Un rongeur empoisonné devient-il néfaste pour ses prédateurs ?
Question d'origine :
Bonjour à toute la fabuleuse et géniale équipe du Guichet du Savoir.
Je souhaite savoir si lorsqu'on empoisonne des rongeurs (souris, rats) avec des produits toxiques appétants pour eux ils deviennent alors néfastes à leurs prédateurs (chats, couleuvres).
D'avance je vous remercie beaucoup pour votre réponse.
Longue au Guichet du Savoir que je conseille régulièrement à tous mes étudiants,
Très cordialement,
Philippe D.
Réponse du Guichet

L'empoisonnement secondaire représente un risque réel surtout si le prédateur consomme plusieurs rongeurs contaminés. Il accumule progressivement la substance toxique dans son propre organisme, ce qui peut entraîner des intoxications graves, voire mortelles, surtout en cas de consommation répétée de proies empoisonnées. Cela est est bien documenté dans la presse scientifique.
Bonjour
Tout d'abord nous vous remercions pour vos compliments qui nous vont droit au coeur.
Lorsqu’un rongeur est empoisonné avec un produit toxique comme un rodenticide (un anticoagulant couramment utilisé pour éliminer les nuisibles), il est effectivement dangereux pour ses prédateurs naturels (comme les chats, chiens, rapaces, serpents et les mammifères sauvages) d'en consommer : le phénomène s’appelle l’empoisonnement secondaire. La substance toxique s’accumule dans son organisme, ce qui peut entraîner des intoxications graves, voire mortelles, surtout en cas de consommation répétée de proies empoisonnées. La presse scientifique a assez bien documenté ce phénomène. En voici quelques traductions et extraits :
Le mode d'action des rodenticides est tout d'abord présenté dans ce document :
Les rodenticides appartiennent à des familles chimiques très diverses. Les spécialités à activité anticoagulante sont les plus largement répandues. Leur mode d'action est un blocage du cycle de la vitamine K, réduisant ainsi la synthèse des facteurs de coagulation dépendants de la vitamine K avec hypocoagulabilité et risque de complication hémorragique majeure. D'autres substances sont responsables de convulsions pouvant mettre en jeu le pronostic vital en l'absence de prise en charge médicale précoce et adaptée. La plupart des rodenticides à usage domestique font l'objet d'une réglementation stricte visant à limiter les risques toxiques chez l'homme.
source : Rodenticides / L. Gamelin , P. Harry
Les rodenticides anticoagulants (RA) constituent le principal moyen de lutte contre les rongeurs. L’exposition aux RA du renard roux et l’impact des RA sur les populations de ce prédateur sont étudiés. En France, on distingue un contexte « biocide » (BCD) où les RA sont principalement utilisés près des bâtiments et un contexte « phytopharmaceutique » (PP) où la bromadiolone (un RA) est également utilisée en plein champs contre le campagnol terrestre. La contamination des rongeurs aux RA est mesurée : 5 RA sont détectés en contexte BCD alors que la bromadiolone est la molécule majoritaire en contexte PP ; les espèces de rongeurs non ciblées par les RA étant exposées dans les 2 contextes. L’exposition est maximale chez les espèces ciblées ou celles au mode de vie similaire. L’exposition du renard est évaluée par la mesure des résidus de RA dans des fèces collectées in situ. La bromadiolone est retrouvée dans 97 % des fèces positives et les RA sont plus retrouvés dans les fèces en cas de traitements PP. En contexte PP, le ratio de fèces positives augmente non linéairement avec la surface traitée dans un rayon d’1 km autour des fèces. L’impact des traitements PP sur les populations de renards est évalué (période 2003-2009, département du Doubs). Les indices d’abondance de renard mesurés sur une commune le printemps d’une année n diminuent avec l’augmentation des quantités d’appâts utilisées les années n-1 et n-2. Pendant la période suivie, la mise en place d’une lutte intégrée contre le campagnol terrestre s’est traduite par une diminution des quantités d’ AR utilisées et donc par une diminution des impacts sur les populations de renards.
