Les reproches sont-ils également partagés entre les hommes et les femmes ?
Question d'origine :
Est-ce que l'on fait beaucoup plus souvent des reproches aux hommes qu'aux femmes? Que l'on ose même pas le dire quand une femme a un comportement odieux? La méchanceté, la cruauté, l'immoralité de certaines femmes sont devenus des tabous? Alors que l'on fait sans cesse des reproches aux hommes? Le monde pense que ce n'est jamais permis de critiquer les femmes?
Réponse du Guichet

Si les ressentis individuels peuvent varier, les données disponibles indiquent que les critiques sociales pèsent aujourd’hui plus lourdement sur les femmes. Le rapport annuel du Haut Conseil à l’Égalité (2025) souligne que le sexisme reste très présent en France et les inégalités de genre persistent dans les médias, la vie publique et l’espace numérique, où les discours sexistes et masculinistes s’accroissent.
Bonjour,
Si nos ressentis personnels ont de l'importance, la majorité des études sociologiques et des rapports sur le sexisme en France indiquent au contraire que la société est aujourd'hui encore traversée par des stéréotypes qui tendent à rendre la critique des femmes plus lourde de conséquences pour celles-ci. A titre d'exemple, le rapport annuel du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes sur l’état du sexisme en France, publié en janvier 2025, expose une réalité bien plus défavorable aux femmes que la formulation de votre question le laisse à suggérer. En effet, l'étude démontre que les discours sexistes et masculinistes ont continué à gagner en visibilité par rapport à l'année 2024, que ce soit dans les médias et dans les discours politiques. Les inégalités sociales et économiques entre les sexes ont continué à se maintenir en défaveur des femmes, leur invisibilisation s'est poursuivie tandis que "les propos sexistes trop coutumiers, trop peu contrôlés et trop peu contredits." (voir ce communiqué de presse qui a accompagné la publication du rapport).
L'enquête montre par ailleurs que les femmes sont confrontées chaque jour au sexisme puisque 86% d'entre elles auraient déjà vécu une situation sexiste et 9 sur 10 ont dû adopter des stratégies d'évitement de ce sexisme dans leur quotidien, comme le rapporte ce compte rendu produit par les équipes de France Info.
Au Canada, le Conseil du statut de la femme du Québec, organisme gouvernemental québecois, a rédigé en 2022 une étude sur l'hostilité en ligne envers les femmes. Les conclusions indiquent que prendre la parole, affirmer une opinion ou manifester une forme de non-conformité entraîne trop souvent une hostilité et des tentatives de délégitimation des propos des femmes. Extrait :
Selon le Broadband Commission for Digital Development Working Group on Broadband and Gender (2015), les violences en ligne envers les femmes mettent au jour une volonté de les exclure des espaces jugés réservés aux hommes, de même qu’un souhait de les contrôler ou de contrôler leurs paroles ou comportements.
Plusieurs spécialistes font valoir que l’hostilité en ligne visant les femmes aurait pour but, conscient ou inconscient, d’entraver leur participation à des activités sur le Web ou dans des espaces hors ligne traditionnellement réservés aux hommes (ex. : en politique). À cette fin, elle tendrait à les « remettre à leur place », c’est-à-dire à les reléguer à la sphère privée, ou à un rôle de partenaire sexuelle. La multiplication de trolls et le recours fréquent à des termes sexistes témoigneraient d’ailleurs d’une volonté d’établir qu’Internet est un espace masculin (Poland, 2016).
Source : hostilité en ligne envers les femmes - Conseil du statut de la femme du Québec.
Plusieurs ouvrages se sont intéressés à la captation identitaire de la liberté d'expression par des mouvances d'extrême droite afin de décrédibiliser les opinions venant de groupes minoritaires. C'est par exemple le propos de Thomas Hochmann, professeur de droit public, dans son ouvrage "On ne peut plus rien dire... Liberté d'expression : Le grand détournement" (Anamosa, 2025) qui relate les contours de cette stratégie de décrédibilisation sur les plateaux des principaux médias français. Plateaux dans lesquels le contradicteur est absent, ou son écrasement est attendu, le débat et les pensées différentes sont perçus comme une censure, pourtant conditions préalables à une discussion démocratique. Ces dérives médiatiques et numériques sont analysées par Thomas Hochmann et Anna Arzoumanov dans cette émission pour le journal Mediapart : « On ne peut plus rien dire » : les réactionnaires kidnappent la liberté d’expression.
D'autres auteurs s'opposent à cette vision de la liberté d'expression et expriment au contraire une sensation de censure latente, incarnée par la "culture woke", s'attaquant sans relâche à la science où à la raison. Leurs analyses sont consignées dans des ouvrages tels que "Les nouveaux virus de la pensée" de Gad Saad ou "La tyrannie vertueuse" de Pierre Jourde.
On peut aussi évoquer les critiques virulentes et donc le contrôle exprimé dans l'espace public par les hommes envers les jeunes femmes, dont témoigne le rapport Égalité, stéréotypes, discriminations entre les femmes et les hommes sur les perceptions et vécus des jeunes adultes français. Les femmes y sont largement plus nombreuses à exprimer un malaise dans l'espace public, et ce depuis la cour de récréation, tandis que les expériences de harcèlement de rue sont massivement partagées par les femmes interrogées, qu'il s'agisse d'un commentaire déplacé, d'une remarque vestimentaire ou d'une agression physique. Cette configuration genrée de l'espace public en écarte les femmes qui sont plus nombreuses à le traverser qu'à l'occuper sans injonction utilitaire comme les hommes (p. 32 - 33).
Les arguments et les chiffres dévoilés dans ces rapports nous laissent à penser qu'il serait inexact d'affirmer que l’on fait sans cesse des reproches aux hommes mais jamais aux femmes. Les femmes subissent avec force le jugement social porté sur les comportements féminins, que ce soit dans la rue, dans les médias ou sur internet. Si des courants féministes radicaux tels que la misandrie prennent de plus en plus d'ampleur de nos jours, il faut le percevoir comme une réaction aux comportements violents et oppressifs des hommes envers les femmes au travers de l'Histoire, selon Pauline Harmange dans Bienvenue au Wokistan (Binge, ouvrage collectif). Le véritablement changement intervient dans l'expression de cette exaspération par les femmes qui s'organisent et libèrent la parole, collectivement plus sûres de leurs combats et assurées d'un relai et d'une écoute plus importante qu'avant. Le sentiment des hommes de ne plus pouvoir rien dire face à ce sursaut des femmes est peut-être plus l'expression d'une inquiétude face aux changements du monde, qu'une réelle censure s'exerçant sur eux. Dans son rapport de 2024, le HCE avançait que depuis 2019 le taux de parole des femmes sur l’ensemble des émissions TV ne dépassait pas 36 % avec une baisse de deux points en 2023, tombant à 34 % (contre 66 % de temps de parole masculin) (p. 11).
Bonne journée.