soutenu que ses propres cartes modernes, quatre fois plus précises et suivant les lignes de crête naturelles, doivent servir de base aux négociations.
Or, Phnom Penh a de nouveau saisi, au grand dam de Bangkok, la CIJ le 19 juin pour statuer sur le cas des quatre nouveaux sites en question – provoquant une crise politique en Thaïlande. «Depuis, le niveau de tension se maintenait, mais semblait servir les intérêts internes des deux gouvernements », observe Zachary Abuza, spécialiste de l’Asie du Sud-Est au National War College, à Washington. «Le “succès” cambodgien de juin a renforcé la popularité de Hun Manet. En Thaïlande, cela a conduit à la suspension de la première ministre Paetongtarn Shinawatra, ouvrant la porte à un éventuel gouvernement plus conservateur dans le futur », poursuit-il.
Le Monde, 26/07/2025
Entre le Cambodge et la Thaïlande, de sourdes rivalités politiques, Brice Pedroletti
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La confrontation larvée à laquelle se livraient depuis février les deux voisins porte sur des points disputés de leur frontière. Le Cambodge, qui se prévaut de la dernière décision de la Cour de justice internationale (CIJ) lui ayant accordé la souveraineté sur le temple angkorien de Preah Vihear en 2013, en vertu de cartes datant de la colonisation française, a porté, le 16 juin, devant cette instance de règlement internationale, le cas de quatre sites, dont trois temples khmers. Bangkok espérait, dans le cadre de négociations bilatérales, imposer son tracé selon ses cartes, plus précises.
Les trois temples concernés étaient, jusqu’aux récents conflits, cogérés par des soldats non armés des deux camps. Datant de la splendeur d’Angkor au XIe siècle et consacrés au dieu hindou Shiva, ils sont pour les Cambodgiens des symboles de souveraineté et de pouvoir politique. Pour Bangkok, c’est leur emplacement stratégique qui compte – ils verrouillent des passages à travers la chaîne des monts Dangrek.
La montée des tensions depuis juin, la découverte en juillet par l’armée thaïlandaise de mines antipersonnel dans la zone de Chong-Bok (nord) après le retrait de troupes cambodgiennes, l’afflux de visiteurs cambodgiens militants au temple de Ta Muen Thom ont servi de prétexte à l’armée thaïlandaise pour le fermer par des barbelés le 24 juillet au matin – une ligne rouge pour Phnom Penh qui y a vu une tentative de renverser le statu quo en vigueur.
Désormais, les troupes de chaque pays tentent de prendre le contrôle des zones disputées. Phnom Penh dénonce « l’agresseur » thaïlandais et « l’invasion » de son territoire. Les relations avec le Cambodge ont, à plusieurs reprises ces deux dernières décennies, activé en Thaïlande la rivalité politique entre les Shinawatra et l’establishment militaro-royaliste : les premiers ont fait de Hun Sen un allié, se servant du Cambodge comme d’une base de repli lors des coups d’Etat militaires en contrepartie d’une approche plus conciliante vis-à-vis de Phnom Penh. Les militaires thaïlandais se sont toujours posés, eux, en gardiens ultimes d’une souveraineté que les Shinawatra seraient prêts, selon les ultranationalistes, à bafouer.
Le Monde, 29/07/2025
La France est-elle la cause du conflit entre le Cambodge et la Thaïlande?, Jérémy André
Désaccord sur la frontière
Pour régler la crise, encore faudra-t-il en traiter les causes à la racine. Or, à peine le sang avait-il coulé en fin de semaine dernièreque certains, en Asie, désignaient le bouc émissaire idéal. «Ce problème résulte des dommages durables causés par les colonisateurs occidentaux et exige désormais une résolution sereine et appropriée», dénonçait, depuis Pékin, le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi, en recevant le secrétaire général de l'Asean, le Cambodgien Kao Kim Hourn.
La pique était manifestement destinée à la France: la dispute entre les deux pays a pour principal contentieux le désaccord sur la frontière tracée en1907par des géographes français. Le Cambodge était alors un protectorat intégré à l'Indochine française. Vaincu lors d'une humiliante campagne de la flotte française en 1893, le Royaume de Siam s'était soumis à des traités une décennie plus tard, qui rattachaient le bassin du Mékong à Phnom Penh.
En annexe d'un de ces traités de 1907, les cartes françaises à l'échelle 1/200000 (l'équivalent d'une carte routière où 1cm représente donc 2km), plaçaient4temples dans le territoire cambodgien, alors que le texte d'un précédent traité, de 1904, les aurait situés en territoire thaï.
Résultat, dès 1934, la Thaïlande revendiquait les temples, et, dans les années 1950, envoyait des troupes pour occuper le plus important, celui de Preah Vihear, vieux de 1200ans, et qu'elle avait déjà plusieurs fois conquis entre le XVe et le XIXesiècle. Le Cambodge a cependant obtenu gain de cause en1961auprès de la Cour internationale de justice, qui a considéré que les cartes annexes de1907ne supplantaient pas le texte du précédent traité.
Contestation thaïlandaise du tracé français
Du côté de Paris, on juge contreproductif et «ennuyeux» la sortie chinoise contre l'ancienne puissance coloniale. De l'eau a coulé depuis les aventures indochinoises de la IIIeRépublique. Thaïlande et Cambodge avaient bien failli régler la question dans les années 2000, cogérant trois des temples. Et sur une candidature au départ commune, le temple de Preah Vihear avait été classé au patrimoine mondial de l'Unescoen 2008.
La Thaïlande s'était cependant brusquement retirée de l'initiative, et d'octobre2008 à décembre2011, des combats sporadiques et des échanges d'artillerie ont fait une trentaine de morts, principalement des soldats. La fin de la détente et la montée des tensions avaient correspondu à la chute de Thaksin Shinawatra, Premier ministre thaïlandais de2001à 2006, apprécié du dirigeant cambodgien Hun Sen et forcé à l'exil par un coup d'État militaire.
La contestation thaïlandaise du tracé français de1907n'est encore qu'une partie du problème dans le regain de violence observé depuis ce printemps 2025. Celui-ci s'est ouvert le 28mai par la mort d'un soldat cambodgien. Les deux pays s'accusent mutuellement d'être l'agresseur dans cette escarmouche.
La presse de Phnom Penh dénonce une invasion et martèle sa thèse: l'armée thaïlandaise aurait entraîné les deux pays dans la guerre pour faire tomber le clan Shinawatra, revenu au pouvoir depuis 2024, avec la fille de Thaksin, Paetongtarn. Le Premier ministre cambodgien Hun Manet, fils de Hun Sen, s'en est remis mi-juin à la Cour internationale de justice (CIJ). Mais les observateurs de la dispute ne s'accordent pas à peindre le Cambodge en victime.
Le Point, 28/07/2025
Bonnes lectures !