Quand l'eau courante, le tout à l'égout, l'électricité, le gaz de ville arrivent à Lyon ?
Question d'origine :
Cher guichet
Quand dans le centre de Lyon, les immeubles ont l'eau courante ( potable je suppose), le tout à l'égout, l'électricité et le gaz de ville ?
Merci
Réponse du Guichet
À Lyon, le gaz arrive dès les années 1830 (Compagnie du Gaz créée en 1833), suivi par l’électricité à partir de 1888 et diffusée progressivement au début du XXe siècle. L’eau potable se généralise entre les années 1860 et 1880 après la création du réseau par la Compagnie Générale des Eaux en 1853. Le tout-à-l’égout quant à lui débute timidement en 1855 mais n’est véritablement adopté qu’après la Première Guerre mondiale.
Bonjour,
Les foyers du centre de la ville de Lyon se sont progressivement raccordés au réseau de gaz, d'électricité, d'eau potable et au tout à l'égout entre le milieu du XIXème siècle et le début du XXème siècle. L'apparition et la généralisation de ces commodités a été rendue possible grâce à des avancées technologiques et industrielles majeures, un volontarisme hygiéniste des élites politiques ainsi qu'une baisse progressive des couts de production et de distribution. Le courant, l'eau potable ou le tout à l'égout étaient d'abord le privilège de quelques-uns avant de peu à peu s'étendre au reste de la population. Si la distribution d'eau potable à domicile a débuté au milieu du XIXème siècle, il faut par exemple attendre les années 1980 pour estimer que la quasi-totalité des Français bénéficient de ce service...
On peut faire remonter l'arrivée du gaz à Lyon au début des années 1830 avec la création de la Compagnie du Gaz de Lyon en 1833 à Perrache. Les premiers usages du gaz concernaient principalement l’éclairage urbain mais rapidement son utilisation s'est généralisée dans les foyers domestiques, comme nous l'apprend cet article publié sur notre webzine L'Influx qui revient sur l'épopée de l'arrivée du gaz dans la ville :
A l’époque, le gaz ne servait pratiquement qu’à un seul usage : l’éclairage des becs du même nom et celui des maisons, enfin affranchies de la lampe à pétrole ou de la bougie. Deux mille becs de gaz étaient alors prévus, alimentés par quatre gazomètres.
En 1838, apparaît la Compagnie d’éclairage par le gaz de la Guillotière, Vaise et Lyon, ainsi que la Société Lespinasse, chargée de l’éclairage public de la Croix-Rousse à partir de 1843. En 1845, la Compagnie du gaz de Lyon produisait alors 500.000 mètres cubes de gaz par an avec des contrats d’éclairage pour 15.649 flammes dont 1318 becs municipaux et 14.351 flammes d’abonnés !
Source : Le Gazomètre de la Mouche - L'influx (2017).
L'interdiction de l'éclairage des théâtres au gaz (suite à un incendie de l'Opéra comique de Paris en 1887) par la municipalité a contraint la Compagnie du gaz à diversifier sa production et à produire de l'électricité. Ainsi, une première "station centrale d’électricité" a été mise en service en septembre 1888. Cette dernière permettait de couvrir les besoins en électricité des théâtres, d'alimenter une toute petite partie de l'éclairage public mais aussi accessoirement de raccorder quelques premiers particuliers. L'influx a aussi consacré un article à l’événement de la fée électricité à Lyon, il détaille l'apparition de cette énergie dans la ville et estime sa pénétration progressive au sein des foyers des classes moyennes au début du XXème siècle. Extrait :
Ce nouveau régime de liberté inaugure le développement de l’éclairage électrique : par un décret du 29 juillet 1899, la SLFMR est autorisée à faire de l’éclairage ; en 1900 ses tarifs sont de 8 centimes l’hectowattheure pour les appartements, de 6 centimes et demi pour les magasins, bureaux et usines, de 6 centimes pour les salles de spectacles, les restaurants, cafés, hôtels, établissements hospitaliers et d’enseignements et les édifices de cultes. Les établissements dépendant de l’Etat ou de la Ville bénéficient quant à eux d’un tarif spécial de 5 centimes.
(...)
L’éclairage de la voie publique continue de se faire au gaz pour l’essentiel. Cependant, la rue et la place de la République, les places de la Comédie et des Terreaux bénéficient de lampes à arc dont l’alimentation est fournie par la Compagnie du Gaz, et financée par la Compagnie des Omnibus et Tramways, laquelle a accepté la charge de fournir gratuitement cet éclairage en échange de l’autorisation de l’électrification de son réseau de tramways.
(...)
L’éclairage domestique quant à lui, sera plus long à s’imposer : on évalue son taux de pénétration dans les couches moyennes de la société au nombre moyen de lampes par police d’abonnement : de 43 au 1er janvier 1900, il n’est plus que de 27 au 31 décembre 1905, cette baisse témoignant d’un élargissement du marché aux foyers plus modestes.
