D'où vient l'expression "être du bois dont on fait les flutes" ?
Question d'origine :
Bonjour, d'où vient l'expression "être du bois dont on fait les flutes" ? merci !
Réponse du Guichet

Si Lire Magazine attribue l'origine de l'expression à l'instrument de musique en ironisant sur la souplesse toute relative du bois qui le constitue, le site La langue française mentionne que l'acception du mot flûte au sein de cette locution est sujet à controverse entre l’instrument de musique et le navire, au sens de bateau hollandais du XVIe siècle capable de naviguer sur toutes les mers...
Pour d’autres auteurs, il aurait existé au milieu du XIXe siècle un journal satirique créant l'expression "Dubois dont on fait les flûtes" pour caricaturer le député d’Angers, André Dubois, trop enclin semble-t-il à suivre à la lettre les ordres du gouvernement...
Bonjour,
Vous souhaitez savoir d'où vient l'expression "être du bois dont on fait les flûtes", attesté selon le CNTRL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) dans la plupart des dictionnaires du XIXe et du XXe.
Le Dictionnaire d'expressions et locutions d'Alain Rey et Sophie Chantreau donne la définition suivante :
Être du bois dont on fait les flûtes
"être extrêmement complaisant". La variante ancienne employée depuis le début du XVIIe s., être du bois dont on fait les vielles, montre qu'il s'agit du bois souple servant à fabriquer les instruments de musique. La métaphore s'articule vraisemblablement sur l'idée d'"accord" (Le Roux [1752] lui donne pour syn. : être de tous bons accords).
Le site de Lire magazine s'intéresse à l'origine de cette expression dont font référence Brassens et Vidocq.
« On était du même bois
Un peu rustique, un peu brut,
Dont on fait n’importe quoi
Sauf, naturellement, les flûtes. »
(Georges Brassens, Auprès de mon arbre, 1955)
Le poète libertaire revendique ici son caractère insoumis en déclinant négativement la métaphore, prenant l’expression dans son sens littéral : « se montrer très complaisant, s’adapter facilement », « être malléable, d’humeur accommodante » ou, pour employer une autre locution, « être une bonne pâte ».
Cette idée de souplesse est bien exprimée dans cet extrait des Mémoires de Vidocq (1828) : « Je suis du bois dont on fait les flûtes, je me plie à tout, on peut me mettre à toutes sauces. » (ch. LXI.)
Source : « Être du bois dont on fait les flûtes » : d’où vient cette expression ? (Jean Maillet et Bénédicte Maillard pour Lire Magazine, publié le
L'article sus-cité s'interroge sur ce qu'est au sens propre le bois dont on fait les flûtes : un bois qui manque paradoxalement de souplesse ! Être du bois dont on fait les flèches ne serait-il pas alors plus approprié ?!
Il doit être dense et apte à fournir, par polissage, des surfaces très lisses. Il est souvent dur, comme le buis, parfois plus tendre, comme l’érable, mais certaines flûtes (à bec) sont également faites en poirier, cerisier ou palissandre, bois qui se tournent facilement. Des essences nobles et donc rares, issues d’arbres devant être coupés en « vieille lune », puis séchés entre dix et vingt ans dans des conditions optimales avant d’être débités en cylindres puis façonnés. Un bois rustique et brut ne peut évidemment pas convenir (dans la chanson de Brassens, l’arbre en question est un chêne, son « copain de chêne », son « alter ego ») mais les bois dont on fait les flûtes semblent justement manquer de souplesse. L’expression serait-elle donc illogique ?
Être du bois dont on fait les flèches serait plus approprié puisque, comme chacun sait, on peut faire flèche de tout bois mais cette variante n’est pas attestée. On a également dit être du bois dont on fait les vielles (d’archet ou à roue ?), locution notamment mentionnée par Antoine Furetière dans son Dictionnaire universel (1690).
Source : Ibid.
Si Lire Magazine attribue l'origine de l'expression à l'instrument de musique, le site La langue française mentionne que le sens du mot flûte au sein de cette locution est sujet à controverse entre l’instrument de musique et le navire. En effet, le mot flûte, peut signifier dans le registre de l'histoire de la Marine :
Navire marchand hollandais du XVIIe siècle sans artillerie mais dotés trois mâts et voiles carrées, utilisés principalement pour le transport des cargaisons volumineuses.
