Question d'origine :
Bonjour
Je travaille sur l'Ancien Régime d'une petite commune rurale ( Molières 24480) et j'aimerais savoir comment fonctionnait la justice jusqu'à la Révolution. J'ai un juge royal dans la paroisse, des greffiers, mais je n'ai pas les sentences. Est-il vrai que la justice était payante? où trouver les sommes dues aux magistrats? Est ce qu'un procureur de l'époque jouait le rôle d'un avocat ( jamais ce mot n'est écrit dans les documents)
Quel ouvrage ( Gallica)? me recommandez vous pour comprendre la justice sous l'Ancien Régime? et aussi les impôts?
je vous remercie
Réponse du Guichet
Sous l'Ancien Régime, le roi est avant tout un juge. Il devient progressivement source de toute justice, mais il en délègue l'exercice à ses officiers. "Les cas royaux" augmentent graduellement, et la justice locale perd de son importance.
En ce qui concerne l’histoire du droit en France, l’époque moderne se caractérise par le renforcement de tendances existant auparavant, et notamment de l’extension de la justice du roi au détriment des autres justices. Les juges royaux empiètent petit à petit sur les justices locales, seigneuriales, distinguées au XIIe siècle, ou municipales. Le nombre de crimes dont le traitement est réservé aux tribunaux royaux se trouve sans cesse augmenté, incluant, au cours du XVIe siècle, la rébellion aux mandements émanés du roi ou de ses officiers, le port d’armes, les assemblées illicites, la fausse monnaie, le trouble public au service divin, le mariage clandestin, etc.
Au cours du XVIIe siècle, les juges seigneuriaux qui disposent de la haute justice, perdent la compétence ultime par le biais de l’appel, devenu obligatoire devant un parlement. De plus, ils sont très souvent dépossédés du traitement en première instance des crimes les plus graves, comme les homicides, les duels, les rapts et les viols, presque toujours préemptés par les tribunaux royaux.
En 1667, à la lumière d’une ordonnance, les usages particuliers aux diverses justices seigneuriales sont abolis au profit de l’uniformisation des procédures. Dans cette optique, favorable à la justice royale, ce sont surtout les officialités, les tribunaux ecclésiastiques, qui se trouvent dépourvus de leurs compétences de manière importante.
Au XVIe siècle, elles cèdent le traitement pénal de l’hérésie, de la sorcellerie, du sacrilège, du blasphème aux tribunaux royaux, portant le nom de "tribunaux laïques".
A la fin du XVIIe siècle, l’évolution se poursuit pour les officialités. Elles demeurent compétentes, en ce qui concerne les seuls ecclésiastiques, pour une partie des crimes traités également par les justices laïques, en conservant ainsi une apparence de puissance. Ces situations complexes sont illustrées par les factums ou "mémoires" d’avocats. On pourrait les qualifier de plaidoiries écrites. Ils constituent une source originale, en quantité considérable. Ils ont été conservés par milliers dans certains dépôts d’archives et se présentent le plus souvent sous la forme de petits ouvrages imprimés, brochés, d’épaisseur très variable, mais pouvant atteindre parfois jusqu’à 100 ou 200 pages. Au civil, les factums constituent le prolongement logique de la plaidoirie prononcée par l’avocat lors de l’audience publique. Ils fournissent à l’historien une part essentielle de la documentation, étant donné que l’audience produit très peu (ou pas du tout) de traces écrites. Par conséquent, couplés - lorsque c’est possible - avec des écrits procéduraux, ils deviennent la source par excellence utilisée pour étudier une partie importante de l’évolution de la justice sous les règnes de Louis XIV à celui de Louis XVI.
Pour que les causes soient entendues, les plaideurs offrent aux magistrats des cadeaux appelés "épices". Les peines dépendent du bon vouloir des juges. La justice est donc payante, phénomène qui entraîne le mécontentement général, trouvant son expression dans les cahiers de doléances de 1789.
En ce qui concerne le rôle de l’avocat, tout comme celui du procureur et du juge, ils sont progressivement définis sous le règne de Saint Louis. La question des impôts a déjà été traitée par nos services.
Voici un choix d'ouvrages qui vous aideront à saisir le fonctionnement de la justice sous l’Ancien Régime :
La paix au village. Clergé et règlement des conflits dans la France de l’Ancien Régime, Anne Bonzon, Champ Vallon, 2022 ;
Questions de justice 1667-1789, Benoît Garnot, Belin, 2006 ;
Une histoire des avocats en France, Bernard et Pierre-Olivier Sur, Dalloz, 2013 ;
Contrôler et punir. Les agents du pouvoir XVe-XVIIIe siècles, sous la dir. de Antoine Follain, EUD, 2015 ;
Crime et justice aux XVII et XVIIIe siècles, Benoît Garnot, Imago, 2000.
Vous pouvez également consulter les articles suivants :
Une réhabilitation? Les justices seigneuriales de la France du XVIIIe siècle de Benoît Garnot, in « Histoire, Economie & Société » 2005, 24-2, p. 221-232 ;
Le patrimoine de la justice à Périgueux (Dordogne), Martine Balout, in « In Situ. Revue des patrimoines », 2022, n°46 ;
ou encore 'Comprendre les termes de la procédure judiciaire d’Ancien Régime', un article de Beatrice Fourniel.
Vu que vous étudiez l’histoire de la commune de Molières, il serait judicieux de vous rapprocher des archives départementales de la Dordogne qui conservent des fonds conséquents et pourront sans doute vous orienter vers les sources qui relèvent de l’histoire juridique locale.
Sur Gallica – à explorer un ensemble de documents sur le droit et la réglementation dans l’Ancien Régime en Dordogne ; Criminocorpus est une plateforme consacrée à l’histoire du droit et de la criminalité. Elle propose des dossiers et expositions intéressantes.
Pour finir, en goûtant à l’anecdote, vous pouvez jeter un œil sur le reportage de France Bleu datant du mois d’août 2025, relatif à un procès de l’Ancien Régime, rejoué par le Maire et les habitants de Thonac (24290), petit village en Dordogne.
Nous vous souhaitons d’agréables et fructueuses recherches !
L’affaire Nevenka