Question d'origine :
Bonjour,
Est-ce que toutes les prostituées travaillent au noir ?
Merci de votre réponse
Réponse du Guichet

La prostitution, c’est-à-dire le fait de pratiquer un acte sexuel en échange d’une rémunération, n’est pas illégale en France. Les revenus de la prostitution, même occasionnels, sont imposables. En effet, les personnes prostituées sont rattachées par le Code général des impôts aux professions touchant des bénéfices non commerciaux et revenus assimilés. Quelle est la part de cette activité qui reste clandestine ? Il semble difficile d'évaluer la part de l'évasion fiscale liée aux proxénètes étrangers, la prostitution occasionnelle de subsistance notamment étudiante et celle des mineur.e.s qui malheureusement ne cesse d'augmenter.
Bonjour,
La prostitution est une activité légale en France. Les personnes qui se prostituent ont des droits définis dans la loi du 13 avril 2016. Cette loi vise à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
Côté pile, la loi de 2016 a introduit plusieurs dispositions pour mieux protéger les travailleurs du sexe en France, plutôt que de les sanctionner. Supprimant le délit de racolage, le texte a également introduit « un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle (…), à toute personne victime de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle ». Côté face, cette plus grande protection des personnes prostituées est contrebalancée par la pénalisation des clients. La loi prévoit notamment une contravention de cinquième classe à l’encontre de ces derniers, soit une amende de 1500 euros. En cas de récidive, ce montant est majoré à 3750 euros. A l’époque, un vif débat avait opposé, d’un côté, les défenseurs de la loi, promoteurs d’un courant « abolitionniste », visant à terme, à mettre fin à la prostitution, de l’autre côté, les opposants à la loi, défendant davantage un encadrement de la pratique.
Alors qu’entre 30 000 et 50 000 personnes sont victimes de la prostitution, selon les chiffres du Haut conseil pour l’égalité, les mineurs occupent désormais une place non négligeable, l’institution estimant le chiffre à « au moins 10 000 », dans son communiqué du 13 avril 2022. Dans la même lignée, un rapport de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRETH), avait pointé une explosion de la prostitution des mineurs de 300% entre 2016 et 2020.
Une augmentation inquiétante, dont la ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, s’était émue, auditionnée le 21 mars dernier au Sénat, à l’approche des JO, qui fait peser « un risque pour la traite humaine et la prostitution, reconnaissant d’elle-même les limites du système : « Cette aide est aujourd’hui très faible monétairement et mériterait sans doute d’être revalorisée. Mais ce programme est sous consommé. Le sujet est donc de mieux détecter pour garantir que toutes les personnes qui souhaitent sortir de la prostitution soient accompagnées ». Avec notamment un focus particulier sur les enfants de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), dont Aurore Bergé avait estimé qu’ils étaient « des proies pour le système prostitutionnel, notamment dans nos agglomérations ».
source : Prostitution : un nouveau plan de lutte présenté ce jeudi, huit ans après la loi pénalisant les clients / Alexis Graillot - Public Sénat - 02/05/2024
Il en va de même dans la plupart des pays européens. Une étude du Sénat a établi les conclusions suivantes :
Il existe dans le monde, et plus spécifiquement en Europe, différents modèles juridiques régissant la prostitution.
Alors que la France a rejoint la Suède, premier pays à avoir retenu le modèle abolitionniste, notre voisin européen l’Allemagne retient le modèle réglementariste à l’instar de la Suisse. Le modèle prohibitionniste, quant à lui, est retenu en Lituanie et dans certains pays de l’Est.
Pour autant, certains pays, comme l’Italie, ne se sont pas encore clairement positionnés sur ce sujet.
source : Les différents régimes de prostitution en Europe
Par ailleurs, les prostitué.e.s sont imposables : les revenus tirés de la prostitution doivent, en application du 1 de l'article 92 du CGI, être regardés comme relevant de la catégorie des bénéfices non commerciaux (CE, arrêt du 4 mai 1979, n° 9337) du fait qu’elles sont considérées comme « recevant régulièrement d’un tiers des sommes qui leur servent de moyens habituels d’existence et dont elles ont la libre disposition ». source : Bofip.impots.gouv.fr
"Les personnes en prostitutions sont donc tenues de déclarer leurs revenus. A défaut, elles pourraient faire l’objet d’un redressement fiscal. Les redressements fiscaux ne sont pas rares dans ces cas et ont souvent lieu suite à l’achat d’un bien immobilier, de dépôts réguliers de sommes d’argent sur des comptes bancaires, ou encore à cause d’une dénonciation."
source : Le régime fiscal et social de la prostitution / Amicale du nid
D'une manière générale, les revenus perçus par les personnes qui se prostituent sont imposables au titre des bénéfices non commerciaux sur le fondement de l'article 92-1 du code général des impôts qui prévoit l'imposition dans cette catégorie des bénéfices retirés de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. Ce principe a d'ailleurs été confirmé à plusieurs reprises par la jurisprudence du Conseil d'Etat.
L'imposition est établie sur la totalité des revenus perçus. Les sommes rétrocédées le cas échéant aux proxénètes sont admises en déduction, étant toutefois précisé que l'absence de déclaration de ces sommes à l'administration par la personne se livrant à la prostitution entraîne l'application d'une amende égale à 50 % des sommes non déclarées.
