Comment s'est passé le transfert du mono au stéréo pour cette chanson de Billie Holiday ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je me pose une question sur un album que j'aime beaucoup. L'album Lady In Satin de Billie Holiday a été publié en 1958 en mono et en stéréo. Sur l'édition mono se trouvait une chanson supplémentaire nommée The End Of A Love Affair. Cette chanson n'est pas publiée dans la version stéréo à la sortie de l'album de 1958. J'ai lu, je ne sais plus où, que cette chanson n'a tout simplement pas été enregistrée en stéréo d'où son absence sur la version stéréo de 1958 et sa seule présence sur la version mono.
Pourtant, sur la version CD de l'album, par exemple la version disque compact de 1997, est mentionnée l'existence de la piste en stéréo : "Piste 16 - The End Of A Love Affair (Stereo)".
Sur l'édition de 2015 dite The Centennial Edition, il est précisé que cette édition héberge "[for the] very first time a true stereophonic version of "The End Of A Love Affair" (pour la première fois une vraie version stéréophonique de "The End Of A Love Affair") au verso du cd (fin du deuxième paragraphe)
En savez-vous davantage sur le transfert de cette piste du mono en stéréo sachant qu'en 1958 cette piste n'est pas sortie en stéréo mais qu'en mono? Pourquoi en 2015 on parle de la vraie version stéréo de la chanson sachant que des éditions du disque comme celle de 1997 abritait déjà une version stéréo de la chanson ?
Merci d'avance.
Réponse du Guichet

Si la première version stéréo de "The End Of A Love Affair" date, semble-t-il, de 1986, nous n'avons pas trouvé pourquoi elle est qualifiée de vraie version stéréophonique en 2015. Une supposition : il s'agirait de la première remasterisation alors que les versions précédentes n'étaient que des doublages de piste (double tracking) ?
Bonjour,
Billie Holiday n'a effectivement pas enregistré la première version de "The End Of A Love Affair" en stéréo. Il faut dire qu'elle a rencontré quelques difficultés lors de l'enregistrement. Deux versions incomplètes ont été enregistrées ce jour-là par Miss Day, fatiguée et alcoolisée, dont l'une est une répétition. Les circonstances laborieuses de cet enregistrement sont relatées dans un article (traduit grace à deepl) :
Alors qu'elle peinait à enregistrer The End of a Love Affair le 20 février 1958, Billie Holiday interrompit brusquement une prise pour son album Lady in Satin, résignée et frustrée. « Ça ne va pas. Je ne connais pas. Mal, essaie de jouer... aussi fort que tu peux. Je ne connais pas la mélodie. » Mal était Mal Waldron, son pianiste accompagnateur. Holiday était dans la cabine d'enregistrement avec un casque et n'entendait pas suffisamment clairement son pianiste pour guider la mélodie par-dessus les cordes arrangées et dirigées par Ray Ellis. Holiday allait réessayer, mais finalement, le producteur Irving Townsend décida qu'il serait plus rapide d'enregistrer simplement l'orchestre, puis de faire enregistrer Holiday le lendemain pour ajouter sa voix à la piste instrumentale.
source : Mal Waldron: 'Searching in Grenoble' 1978 - JazzWax by Marc Myers - September 29, 2022
Lire aussi : The Great Jazz and Pop Vocal Albums / Will Friedwald
Cet ouvrage avance d'ailleurs une explication quant à l'oubli de la version stereo de "The end of a love affair" : les pistes stéréo prenaient plus de place sur le vinyle que les pistes mono ; cette chanson s'est probablement avérée trop longue. D'autres articles mentionnent plutôt un oubli voire une erreur. Lire par exemple Lady in Satin – The Story of Billie Holiday’s Final Masterpiece de Lea Nick (Jazzfuel - January 15, 2024).
Il est aujourd'hui possible d'écouter cette captation : The End of a Love Affair (The Audio Story)
The End of a love affair : the audio story.
