Comment expliquer la chute de l'URSS et la fin de la guerre froide au début des années 1990 ?
Question d'origine :
Bonjour
Comment les états unis d’Amérique ont pu éliminer l’union soviétique dans les années 90 malgré que cela fût considérer pour nous impossible, incroyable et inexplicable même de nos jours ?
Merci.
Réponse du Guichet

L'effondrement de l’URSS résulte d’un ensemble de facteurs internes et externes : épuisement économique et politique, échec des réformes de Gorbatchev, perte du contrôle sur les pays satellites et montée des mouvements nationaux. Plus qu’une "élimination" par les États-Unis, c’est en réalité une lente désintégration d’un système à bout de souffle et dont les causes sont multifactorielles.
Bonjour,
Parler d'élimination de l'URSS par les États-Unis est peut-être exagéré. L'histoire de la Guerre froide, à savoir cette période de tension et d’hostilité qui opposa Américains et Soviétiques ainsi que leurs alliés respectifs de 1945 à 1991, s'est justement caractérisée par l’absence d'affrontement direct entre ces deux superpuissances.
Les deux camps ont tout fait pour éviter d'entrer en conflit, ce qui aurait inévitablement conduit à l'usage d'armes atomiques. Ils ont en revanche usé de tous les stratagèmes, jusqu'à l'affrontement localisé par adversaires interposés (Vietnam, Corée, Afghanistan etc.), pour étendre leur sphère d'influence dans un monde polarisé entre pays alliés et ennemis, communistes ou libéraux/capitalistes (La Toupie).
Si "l'élimination", où plutôt la dislocation de l'URSS d'après la formule consacrée, ne s'est pas jouée sur le terrain militaire, des moyen immodérés ont été employés pendant des décennies par les États-Unis pour affaiblir et ébranler durablement leur adversaire (et réciproquement). Faute de combat cette Guerre froide, latente, s'est déportée sur le terrain scientifique (conquête spatiale, course à l'armement), idéologique (doctrine Truman contre Jdanov) ou culturel (propagande, Soft power américain, compétitions sportives etc.), consacrant les services d'espionnage en pièces maitresses du rapport de force entre les deux blocs. Il aura fallu des décennies et un enchevêtrement de causes multiples, pour que survienne l'effondrement progressif du bloc soviétique entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, sous le gouvernement du réformateur Mikhaïl Gorbatchev.
C'est une histoire qui s'explique sur le long terme, où par la force des choses les États-Unis ont joué un rôle considérable, mais où l'adversaire américain ne peut être désigné comme l'unique fossoyeur de l'aventure soviétique. Quoiqu'il en soit, l'Amérique sorti vainqueur d'un conflit qui aura duré près d'un demi siècle, imposant un unilatéralisme et un nouvel ordre mondial au début des années 1990. Une seule superpuissance pour une grande victoire, signant pour certains historiens (aujourd'hui controversés), la "fin de l'histoire" et la fin des idéologies (Francis Fukuyama - voir cet article du journal Le Monde, 2017)
Comme souvent, les historiens spécialistes de ce conflit et/ou de l'histoire de l'URSS s'accordent non sur un seul mais autour de plusieurs événements considérables pouvant expliquer l'effondrement de l'empire soviétique. Le tournant des années 1970/1980 amena son lot de turbulences dans un pays de plus en plus essoufflé, autant politiquement qu'économiquement. Cette liste de causes explique l'effondrement d'un des deux pays les plus puissants du XXème siècle et le grand vainqueur de la Seconde guerre mondiale, mais elles ne sont pas les seules, et il vous faudra approfondir le sujet...
La fragilité de l'économie soviétique est la première des raisons mentionnée dans l'article de la BBC : Histoire : cinq raisons pour lesquelles l'Union soviétique s'est effondrée. L'économie planifiée, qui décidait politiquement de la quantité de choses à produire et des besoins de chaque citoyen ne parvenait plus à fonctionner, l'offre marquant un retard toujours plus important avec la demande. Les couts faramineux investis par les Soviétiques dans la course aux armements et dans la conquête spatiale minent les finances du pays. Ces graphiques présentant les stocks d'armes nucléaires détenus par l'URSS et les États-Unis montrent même une supériorité soviétique, confirmée dans l'ouvrage La guerre froide en chiffres et en date (2024) qui parle de "première puissance militaire" au monde durant la Guerre froide (p.63). On peut aussi citer le contre-choc pétrolier du début des années 1980, qui provoqua une baisse considérable du prix du baril, impactant considérablement l'économie dejà fragilisée de ce grand pays producteur...
L'Union soviétique, qui connaissait une grande stabilité politique sous la direction de Staline, Khrouchtchev et Brejnev est confrontée coup sur coup à la disparition à un an d'intervalle d'Andropov (1984) et Tchernenko (1985), deux de ses dirigeants.
Elle connait aussi un drame retentissant qui ternit son image avec l'accident de la centrale nucléaire Tchernoby en Ukraine en 1986.
Leur successeur, Mikhaïl Gorbatchev lança une série de réformes réputées pour avoir "ouvert la boite de Pandore" et précipité la chute du régime, à savoir une restructuration économique et une ouverture partielle à l'économie de marché (Perestroïka), et plus de transparence (Glasnost), avec notamment une politique de transparence de l'information, dans un pays jusqu'alors verrouillé par la planification économique, l'absolue main-mise de privilégiés sur le pays et une liberté d'expression impossible.
L'armée soviétique est aussi à bout. L’échec de l'invasion de l'Afghanistan et l'enlisement de la guerre qui opposa 9 ans durant l'armée soviétique aux moudjahidines islamistes afghans (sous perfusion américaine) fut révélatrice des carences de l'institution militaire : un commandement excessivement centralisé, une armée pas assez préparée, un retard technologique croissant, rivalités, indolence, selon l'analyse de Catherine Durandin dans La Guerre froide (Que sais-je, PUF) participa à l'affaiblissement général du pays.