source : Usage des rodenticides anticoagulants et conséquences en termes d'exposition et d'impact pour les populations de Renard roux / Marion Jacquot
Les pullulations de certaines espèces de rongeurs champêtres rendent nécessaire une lutte destinée à protéger des cultures ; dans le cas du campagnol terrestre (Arvicola terrestris scherman) et des dommages aux prairies de montagne, celle-ci se fait au moyen ďun appât ‘carottes en rondelles enrobées ďun concentrat de bromadiolone’ titrant 100 ppm de matière active pour la France, et ďun appât sec titrant 140 ppm pour la Suisse. Nous avons cherché à évaluer expérimentalement le risque découlant de l'utilisation de cet anticoagulant pour les prédateurs du campagnol terrestre, en choisissant comme modèles ľhermine (Mustela erminea) et la buse variable (Buteo buteo). Les campagnols terrestres, consommant de ľappât carottes durant 24 h et sacrifiés aussitôt, contenaient 6,5-6,75 ppm de bromadiolone ; ceux ayant consommé le même appât carottes durant 3 j consécutifs et sacrifiés à la fin du 3e j, en contenaient 8,72–10,93 ppm, tandis que ceux ayant consommé de ľappât sec, dans les mêmes conditions, n'en contenaient que 5,81 ppm (mais cet appât sec s'est révélé ne titrer que 102,5 ppm au lieu des 140 ppm théoriques). Si les campagnols ayant consommé durant 1 ou 3 j étaient sacrifiés 2 j après la dernière intoxication, le niveau des résidus était divisé, respectivement, par 4 et 9, tombant au-dessous de 2 ppm. Chez les hermines (14 individus) consommant des campagnols intoxiqués durant 1 j, la mortalité est apparue (1/3) au bout de 5 j ďingestion; cependant, les survivantes ont été malades, même celles n'ayant subi que 3 j ďingestion. Chez les buses variables (108 individus), la mortalité n'est apparue que s'il y a eu répétition des ingestions durant 3 j consécutifs, que les campagnols aient eux-mêmes été intoxiqués durant 1 ou 3 j ou, si après 1 ingestion et 10 j de nourriture normale, ces buses ont été soumises à une seconde intoxication unique. Le foie était bien ľorgane de stockage des résidus, chez les deux espèces de prédateurs, les reins en contenant presque exclusivement chez des animaux sacrifiés 24 h après intoxication ou ceux morts dans de courts délais. Une grande variabilité interindividuelle a été constatée. Le risque ďintoxication pour ces deux espèces de prédateurs, en fonction de la technique française de lutte contre le campagnol terrestre, semble peu élevé.
source : Toxicité secondaire, en laboratoire, ďun rodenticide anticoagulant (bromadiolone) pour des prédateurs de rongeurs champêtres: buse variable (Buteo buteo) et hermine (Mustela erminea) / G. GROLLEAU, G. LORGUE, K. NAHAS
Les rodenticides anticoagulants (RA) sont le principal outil de lutte contre les rongeurs nuisibles depuis les années 1950. Cependant, ils peuvent affecter des espèces « non ciblées », provoquant de graves problèmes environnementaux, tels que des intoxications secondaires chez la faune sauvage par voie d'exposition indirecte. Les mésocarnivores (terme désignant divers groupes d'animaux sauvages, tels que les mustélidés (blaireaux, belettes, furets, hermines, martres, loutres), les canidés (renards), les viverridés (genettes) et les herpestidés (mangoustes)) constituent le deuxième groupe d'animaux sauvages le plus touché par l'intoxication aux RA, précédés seulement par les rapaces, avec des valeurs d'incidence alarmantes dans la littérature : 63,78 % des animaux étudiés ont été exposés aux RA. Cette exposition est principalement due à des caractéristiques du cycle biologique, telles que le régime alimentaire (de plus en plus basé sur les rongeurs et les micromammifères), l'éthologie (animaux opportunistes, charognards) et les adaptations à l'environnement anthropisé.