Le 24 octobre, la Royale, naviguant de conserve cette fois avec la Dauphine, que commandait un Jacobsen, s’empara jà huit lieues environ du Dogger-bank, d’une flûte chargée planches Norvège, Saint-Georges. — Paul Joriaud, Jean Bart guerre course sous Louis XIV
Source : Site de la langue française (llf)
Ainsi, Le site de la Radio-télévision belge de la Fédération Wallonie-Bruxelles (RTBF) titre ainsi une de ses chroniques : "Flûte !" : du juron au bateau, connaissez-vous ces expressions impliquant l’instrument à vent ? (8 septembre 2023)
Chaque jeudi, Jacques Mercier, homme de mots et voix emblématique de la RTBF, s’amuse avec la langue française pour nous faire découvrir le sens caché des expressions et des termes musicaux.
Il en est une plus spéciale encore : "Être du bois dont on fait les flûtes". Elle signifie qu’on est quelqu’un de faible, de trop bonne composition, trop gentil. L’expression fait en réalité référence à un bateau hollandais du XVIe siècle capable de naviguer sur toutes les mers, se pliant aux exigences du transport commercial autant qu’à celles de la bataille navale. Ce navire simple à construire avec un bois usuel, adaptable à toutes les circonstances, facile à diriger, ce trois-mâts s’appelait une "flûte".
Et ce n’est pas tout pour cette expression ! Pour d’autres auteurs, il aurait existé au milieu du XIXe siècle un journal satirique qui trouva un malin plaisir de s’en prendre à André Dubois, député d’Angers sous Louis-Philippe, qui suit à la lettre les ordres du gouvernement. A l’origine, il aurait été écrit un article sur ledit journal avec le titre "Dubois dont on fait les flûtes". L’expression décrit donc un homme timoré qui cherche à adopter l’opinion dominante en s’abritant derrière un jugement et à ce titre il est impossible de lui reprocher quoi que ce soit.
Beaucoup de linguistes pourtant pensent que c’est aller chercher trop loin. L’expression ferait tout bêtement allusion au bois tendre, dans lequel il était facile de tailler l’instrument de musique.
Une recherche dans Gallica, permet de consulter des textes plus anciens se référant à cette locution :
Le Nouveau dictionnaire proverbial, satirique et burlesque, plus complet que tous ceux qui ont paru jusqu'à ce jour... par Antoine Caillot, 1829 cite l'expression page 85 :
"Être du bois dont on fait les vielles", ou bien, "être du bois dont ont fait les flûtes" : manière de parler qui signifie être à tout faire, être employé à tout ce que l'on veut, être complaisant à tout ce qu'on demande, être de bon accord lorsqu'il s'agit d'entreprendre quelque chose. Il est comme le bois dont on fait les vielles.
Le Pêle-mêle : journal humoristique hebdomadaire (1926-05-09) consacre une chronique à la "flûte" page 18 pour évoquer le journal satirique à l'origine de l'expression Monsieur Dubois... dont on fait les flûtes qui devint après condamnation du journal Monsieur Dubois... dont on ne fait pas les flûtes :
Bien connu des anciens, cet instrument qui, selon les poètes, a été inventé par Apollon, Mercure ou Pan, a donné lieu a des locutions variées et pittoresques, telles que : Jouer des flûtes...., Ah ! flûte, alors !..., Être du bois dont on fait les flûtes... et à un proverbe populaire : « Ce qui vient de la flûte, retourne au tambour. » Il est du bois dont on fait les flûtes, se dit d'un homme sans volonté, sans caractère et sans énergie qui n'a pas d'opinion propre, et qui, incapable de résister, cède à tout et à tout le monde. Il y avait jadis, au Parlement, un député conservateur nommé Dubois, qui votait toujours pour le ministère. Un journal opposant prit l'habitude de le désigner ainsi : Monsieur Dubois... dont on fait les flûtes. Notre homme se fâcha, attaqua en justice la feuille publique qui fut condamnée pour injure calomnieuse. Respectueux de la sentence rendue, le journal, à partir de ce jour-là, désigna son adversaire comme il suit : Monsieur Dubois... dont on ne fait pas les flûtes, en prenant bien soin d'indiquer au lecteur la date du jugement qui avait investi le parlementaire de cette qualité. XAVIER PRIVAS.
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