Le réseau de pays frères, ces démocraties populaires "satellites" de l'URSS en Europe de l'est, voit ses membres vaciller et tomber entre 1989 et 1991 : la Pologne, l'Allemagne de l'est, la Hongrie, la Tchécoslovaquie ou la Roumanie s'émancipent de la tutelle soviétique et procèdent à leurs révolutions. Cette chute des pays à l'est du rideau de fer est bien expliquée dans cette vidéo : 1989-1991 : Effondrement du communisme et disparition de l’URSS.
Des fronts nationaux, contenus au sein des républiques soviétiques se sont eux aussi mis à s'exprimer et à galvaniser les espoirs populaires. Un processus de désintégration, initié par les pays baltes (acte de rétablissement de l'Etat lituanien en mars 1990), s'est propagé, dans des contextes et à des échelles variées, vers la région du Caucase où des tensions intercommunautaires ont explosé entre les Arméniens et les Azerbaïdjanais autour du Haut-Karabagh. La Géorgie, l'Ukraine, puis même les républiques d'Asie centrale emboitent le pas après un coup d'état conservateur manqué à Moscou en aout 1991, qui précipite la dislocation de l'Union, enterinée le 25 décembre 1991 :
Du 19 au 21 août 1991, un coup d’Etat des conservateurs échoue, ce qui précipite la suspension des activités du Parti communiste d’Union soviétique et la démission de Mikhaïl Gorbatchev de son poste de secrétaire général. Mais l’URSS existe toujours juridiquement.
Dans la foulée, neuf autres républiques proclament leur indépendance entre le 24 août et le 27 octobre 1991, dont l’Ukraine – deuxième république la plus peuplée avec 51 millions d’habitants – ou la Biélorussie. A cette date, l’URSS n’est plus constituée que de la Russie et du Kazakhstan, soit 165,3 millions d’habitants, contre 290,1 millions au début de l’année 1990.
Source : De la Lituanie au Kazakhstan, visualisez la dislocation progressive de l’Union soviétique - Le Monde (2019) (lecture disponible grâce à un abonnement à la BmL).
Cet article du Centre virtuel de la connaissance sur l'Europe est aussi d'un bon appui pour saisir l'enchainement en domino des indépendances des anciennes républiques soviétiques : L'éclatement de l'Union soviétique et les résurgences des identités nationales.
C. Durandin donne son analyse de cette déliquescence causée aussi bien par des désordres internes qu'externes. Seule certitude, cette crise est multifactorielle :
Les causes de l'effondrement sont d'ordre interne : le conservatisme idéologique soviétique a très vite sapé les convictions et les dynamiques militants, en URSS comme dans les démocraties populaires.
Parties d'un élan révolutionnaire ces sociétés ont dérivé vers des modes de survie ou de succès individualistes, le plus souvent opportunistes. Après Helsinki, l'Occident s'est posé en salvateur de la foi humaniste, ses intellectuels se mobilisant pour le respect des Droits de l'homme. Le Vatican, après l'élection de Jean-Paul II, a contribué à accentuer le rejet du communisme. Washington a su utiliser tous les ressorts du soft power : propagande par le biais des radios libres ; soutiens aux exilés des années Helsinki tels que Soljenitsyne. Les membres du parti de la génération Gorbatchev, les "gorbatcheviens", qui sont prêts à coopérer avec l'Ouest pour sortir de leur stagnation, sont conviés aux États-Unis, associés à de prestigieuses universités, invités à Washington dans des centres de recherche etc. Le département d’État fait appel à des experts universitaires pour engager des coopérations avec les pays du bloc soviétique. Mark Palmer inaugure même une école de management. Le bateau prend l'eau, tout simplement parce que la moindre brèche pousse des milliers de citoyens de l'Est à fuir vers l'Ouest.
(..)
Comme Budapest ouvre sa frontière avec l'Autriche, les Allemands de l'Est qui traversent la Hongrie gagnent l'Autriche. Cet ébranlement préfigure la chute du mur : lors de la visite de Gorbatchev les 7 et 8 octobre 1989 en l'honneur, des manifestants crient : "Gorby, viens nous aider". Le 18 octobre 1989, le conservateur Honecker cède la place à Egon Krenz , qui, le 9 novembre, décide d'assouplir les règles régisant les voyages à l'Ouest...
Source : La Guerre froide de Catherine Durandin (PUF, 2016) (p. 89 et 90).
L'écoute de ces podcasts serait idéale pour compléter ces premiers éléments d'explication : Épisode 3/4 : Debout les peuples de l’URSS ! Les républiques s'émancipent et Épisode 4/4 : 1991, l'URSS effondrée ? (France Culture) et plus largement la série : URSS, histoire d’une chute.
Mais aussi : Gorbatchev, l’homme de la fin de l’Histoire (France Culture).
Vous pourriez aussi trouver d'autres analyses et explications dans les ouvrages suivants :
Histoire mondiale de la guerre froide : 1890-1991 / Odd Arne Westad (Perrin, 2019)
Dictionnaire de la Guerre froide / sous la direction de Claude Quétel (Larousse, 2008)
Le XXe siècle : temps, tournants, tendances / Marc Nouschi (Armand Collin, 2011)
Six années qui ont changé le monde : 1985-1991, la chute de l'Empire soviétique / Hélène Carrère d'Encausse (Pluriel, 2019)
Histoire de l'Union soviétique : de l'Empire russe à la Communauté des Etats indépendants (1900-1991) / Nicolas Werth (PUF, 2021)
Bonne journée.