Source : Il était une fée électricité - L'Influx (2012)
La thèse d'Emmanuel Adler, soutenue en 2020 et intitulée La gestion des déjections humaines : un défi urbain. Le cas de la ville de Lyon, de la fin du 18e au début du 20e siècle, est riche en enseignements. Dans la sous-partie "Développement des réseaux d’assainissement de Lyon" (p.165), le chercheur propose un petit historique des ramifications du réseau et revient sur le remplacement progressif et irrégulier des fosses au profit d'un système de tout à l'égout. Il faut attendre l'après Première guerre mondiale pour que la ville prenne un tournant définitif en matière d'hygiène publique :
Dans ce contexte, pour les grands travaux d’urbanisation de la Presqu’Ile de Lyon et de la rue Impériale (aujourd’hui rue de la République), la ville convient dans un premier temps la mise en place d’un système mixte, avec un égout pour les eaux pluviales, dans l’axe de la rue, et une fosse d’aisance par immeuble. Mais, au cours des travaux, le raccordement des fosses à l’égout est décidé et la construction des fosses abandonnée. Malgré la réticence de l’Administration à laisser couler aux cours d’eau les matières de vidange, les nouveaux édifices de la prestigieuse rue Impériale sont branchés sur des égouts connectés au Rhône.
Cette décision, prise en 1855, marque le début, très hésitant, du « tout-à-l’égout à la lyonnaise », et met en évidence que l’administration de la ville de Lyon, malgré les risques associés à un rejet direct des déjections humaines produites sur la Presqu’Ile au milieu naturel dans le Rhône et la Saône, s’est engagée 40 ans avant Paris dans le régime de l’écoulement direct obligatoire à l’égout.
Ce système mixte de cohabitation de latrines branchées à l’égout et de fosses fixes a progressivement évolué, pas toujours avec cohérence, et l’on peut considérer que Lyon a définitivement fait le choix du « tout-à-l’égout » peu après la fin de la guerre de 1914-1918.
Source : La gestion des déjections humaines : un défi urbain. Le cas de la ville de Lyon, de la fin du 18e au début du 20e siècle - Emmanuel Adler (2020, p. 165-166)
Cette politique ambitieuse a été tributaire du réseau de distribution et d'assainissement des eaux qui fut orchestré par le préfet Vaïsse à partir des années 1850. Le représentant de l'état s'est lancé dans l'élaboration d'un programme de réseau d'eau potable géré confié à Compagnie Générale des Eaux en 1853. Un réseau de canalisations et une usine de filtration d'eau ont été ratifiés par décrets. E. Adler revient également sur l'histoire du développement de la distribution d'eau à Lyon dans sa thèse. L'accès à l'eau potable se serait peu à peu généralisé entre les années 1860 et les années 1880 :
Forte de notables soutiens politiques et financiers, dotée d’un capital considérable de 20 millions de Frs, la jeune entreprise s’engage à développer un réseau de canalisations pour fournir de l’eau potable prélevée dans la nappe alluviale du Rhône. Suite à plusieurs traités successifs signés en 1856, 1857, 1862 et 1866, la Compagnie met en service une usine de filtration à St Clair équipée d’une pompe de Cornouailles avec un débit de 28 000 m3/jour.
(...)
En 1882, Vallin indique que l’hygiéniste anglais Parkes préconise un ratio de 156 litres d’eau par personne par jour dont 27 pour les latrines, à rapprocher de la valeur de 3 l estimée pour la France. A Lyon, la dotation en eau potable apparait satisfaisante en 1886 comme le note Lacassagne, médecin militaire et Professeur à la Faculté de médecine de Lyon :
"Le service des eaux amélioré dans une certaine mesure, tant par les puits filtrants que la compagnie autorisée par la ville a établis en prolongement des galeries, que par l'allongement des aspirants des machines… a fourni, cette année, à toute époque, de l'eau absolument filtrée. On n'a pas eu besoin d'avoir recours, comme précédemment, à l'ouverture de la vanne de prise d'eau directe dans le Rhône, pour alimenter les galeries et remédier à l'insuffisance de la filtration. Ainsi, pendant le courant de l'été que nous venons de passer (1886), la compagnie a pu élever en juillet, jusqu'à 60,000 mètres cubes d'eau entièrement filtrée, elle aurait même pu, si besoin avait été, augmenter ce volume d'environ 5 000 mètres cubes au moins, ce qui revient à dire qu'aujourd'hui, l'ensemble du système filtrant de l'usine Saint-Clair peut fournir, au besoin, pendant la saison chaude, c'est-à-dire au moment où le Rhône cote entre 0,80 et 1,00 mètre au dessus de l'étiage, un volume d'environ 70 000 mètres cubes d'eau filtrée par jour, soit à raison de près de 200 litres par habitant."
Source : La gestion des déjections humaines : un défi urbain. Le cas de la ville de Lyon, de la fin du 18e au début du 20e siècle - Emmanuel Adler (2020, p. 163-164)
Pour compléter vos recherches, nous vous suggérons de consulter également ces documents, certains lisibles en ligne et d'autres dans nos collections :
La fiche : Usine à gaz de Perrache actuellement EDF-GDF sur le site de l'inventaire du patrimoine en Auvergne Rhône-Alpes.
La thèse de Jean-Marie Giraud : Gaz et électricité à Lyon (1829-1946) : des origines à la nationalisation (1992).
L'ouvrage L’Égout, patrimoine urbain : l'évolution dans la longue durée du réseau d'assainissement de Lyon de Franck Scherrer (1992).
L'article de S. Frioux Lyon, ville hygiéniste ? publié dans Les batailles de l'hygiène : Villes et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses (p. 239-254) (2017) (lisible sur Cairn)
Le Rapport sur l'assainissement industriel et municipal en France par M. Charles de Freycinet publié en 1866 et qui rend compte des avancées de Lyon. (lisible sur Gallica)
L'alimentation en eau de la ville de Lyon de 1856 à 1976 : naissance, vie et abandon des ouvrages de Robert Jonac (Caluire, 2019).
Bonne journée.
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