Par ailleurs, dans le cas exceptionnel où le lien de dépendance vis-à-vis d'un proxénète est clairement établi, il y a lieu d'imposer les revenus en cause dans la catégorie des traitements et salaires. Il en est ainsi, par exemple, lorsque la personne prostituée attaque le proxénète devant la justice ou lorsqu'elle indique à l'administration l'identité de celui-ci.
Le montant des salaires à soumettre à l'impôt sur le revenu est égal aux sommes dont la personne a conservé la disposition, c'est-à-dire déduction faite des sommes reversées au proxénète . Ce dernier doit alors être imposé dans la catégorie des bénéfices non commerciaux lorsqu'il se livre à une activité de proxénétisme pure et simple ou dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux lorsqu'il accomplit une prestation d'entremise ou de proxénétisme hôtelier.
Au regard de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA)
En application des articles 256 et 256 A du code général des impôts, sont assujetties à la TVA les personnes qui exercent de manière indépendante une activité économique consistant dans la réalisation de prestations de services à titre onéreux.
Or, la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE) dans sa jurisprudence relative aux dispositions du Traité CE sur la liberté d'établissement, a indiqué dans un arrêt du 20 novembre 2001 (aff. C-268-99 Jany) que :
- « La prostitution relève des activités économiques exercées en tant qu'indépendant (...) dès lors qu'il est établi qu'elle est exercée par le prestataire du service :
- hors de tout lien de subordination en ce qui concerne le choix de cette activité, les conditions de travail et de rémunération ;
- sous sa propre responsabilité, et ;
- contre une rémunération qui lui est intégralement versée » .
Par conséquent, les personnes prostituées exerçant leur activité à titre indépendant sont assujetties à la TVA. Néanmoins, dans la majorité des cas, les personnes concernées exercent leur activité sous la surveillance étroite et constante des proxénètes. Lorsque tel est le cas, la condition tenant à l'exercice indépendant de l'activité n'est pas satisfaite et les intéressés n'ont pas la qualité d'assujetti.
En revanche, les proxénètes, s'ils sont connus en tant que tels, sont imposés à la taxe sur l'ensemble des recettes encaissées par les personnes qui agissent sous leur dépendance.
Au regard de la contribution économique territoriale (CET)
Les personnes prostituées bénéficient d' une exonération doctrinale en matière de CET, tout comme pour la taxe professionnelle.
Source : direction générale des finances publiques, extrait du Rapport d'information n° 46 (2013-2014) : Situation sanitaire et sociale des personnes prostituées : inverser le regard déposé le 8 octobre 2013.
Quelle est la part de ce travail qui est non déclarée aux impôts et quels sont les sommes qui échappent au fisc français ?
Cela est difficile à établir car d'une part il existe encore, malgré la loi de 2016, des réseaux de traite d'humains qui exploitent des personnes étrangères et vulnérables ; les proxénètes prélevant une part importante des gains pour les envoyer à l'étranger.
En 2023, 2 100 victimes de traite ou d’exploitation des êtres humains ont été enregistrées par les services de police et de gendarmerie, soit une hausse de 6 % par rapport à 2022. Une victime sur cinq est mineure (19 %) et deux victimes sur trois sont des femmes (64 %).
Pour d'autres, il s'agira d'un travail occasionnel qu'on ne déclare pas ou d'une nécessité pour vivre. Par exemple, aujourd'hui, plusieurs dizaines de milliers d'étudiant.e.s en situation précaire se prostitueraient pour manger, payer leur loyer ou financer leurs études.
sources : Synthèse du rapport d’enquête sur la prostitution des étudiant-e-s et l'article La prostitution n’est pas un job d’étudiant, c’est une violence / par l'Union des étudiants communist·es (UEC) - Libération - 23/11/2024
Enfin, la part des mineures est en très nette augmentation depuis quelques années.
Selon les dernières estimations officielles, entre 35 000 et 40 000 personnes seraient en situation de prostitution en France. Sur ces 40 000 personnes, 85% seraient des femmes, 53% seraient Françaises, et parmi ces dernières, 60% seraient mineures. Ce sont très majoritairement des jeunes filles, de 15 à 17 ans en moyenne, vulnérables, provenant de tous les milieux sociaux et qui ont des difficultés à prendre conscience de leur statut de victimes .
Nous supposons qu'une large part de ce "travail" des mineurs n'est donc pas déclarée.
A lire, cet édifiant Rapport du groupe de travail sur la prostitution des mineurs
En 2015, une étude a avancé ce chiffre qui n'a pas, à notre connaissance, été actualisé : chaque année, au moins 853 millions d’euros manqueraient aux recettes fiscales et à la consommation nationale.
En 2015, une étude « Prostcost », menée par Le Mouvement du Nid - France et Psytel avec le soutien du programme « Prevention of and fight against Crime » (ISEC) de l'Union européenne, estime le coût de la prostitution à 1,6 milliard d'euros par an à la société française, dont 853 millions d'euros liée à l'évasion fiscale.
source : La situation de la prostitution en france - février 2021
Bonne journée.