Que représente l'imposte du 15 rue Térraille (Lyon 1er) ?
Question d'origine :
Bonjour,
Au 15 de la rue Terraille (Lyon 1er), l'imposte du portail présente des éléments qui font penser au corps médical. Il y a aussi des feuilles et sûrement des vers à soie.
Y a t'il un lien avec un médecin qui habitait ou qui a fait construire cet immeuble ?
D'avance merci pour votre aide.

Réponse du Guichet

L'immeuble situé au 15 rue Terraille, remarquable pour ses traboules closes et son portail décoré de symboles assurément liés à Lyon et à l'activité soierie, fut au XIXème siècle le siège d'ateliers de création du soyeux Claude-Joseph Bonnet. L'histoire de ce bâtiment demeure mal documentée et nous nous tournons vers nos collègues des archives municipales de Lyon pour en apprendre davantage. Le bâtiment appartient aujourd'hui à la société immobilière Maison du Griffon.
Bonjour,
Malgré ses dimensions impressionnantes et l'élégance de son imposte, l'édifice situé au 15 rue Terraille n'est pas le mieux documenté des pentes de la Croix-Rousse...
La rue Terraille débute rue Romarin et se termine rue Griffon. Elle est ouverte et attestée depuis 1550 (ancienne rue neuve du Griffon). Cette rue se caractérise par une légère montée jusqu'à la rue Saint Claude avant de redescendre sur la rue du Griffon, elle est bordée de maisons plus ou moins alignées, de hauteurs différentes, toutes anciennes, du 19e siècle et antérieures (sur ruesdelyon.net). L'origine de ce nom très ancien est incertain même si il semble rappeler qu'il y avait autrefois sur cet emplacement des fabriques de poteries (Abbé Adolphe Vachet, A travers les rues de Lyon). Une traboule à 4 accès se cache au sein de ce très gros bâtiment. 4 traboules fondent sur la cour intérieure mais l'accès est malheureusement fermé par la régie de l'immeuble (traboules.fr.). L'existence de ces traboules est aussi signalée dans le livre de René Dejean, Traboules de Lyon - histoire secrète d'une ville (1992).
Le portail qui défend l'entrée du numéro 15 aurait bien été construit en 1830. Une photographie et une légère description de cet ouvrage en fer forgé sont disponibles sur notre site Numelyo (photographie de Maurice Berthelon, 2011). On peut lire : "caducée, quatre têtes de lions et quatre papillons". Le caducée est le principal attribut du dieu Hermès dans la mythologie grecque, à savoir une baguette de deux serpents entrelacés, il est le symbole de la médecine. Le lion est le symbole de la ville de Lyon. Quant au papillon, il pourrait bien rappeler l’ancienne activité des soyeux du quartier. Le bombyx du mûrier était élevé pour produire la soie grâce à la fibre sécrétée par les larves du papillon. Ces petits insectes étaient élevés en France par millions dans des magnaneries pour alimenter un marché en pleine expansion.
Si les attributs représentés sur ce portail apportent de premiers éléments de réponse, nous ne sommes pas réellement parvenus à les confronter avec l'histoire du bâtiment. Alain Dreyfus dans ses Secrets des rues de Lyon (2021) nous révèle quand même que le numéro 15 servait d'entrée principale aux "Ets CJ Bonnet", à savoir les établissements de Claude-Joseph Bonnet, de 1835 à 2001 (p. 271) : "C'est au XIXème siècle la plus grande entreprise de soieries de Lyon. Ce sont jusqu'à 900 tisseurs qui travaillent pour lui. A sa mort sa fortune est colossale avec 8 millions de francs. L'imposte de la place du Griffon rappelle les initiales CJB".
Vous rencontrerez de nombreuses informations à son sujet dans cet article de Claude Latta, "Henri Pansu, Claude-Joseph Bonnet. Soierie et société à Lyon et en Bugey au XIXe siècle, tome 1, Les assises de la renommée : du Bugey à Lyon" :
La maison Bonnet a, à partir de 1834, son magasin rue du Griffon, une petite rue proche du grand théâtre et de l’Hôtel de Ville, en plein quartier des Terreaux. Claude-Joseph Bonnet a fait très tôt des choix importants : la fabrication des unis noirs dans l’univers desquels Henri Pansu nous fait entrer avec précision et pédagogie — et aussi parfois avec un lyrisme contenu qui marque la passion de l’auteur pour son sujet : « [Claude-Joseph Bonnet] a connu un triple âge d’or : l’apogée de la soie pure, l’apogée des unis, la grande vogue des unis noirs » (p. 263). Claude-Joseph Bonnet a misé en effet sur les unis noirs, faisant « du médiocre taffetas, une étoffe de premier ordre » (p. 263), entamant dans les années 1840 une fructueuse collaboration avec le jeune François Gillet qui commence alors son ascension dans le domaine de la teinture. Grâce à sa recherche de la qualité et de la perfection, Claude-Joseph Bonnet obtient l’adhésion des femmes qui achètent ses unis portés par elles dans toute l’Europe. Dans cette recherche du « noir idéal », une étape technique et commerciale importante est le lancement, en 1860, de la faille, dérivée du taffetas et produit de nouvelles teintures. La reconnaissance officielle est venue aussi : la médaille d’or de l’exposition de 1844 — que bien d’autres suivront — et, la même année, pour Claude-Joseph Bonnet, la croix de chevalier de la Légion d’honneur, puis celle d’officier en 1867.
Et un peu de contexte sur l'histoire de la soierie et de l'habitat dans le quartier de la Croix-Rousse à cette époque : Soierie lyonnaise et habitat. Typologie des immeubles de la Croix-Rousse vers 1830 de Josette Barre (Persée).
Mais des interrogations demeurent. La consultation des plans parcellaires de la ville de Lyon indiquent en 1880 la propriété de l'immeuble à André Charet et Cie (secteur 120) avant de basculer entre les mains de la Sci Maison du Griffon (à partir de 1923). Un panneau de déclaration préalable de travaux est visible sur Google Earth au 3 rue Saint-Claude. On y lit clairement que l'immeuble appartient encore à la même société immobilière (février 2022). Peut-être faudrait-il les contacter ?
De notre côté nous avons relayé votre question auprès du personnel des archives municipales de Lyon. Un permis de construire où un recensement de population (les carnets de recensement numérisés pour l'année 1836 et 1841 ne sont pas facilement lisibles pour nous) seraient intéressants pour connaître l'identité du premier propriétaire, sa profession et/ou les intentions de l'architecte. Nous tâcherons de revenir vers vous au plus vite dès qu'une réponse nous sera parvenue.
A titre d'information, ces ouvrages consultés dans nos collections à la BmL n'ont pas permis de faire émerger de plus amples informations :
Dictionnaire des rues, places, passages, quais, ponts et ports de la ville de Lyon avec l'origine de leurs noms / par C. Bréghot du Lut (1838)
Le quartier des Capucins : histoires du bas des pentes de la Croix-Rousse / Bernard Collonges ; photographies de Gérard Amsellem (2004)
Les pentes de la Croix-Rousse, au fil du temps / texte, Robert Luc (2003)
Histoires, légendes et anecdotes à propos des rues de Lyon : avec indication de ce qu'on peut y remarquer en les parcourant / par Louis Maynard (2003).
Lyon : silhouettes d'une ville recomposée : architecture et urbanisme, 1789-1914 / Dominique Bertin et Nathalie Mathian (2008)
Bonne journée.
Complément(s) de réponse