Billie Holiday se lance : So I walk a little too fast… So I, so I… Elle trébuche. L'orchestre reprend. Elle se relance et s'arrête : « No good… I don't know the tune ! » Elle a besoin de répéter. L'orchestre joue sans elle, et tout ce temps, la bande tourne. Au bout de 7 minutes, la voix revient par un bout de la stéréo. Puis il n'y a plus qu'elle. Deux minutes a capella. « J'entends plus l'orchestre. » Il s'est tu. Plus de satin, seulement la dame. Sa voix nue, presque indécente. Dans ce presque il y a tout ce qui la fait grande. Peut-on mettre ici deux morceaux pour le prix d'un ?
source : Billie Holiday (3) / François Gorin - Télérama - 04 décembre 2008
Il faut écouter "Lady In Satin" jusqu'au bout pour découvrir cette chanson cachée, "The End Of A Love Affair", dans une version inédite, à pleurer les larmes de son corps. Sous le nom de code peu ragoûtant de "The Audio Story", on trouve dans l'ordre : la version mono de la chanson, quelques essais ratés, la simple bande orchestre, et enfin la bande voix. Juste la voix de Billie qui chante. Sans effets, sans musique, sans cordes, sans rien. Usée jusqu'à l'os, à la limite du supportable, de l'obscénité, de la mort qui pointe son nez, même si elle vient sur la pointe des pieds. Billie Holiday chante. Sans filet, à nu, à cru. Le moindre souffle, le moindre soupir, le moindre râle, tout est là. De toute éternité, tout était là. Ecouter Billie Holiday, dans l'une de ses rares interviews télé, «dire» les paroles de "Don't Explain" et "Fine And Mellow". Elle les connaît par coeur, c'est elle qui les a écrites. Le disque s'appelle "I Wonder Where Our Love Has Gone", c'est un vinyle (ça n'existe pas en CD), mais ça vaut la peine de chercher, même si ça prend du temps. «Close your eyes and speak the words like a poet», demande Tex McCreary. Billie est dans un bon jour, elle récite les paroles. Une fois qu'on a écouté ça, on ne s'en remet pas. S'en remettre ne sert à rien, de toute façon, puisque la musique ne sert qu'à déshabiller l'âme. Outsider.
La première version stéréo de ce morceau date, semble-t-il, de 1986. Nous la devons à un ingénieur de chez CBS : Larry Keyes.
Voici la traduction d'un extrait d'article paru dans Show Music, Volume 5 en 1986 :
L'album a été magnifiquement transféré au format numérique par Larry Keyes, ingénieur chez CBS, qui a accompli son travail au-delà de ses obligations. L'un des morceaux de l'album original de Miss Holiday (« The End of a Love Affair ») lui a posé des problèmes lors de l'enregistrement et elle l'a finalement chanté sur une piste musicale préenregistrée qui avait été mixée en mono. Michael Brooks a trouvé une piste vocale avec un groupe rythmique et le mixage stéréo original de l'orchestre, chacun enregistré des magnétophones différents qui ne fonctionnaient pas à la même vitesse, et ils ont été minutieusement « mariés » par M. Keyes pour former la première version stéréo de la chanson interprétée par Miss Holiday. En écoutant cette piste, il est impossible de dire qu'elle n'a pas été enregistrée « en direct » comme les autres de cet album. Un travail incroyablement remarquable. Si tout le monde dans l'industrie du disque avait le dévouement de M. Keyes, nous aurions des versions extraordinaires sur CD.
The album has been beautifully transferred to the digital format by CBS engineer Larry Keyes, who’s performed his work beyond duty. One of the tracks on Miss Holiday’s original album («the end of a love affair») caused her problems when she was recording and she finally sang it to a previously-laid down music track which had been mixed to mono. Michael Brooks found a vocal track with a rhythm group and the original stereo orchestra mix, each recorded on dif- ferent Tape machines which did not run at the same speed, and they’ve been painstakingly « married » by Mr Keyes to form the first stereo release of Miss Holiday’s version of this song. It’s impossible to tell from listening to this track that it wasn't recorded " live " as the others in this album were . Unbelievingly super work . If everyone in the record industry had Mr. Keyes ' dedication we would have extraordinary compact disc releases.
