Quelles étaient les raisons et le coût des travaux de la trémie du secteur Garibaldi à Lyon ?
Question d'origine :
Bonjour !
Je passe tous les jours devant les travaux du secteur Garibaldi, et je m'interroge : comment en est-on arrivé à avoir une trémie aussi longue en plein coeur d'une ville aussi grande que Lyon, surtout sur les rues Félix Faure et Garibaldi ? Qu'est-ce qui a pu faire penser aux ingénieur.e.s et urbanistes que ce serait une bonne idée d'avoir un tunnel à voitures en plein centre-ville ?
Et si vous trouvez d'autres infos, je suis aussi preneuse : coût de l'opération, durée des travaux, photos des rues avant...
Merci pour vos réponses !

Réponse du Guichet

La trémie Garibaldi, construite au début des années 1970, est l'héritage de la transformation urbaine du quartier de la Part-Dieu et de choix urbanistiques visant à faciliter la circulation croissante des automobiles, tout en la séparant du flux piétonnier. Elle entre dans le cadre du nouveau plan de circulation mis en service en octobre 1974.
Les réalisations urbaines sont le fruit de la rencontre entre des idéologies et des problématiques financières, politiques, commerciales… elles connaissent des modes en fonction des époques. La construction de la trémie sous les rues Garibaldi et Felix Faure prend place dans le cadre de l’aménagement du quartier de la Part-Dieu dans les années 1970, qui a pour vocation de transformer ce quartier en deuxième centre de la ville, qualifié de centre directionnel. Pour en savoir plus sur le contexte global, vous pouvez lire cette synthèse Millénaire 3 réalisée par Stéphane Autran en 2008 :
Le quartier de la Part-Dieu à Lyon : l’invention d’un centre-ville : 1960-1980
Le projet implique divers intervenants: la ville, la SERL (Société d'équipement du Rhône et de Lyon), des services de l’Etat et divers bureaux d’études spécialisés. L’atelier d’urbanisme de la ville de Lyon (ATURVIL), dirigé par Charles Delfante, est en charge d’établir les plans de ce nouveau quartier.
En terme de circulation, ce dernier est pensé avec le principe d’une dissociation des trafics : autour du centre commercial, une circulation piétonne surélevée (passerelles), parkings semi-enterrés…
Dans le plan de 1967, «L'axe Nord-Sud s'organise autour de la rue Garibaldi. Elle est traitée à la manière d’un boulevard vert, reliant le parc de la tête d’Or au fort Lamothe. Il doit, selon Charles Delfante, devenir les « Champ Elysées » de Lyon. L'axe Est-Ouest permet de relier la Presqu'île à la Part-Dieu grâce aux rues Servient et Bonnel. La circulation piétonne est surélevée et isolée du flot automobile. Le cheminement piéton doit être orienté le long de portiques jusqu'au Rhône.»
Mais alors que le projet passe en phase opérationnelle, de multiples transformations ont lieu qui dénaturent l’idéal initial. Il faut négocier avec les opérateurs privés comme publics. L’idée des «champs Elysées» lyonnais disparait au profit de liaisons routières facilitant la circulation automobile.
«L’adaptation de la ville à l’automobile est aussi une innovation : un plan de circulation, inédit à l’époque, est mis en service le 23 octobre 1974 à minuit. La réorganisation des flux est un véritable « chantier dans le chantier » : au milieu des différentes opérations immobilières, les pouvoirs publiques entreprennent la création des autoroutes urbaines, des trémies, des sauts de mouton, des passages souterrains, des couloirs réservés au bus en contresens, des escaliers mécaniques et des passerelles piétonnes… L’ensemble du quartier est rapidement méconnaissable. Ce plan de circulation entraîne un véritable bouleversement de la manière de circuler en même temps que s’accroît le trafic automobile. Le plan prévoit une « liaison directe, sans feux tricolores, par exemple entre la manufacture des tabacs et la gare des brotteaux (34).
La circulation et le stationnement sont adaptés pour une fréquentation de 100.000 usagers par jour. Le réseau TCL voit sa logique adaptée au nouveau quartier : 19 lignes de bus voient leurs trajets améliorés par la création de couloirs dédiés. Les piétons sont relégués sur la dalle : 3,6 km de « passages aériens » sont prévus dont trois passages au dessus de la rue Garibaldi. Si la circulation est facilitée pour l’automobiliste, le quartier n’a théoriquement pas perdu sa vocation à être totalement piétonnier grâce à la fameuse dalle qui permet à la fois de distribuer le quartier et de réaliser de nouveaux espaces publics et espaces verts : « la circulation des véhicules y sera interdite. Le piéton sera roi. Ont été prévus pour son agrément 100.000 m² d’espaces libres et d’espaces verts (5 fois la superficie de la place Bellecour). Les chemins piétonniers permettront de vaquer à ses achats sans craindre de se faire écraser par les véhicules. Pour rompre la monotonie engendrée par un terrain naturellement plat, ces espaces libres seront aménagés sur deux niveaux : au sol et à + 6 mètres. Au niveau du sol, en pleine terre, 61.700 m² d’espaces verts, avec arbres (le long des rues, au pied des immeubles), arbustes, pelouses, massifs de fleurs, plans d’eau et fontaines. Au niveau + 6, une couche de terre végétale répartie sur une dalle en béton, des arbustes, des fleurs, des pelouses et des plans d’eau (38.000 m²)35 ». Le circuit piétonnier de la dalle est agrémenté par de multiples équipements : fontaine à l’éclairage sophistiqué, espaces de jeux, pistes cyclables, téléphones, boites à lettres, bancs, toilettes et boutiques. La circulation est facilitée par des tables d’orientations. Ce « domaine distinct » est attribué aux piétons afin, selon les concepteurs du plan qu’une « bataille piéton-automobile » ne s’engage pas à la Part-Dieu (36)»»
Dans La Part-Dieu, le succès d’un échec (2009), Charles Delfante revient brièvement sur les inspirations urbanistiques qui ont conduit à ce type d’aménagement :
«Une autre évolution du plan est la conséquence d’un phénomène de «mode» inspiré des expériences fonctionnelles américaines (68). Distinction rigoureuse des fonctions) qui, conjugué à une conception hygiéniste de la ville, considère la circulation automobile comme nuisible, du fait de la pollution et des dangers qu’elle fait courir…. D’où notre volonté d’effacer, chaque fois qu’il est possible, les voies de circulation importantes, de telle manière que la vie des quartiers ne soit pas perturbée: les dessertes intérieures sont à niveau dans la partie sud et, systématiquement, en souterrain partiel dans la partie centrale. Cette conception, pour généreuse qu’elle soit, accuse le caractère d’île du périmètre opérationnel. Cette situation désastreuse est aggravée lorsque les ingénieurs de la voirie, reprenant le pouvoir, transforment en «dalle» (…) le parvis imaginé par les urbanistes.
