Comment expliquer la victoire de Javier Milei aux élections législatives en Argentine ?
Question d'origine :
Quelles sont les causes qui sont à l'origine de la réélection de Javier Milei en Argentine?
Réponse du Guichet
Javier Milei et son parti La Libertad Avanza ont remporté les élections de mi-mandat argentines avec 41% des voix, renforçant nettement leur majorité parlementaire. Ce succès, malgré les scandales, s’explique autant par la faiblesse de l'opposition, qui sucite un rejet massif, que par certaines victoires économiques et un noyau dur d'électeurs au soutien indéfectible. Attention toutefois, ces éléctions furent aussi marquées du sceau d'une abstention record, la plus haute depuis le retrour à la démocratie dans le pays en 1983.
Bonjour,
Javier Milei n'a pas été à proprement parler réélu mais son parti, La Libertad Avanza, a remporté à la surprise des observateurs occidentaux les élections de mi-mandat qui se sont déroulées dimanche 26 octobre 2025. Avec un total de 41% des suffrages exprimés, il a supplanté l'opposition péroniste (32%), l'emportant dans 16 des 21 provinces que compte le pays dont la province de Buenos Aires, bastion historique de ses opposants de centre gauche.
Lors de ce scrutin les électeurs étaient appelés à renouveler la moitié des députés et un tiers des sénateurs. Cette victoire permet au camp présidentiel de rééquilibrer les forces au Parlement en récupérant 80 sièges à la Chambre (contre 37 auparavant), offrant à Milei une plus grande marche de manœuvre pour poursuivre ses réformes avec notamment l'assurance d'utiliser son véto présidentiel sans entrave pendant les deux années à venir.
Pourtant cette victoire électorale n'avait rien d'évidente, surtout au vue des résultats du précédent scrutin lors des élections provinciales anticipées de Buenos Aires début septembre 2025 lors desquelles le parti présidentiel s'était incliné d'une différence de 14 points face au candidat péroniste de Fuerza Patria. On peut aussi mentionner le scandale de corruption qui touche sa soeur Karina Milei, accusée de touchée des pots de vin de la part d'entreprises de l'industrie pharmaceutique, ou encore la démission de l'un de ses députés dans une affaire liée au narcotrafique, venus dernièrement entâcher l'image de celui qui avait fait de la lutte contre la corruption le mantra de sa campagne présidentielle en 2023...
Alors comment expliquer que le président argentin a pu à ce point déjouer des sondages qui lui étaient largement défavorables ? Le triomphe surprise de Javier Milei peut très bien être interprété comme un plébiscite de son action au gouvernement. Toutefois, d'autres facteurs pourraient expliquer la victoire du président libertarien selon la presse française.
Pour le journal Le Monde, le sociologue argentin Gabriel Vommaro donne trois explications principales à ce succès. Milei peut tout d'abord compter sur un noyau dur de partisans, qui représenterait 1/3 de ses électeurs, lesquels conservent une confiance totale envers leur président. D'autres continueraient de le soutenir, souhaitant donner au chef de l'état le temps nécessaire à l'application réelle de sa politique, surtout avec un Parlement qui lui serait plus favorable. Enfin, cette victoire pourrait se comprendre comme la manifestation d'un anti-péronisme latent, ou plutôt d'un anti-kirchnérisme (courant à gauche au sein du péronisme, du nom de l'ancienne présidente Cristina Kirchner), avec des électeurs, plus effrayés par l'idée d'un retour en arrière que réellement enthousiastes du travail effectué par leur président.
Sur le rôle joué par l'opposition dans ces éléctions justement, le sociologue et anthropologue argentin Pablo Seman pour Libération, voit la victoire de Milei davantage comme la marque de la faiblesse des péronistes, désorganisés et déconnectés des besoins des Argentins. Pour le sociologue, Milei profiterait davantage des échecs des précédents gouvernements péronistes qu'il jouierait d'un véritable plébiscite en faveur de sa politique (Élections en Argentine : «Les résultats révèlent davantage la faiblesse de l’opposition que la force de Javier Milei» - Libération).