Dans cette revue, nous avons compilé les données de plus de 40 études menées dans 17 pays des années 1990 à nos jours. Au total, 11 RA différents ont été analysés. Le brodifacoum présentait l'incidence de détection la plus élevée (56,31 %). Dans certains cas, plusieurs AR ont été détectés chez le même animal. L'intoxication secondaire (par l'alimentation basée sur les AR, les espèces cibles ou leurs carcasses) est le principal type d'intoxication aux AR chez les mésocarnivores. Parmi les espèces les plus touchées figurent le renard (Vulpes vulpes) (Europe) et le pékan (Pekania pennanti) (un mustélidé menacé aux États-Unis). Dans la plupart des cas, les concentrations d'AR dans le foie dépassaient le seuil diagnostique (100-200 ng/g de poids frais), bien que l'exposition sublétale ait également posé problème. L'impact des AR sur les populations de mésocarnivores est inconnu, principalement en raison du manque d'études spécifiques qui se concentrent généralement sur d'autres espèces présentant un « plus grand intérêt » pour des raisons biologiques, économiques ou sociales. De plus, il existe un manque de recherche sur les effets toxiques de l'exposition sublétale aux AR, qui peuvent contribuer à la mort des prédateurs. Une analyse et une étude plus exhaustives des implications réelles des anticoagulants sur les mésocarnivores du monde entier, ainsi que l'application de mécanismes pour atténuer l'exposition et la recherche de nouvelles alternatives pour la lutte antiparasitaire, sont donc nécessaires.
source : Anticoagulant rodenticides in mesocarnivores around the world: A review / David Fernández-Casado, Javier García-Muñoz, Ángel Portillo-Moreno, Salomé Martínez-Morcillo, María Prado Míguez-Santiyán, Marcos Pérez-López, Francisco Soler-Rodríguez
L'utilisation mondiale de rodenticides anticoagulants (RA) pour la lutte contre les rongeurs a fréquemment entraîné des intoxications secondaires chez les animaux non ciblés, en particulier les rapaces. Malgré la survenue de nombreux incidents d'exposition primaire ou secondaire aux RA et d'intoxication chez les animaux non ciblés, ces incidents n'ont été signalés que pour certains pays, et aucune étude ou revue mondiale exhaustive n'a été réalisée. De plus, la voie d'exposition aux RA chez les rapaces n'a pas encore été clairement identifiée. L'objectif de cette revue est donc d'analyser de manière exhaustive l'incidence mondiale de l'exposition primaire et secondaire aux RA chez les animaux non ciblés, et d'explorer les voies d'exposition. Notre revue de la littérature, qui a fait état de résidus de RA chez les animaux non ciblés entre 1998 et 2015, a indiqué que diverses espèces de rapaces présentaient un taux de détection de RA supérieur à 60 % et présentaient un risque d'intoxication par RA. Selon plusieurs articles portant sur le régime alimentaire des espèces de rapaces, bien que les rongeurs constituent le régime alimentaire le plus courant des rapaces, certaines espèces de rapaces se nourrissent principalement de non-rongeurs. Par conséquent, la prédation des rongeurs ciblés n'explique pas nécessairement toutes les causes d'exposition secondaire des rapaces aux AR. La détection de résidus d'AR ayant également été signalée chez des mammifères, oiseaux, reptiles et invertébrés non ciblés, qui sont les proies dominantes de certains rapaces, les résidus d'AR présents chez ces animaux, ainsi que chez les rongeurs ciblés, pourraient être la source d'exposition des rapaces aux AR.
source : A review: poisoning by anticoagulant rodenticides in non-target animals globally / Shouta MM NAKAYAMA, Ayuko MORITA, Yoshinori IKENAKA, Hazuki MIZUKAWA, Mayumi ISHIZUKA
Il est donc recommandé de ramasser les cadavres de rongeurs empoisonnés, dans la mesure du possible, pour limiter la contamination de la chaîne alimentaire.
Si votre animal de compagnie ingère une souris ou un rat contaminé, n'hésitez pas à contacter votre vétérinaire pour lui demander conseil. La dose ingérée ne sera probablement pas très dangereuse pour lui sauf s'il mange plusieurs animaux empoisonnés. Par contre, s'il ingère directement de la mort aux rats, il convient de vous rendre en urgence chez votre vétérinaire qui pourra prendre en charge votre animal au plus vite notamment en le faisant vomir.
Bonne journée