Monsieur Briel, archiviste aux archives municipales de Lyon a eu la gentillesse de nous répondre. Ses recherches nous apportent des éléments supplémentaires sur les propriétaires successifs et les usages de cet immeuble. Mr. Bonnet aurait utilisé les appartements pour exposer ses créations tandis que de nombreux soyeux auraient été locataires des lieux. Voici les nouveaux éléments qu'il nous apporte :
Dans la matrice cadastrale de 1836, j’ai trouvé que les premiers propriétaires se nommaient M. Miège et Thierry Lenoir. Ils sont remplacés plus tard au cour du XIXe siècle par M. Génissieux et M. Charvey. L’immeuble a également appartenu vers 1840 au Comte de Labeaume. Aucun de ces propriétaires n’a habité dans l’immeuble.
Dans les recensements fiscaux de 1830, on découvre que les premiers locataires des commerces sont majoritairement des marchands en soieries. Mais on trouve également Jean Pierre Jourdan, un herboriste de 29 ans. (Le caducée vient peut-être de là)
La majeure partie des appartements des 3 premiers étages sont loués à des marchands de soieries comme Claude Joseph Bonnet. Il semble qu’ils se servent de ces appartements comme des «Showroom» afin de présenter leurs soieries aux potentiels acheteurs.
Je n’ai par contre trouvé aucune information sur la ferronnerie au-dessus de la porte, ni sur la construction de l’immeuble.
Nous le remercions chaleureusement pour ce travail !
Bonne journée.
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