Voici un autre extrait d'article qui explique cela :
... une anecdote intéressante concernant le dernier morceau de Lady, « The End of a Love Affair ». D'après les notes de pochette, le LP original est sorti simultanément en mono et en stéréo.Cependant, la version stéréo ne comprenait pas « The End of a Love Affair ». En compilant cette collection, Brooks et Keyes ont découvert pourquoi : aucun enregistrement stéréo original de ce morceau n'avait jamais été réalisé. Afin d'inclure une version stéréo de la chanson dans cette compilation, Keyes a donc pris une piste musicale non mixée ainsi qu'une piste vocale et rythmique, puis les a mixées sur une cassette numérique, créant ainsi un seul enregistrement à partir de deux. Mais un problème s'est posé : « Le magnétophone utilisé à l'origine pour enregistrer Billie fonctionnait à une vitesse légèrement supérieure à celle de l'appareil utilisé pour enregistrer la musique », ce qui a entraîné des différences de synchronisation entre les deux pistes. L'ingénieur Keyes a donc dû éditer la bande (et, j'imagine, synchroniser manuellement les magnétophones pour créer une œuvre complète). C'est une tâche très difficile à réaliser correctement, car elle nécessite de couper des sections de la bande pour faire correspondre les battements, les phrases vocales, etc., dont certaines débordent sur le battement ou la mesure suivante. Un mauvais montage créera un effet de désynchronisation et de saccades plutôt que des transitions musicales fluides. J'ai pris soin d'écouter très attentivement les montages dans « The End of a Love Affair » et je n'ai pu en entendre (je pense) que deux. C'est un excellent travail de la part de l'ingénieur Keyes qui a su préserver l'intégrité et la continuité musicales. Cet effort nous offre la première version stéréo de « The End of a Love Affair », 28 ans après la session originale.... an interesting story about the final track of Lady , " The End of a Love Affair . " According to the liner notes , the original LP was simulta- neously released in mono and stereo.However , the stereo version was miss- ing " The End of a Love Affair . " While compiling this collection , Brooks and Keyes found out why : No original ste- reo recording of that cut had ever been made . So , in order to include astereo version of the song in this collection Keyes took an unmixed music track along with a vocal - and - rhythm - mixed them down to a digital cassette - in effect , making one recording from two . But a problem arose : " The original tape machine used to record Billie was running a fraction faster than the machine used to record the music , " resulting in timing differencesbetween the two tracks. Consequently engineer Keyes had to edit the tape (and , I imagine , hand - sync the tape machines to create one complete work . This is a verytough task to perform well because it requires cutting sections of the tape to match beats , vocal phrases, etc., some of which hang overinto the next beat or measure . Poor editing will cre- ate an out - of - sync , herky - jerky effect rather than smooth musical transitions . I made a point of listening very careful- ly for the edits in "The End of a Love Affair " and could hear ( I think ) only two . This is great work by engineer Keyes to maintain musical integrity and continuity . The effort provides us with the first stereo version of " The End of a Love Affair , " 28 years after the original session . Columbia will, I hope, soon be releasing more of Billie Holiday's music. Issuing music from her sessions during the ' 40s would help to chronologically tie together the two compilations re- viewed here. Until then, I am going to sit back and enjoy these two Compact Discs for quite some time.
source : Audio, Volume 72, Numéros 1 à 11
Nous n'avons en revanche pas trouvé d'explication relative à la "vraie version stéréophonique" de "The End Of A Love Affair" de 2015.
Nous ne pouvons qu'émettre une supposition :
Les précédentes versions stéréo n'étaient constituées que d'un montage fait de superpositions de pistes mono de la voix de Billie Holiday aux pistes orchestrales (voir en quoi consiste le dubbing et le double tracking) alors que pour l'édition de 2015, Legacy Columbia Sony aurait remasterisé « The End of a Love Affair » grâce à de nouvelles technologies afin d'obtenir un résultat aussi proche que possible de la véritable stéréo.