Ainsi, j’ai décrit notre conception de la rue Garibaldi, mais sa transformation en voie rapide en a fait une large piste en «montagnes russes», enterrant avec la circulation nos espoirs de «Champs-Elysées lyonnais». Pour ces mêmes raisons, le stationnement en surface est limité et recherché en souterrain. (…)»
Il estime aussi que «le plan de circulation a été adapté pour le bon fonctionnement du centre directionnel, ou plutôt du centre commercial, qui a imposé le développement des moyens de transport individuels parce que les idées émises pour une accessibilité à base de transports en commun n’ont pu avoir de suite.»
On peut lire dans La Part-Dieu, 800 ans d’histoire, catalogue d'exposition des Archives du département du Rhône et de la Métropole de Lyon paru en 2019 :
p. 77 : « Approuvé à Paris sans pour autant disposer d’un financement de l’Etat, le projet est par la suite fortement amendé dans des directions défavorables à la vision de Charles Delfante. En effet, la SNCF refuse d’abandonner la gare de Perrache, et le projet de la Part-Dieu est réduit à une «gare régionale», du moins sur le papier. Par ailleurs, plusieurs audits, menés par le cabinet anglo-saxon Larry Smith, préconisent l’augmentation des surfaces commerciales afin d’accroître l’activité économique et les recettes fiscales, tout en induisant des réaménagement favorables à l’automobile. Des parkings sont prévus, notamment dans le secteur Moncey-Nord, ainsi que l’aménagement de la rue Garibaldi en axe majeur de circulation, qui deviendra, selon l’expression de Delfante, un «toboggan à voitures»».
Ces axes majeurs de circulation s’inscrivent bien entendu dans une problématique plus large de liaisons routières à l’échelle de l’agglomération. Vous pouvez lire à ce propos :
L'automobile dans la ville : le cas de l'agglomération lyonnaise / Jacques Bonnet, in : Géocarrefour Année 1997 72-4 pp. 305-313
Pouvoirs urbains et ingénieurs de l’État : la construction d’infrastructures routières dans la région lyonnaise au vingtième siècle / Sébastien Gardon in : Métropoles, sciences sociales de l’urbain, n°2, 2007 (voir le chapitre Les transformations de la ville par l’automobile (1957-1976))
Pour plus de détails sur la construction de la trémie qui vous intéresse, vous pouvez :
- Consulter les dossiers de presse relatifs au quartier de la Part-Dieu (1969-1984) conservés à la bibliothèque municipale de Lyon :
Dans le tome 1 «La Part-Dieu: généralités», vous trouverez par exemple un article paru dans Métropole en septembre 1971 indiquant que la trémie Garibaldi devait être achevée en mars 1972, ou encore un article du Progrès du 22 octobre 1974 consacré au nouveau plan de circulation.
Le tome 5 «Autres constructions» contient un article sur la mise en service de la trémie Vivier-Merle-Paul-Bert en 1982 (Lyon matin, 14 septembre 1982).
Notre feuilletage ne nous a cependant pas permis d’identifier un article consacré spécifiquement à la construction de la trémie Garibaldi.
- Interroger des services d’archives :
Archives du département du Rhône et de la métropole de Lyon
En ce qui concerne des photographies des rues Garibaldi et Félix Faure à différentes époques, vous en trouverez sur la base Photographes en Rhône-Alpes (photographies issues de fonds conservés à la bibliothèque et de dépôts de contributeurs) en faisant une recherche au nom de la rue. Vous pouvez utiliser les philtres par périodes à gauche de la page de résultats. On y trouve une photographie de la trémie en question, pas facile en revanche d’identifier précisément ce carrefour sur des photographies plus anciennes.
Pour vous rendre compte de la précédente configuration des lieux, vous pouvez en revanche vous reporter aux Plans parcellaires de la Ville de Lyon. Les photographies aériennes disponibles sur le site de l’IGN Remonter le temps sont malheureusement un peu floues pour les années 1960.