C'est aussi le constat établit par le journal Mediapart dans leur article : Argentine : pourquoi Javier Milei a remporté une victoire inattendue aux législatives, qui constate le fort rejet du péronisme des électeurs et l'attentisme, voir "le vide" de la campagne de l'opposition. Les autres forces politiques comme les listes de Provinces Unies (alliance de gouverneurs provinces) qui se présentaient comme la troisième voie possible, n'ont pas non plus suscité l'enthousiasme escompté.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que ces élections ont été frappées d'un record d'abstention historique avec 32% (plus haut score depuis le retour du pays à la démocratie en 1983) dans un pays où le vote est pourtant obligatoire, constituant un risque à l'avenir pour la légitimité de toute la classe politique.
Comment ne pas aussi mentionner l'ultimatum envoyé par le président américain Donald Trump, qui avait conditionné la continuité d'une aide financière des États-Unis (qui pourrait grimper à 40 milliards de dollars) au maintien du pouvoir de Javier Milei et donc au vote des élécteurs ? (Donald Trump conditionne la poursuite de l’aide à l’Argentine à la survie politique de Javier Milei (Le Monde, 14 octobre 2025). L'intervention du président américain a permis d'amoindrir la dévaluation du peso argentin, mais continue d'accentuer la dépendance du pays au dollar. Pablo Seman hésite quant au poids qu'a eu cette menace sur le vote, faisant passer, au choix, Javier Milei comme un chef d'état à la solde de l'impérialisme américain ou comme un habile dirigeant capable de mobiliser de l'aide internationale quand cela lui est nécessaire.
Nous pouvons aussi vous partager cette analyse du site La Finance pour tous qui tente de scruter la politique économique de Milei à l'aune du résultat des élections de mi-mandat : Argentine : quel bilan économique après les élections législatives de 2025 ?. Les conclusions de ce bilan peuvent expliquer le vote en faveur, comme en défaveur du parti du président argentin. On note à son actif une très forte baisse de l'inflation qui s'élevait à un taux annuel dépassant les 200% avant son élection pour descendre en 2025 à 35%, un très bon résultat dans un pays habitué à voir ses prix doublés chaque année et une amélioration qui a eu tendance a rassurer les marchés financiers.
Cette politique aurait eu cependant des conséquences néfastes dont une forte récession aux multiples répercussions parmi lesquelles de nombreuses suppressions d'emplois et des milliers d'entreprises obligées de fermer leurs portes...
Pour une analyse de l'intérieur du succès de La Libertad Avanza vous pouvez lire cette tribune de Santiago Santurio, député du parti et très élogieux des travaux réalisé par son président, publiée par le journal Le Figaro. Extrait :
Pendant ses deux années de gouvernement, Javier Milei a pulvérisé l’inflation, qui a chuté de 270 % à moins de 25 %, il a réduit la dépense publique d’environ 30 %, et a ainsi rendu durablement du pouvoir d’achat aux Argentins. Il a sorti 1,7 million d’enfants de la pauvreté. Le taux de pauvreté était de 53 % de la population ; aujourd’hui, cette part est réduite à 29 %. La dette publique diminue. Celle-ci pesait 88 % du PIB, elle a décru de plus de 10 % en deux ans et est ramenée à 78 % du PIB environ. L’insécurité a aussi reculé. Fruit de toutes ses actions : la croissance caracole à 5,5 % pour 2025 ; elle est estimée entre 4,5 % et 5 % pour l’année à venir.
Source : «Victoire de Javier Milei : pourquoi la presse et les analystes se sont encore trompés» - Le Figaro
Dans un ton moins partisan et plus contrasté, France Info conclut que, pour l'heure, il reste bien difficile de dire si les plus pauvres vivent réellement mieux sous la présidence Milei : Argentine : la méthode ultralibérale de Javier Milei a-t-elle vraiment fait reculer la pauvreté ?. De nombreuses sources sont citées sous l'article pour approfondir la question et vérifier ces dires.
Vous pourriez aussi écouter cette émission sur France Culture, avec l'intervention de Carlos Quenan et Maricel Rodriguez Blanco, respectivement économiste et sociologue, intitulée : Pourquoi l'électorat argentin soutient-il Javier Milei ?
La présidentielle de 2027 sera sûrement le véritable juge de paix de son action !
Pour rappel, l'ensemble des articles cités dans la réponse peuvent être consultés depuis chez soi grâce à un abonnement à la BmL avec un accès aux bases de données Cafeyn, Europresse et au journal Mediapart.
Bonne journée.
Le KGB contre l’Ouest.