Pourquoi l'entreprise de soierie "Veuve Guérin et fils" s'appelait elle ainsi ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je travaille actuellement sur l'histoire de femmes en lien avec la soierie lyonnaise. Je suis tombée sur l'entreprise Veuve Guerin et fils mais celle-ci ne fut tenue que par des hommes durant plusieurs générations. Pourquoi donc ce nom de "Veuve"?
Merci !
Réponse du Guichet
Le nom "Veuve Guerin et fils" s'explique par tradition historique : à plusieurs reprises entre le 18ème et le 19ème siècles, des veuves de la famille Guerin ont effectivement repris la direction de l'entreprise après le décès de leur mari, s'associant alors avec leurs fils pour continuer l'activité plutôt que de disparaître ou de laisser la gestion de celle-ci à un tiers.
Bonjour,
La famille Guérin est une ancienne puissante maison de commerce composée de marchands de soie et de banquiers. Ils ont exercé dans le Forez à Saint-Chamond et bien sûr à Lyon, entre le XVIIème et le XXème siècle, avant que leur activité ne cesse en 1932.
L'histoire familiale est dense et débute autour de Saint-Chamond, dans la Loire, par la fabrique et le commerce de la soie. L'affaire grossit rapidement et les charges honorifiques apparaissent. Dominique II, le premier héritier, endossa la charge de recteur de l’hôpital général de la Charité à Lyon au début du XVIIIème siècle. Mais l'implication financière et patrimoniale qu'exigeait une telle charge ruina en partie la famille et à sa mort, en 1709, c'est sa femme, Étiennette Bertholet et son fils Jean-Dominique, qui reprirent le négoce et transformèrent la raison sociale de l'entreprise en "Veuve et fils" (1716). C'est en tout cas ce qu'atteste le document de présentation du fonds Guérin rédigé par les archives municipales de Lyon (fonds d'archives commerciale et familiale versé par leur descendant Hugues Guérin en 1999) :
À sa mort en 1709, sa femme, Étiennette Bertholet, originaire de Saint-Julien-en-Jarez (Loire, commune de Saint-Chamond), reprend son négoce et en 1716, s’associe avec son fils, Jean-Dominique sous la raison sociale « Veuve Guérin et Fils ». Ce dernier devient recteur de l’hôpital de Saint-Chamond de 1747 à 1750 et marguillier de la paroisse de Notre-Dame en la même ville de 1750 à 1752. Il décède le 19 novembre 1754 et laisse à sa veuve, Marie Malliquet, fille d’un marchand-fileur de soie de Saint-Chamond, la direction de la maison de commerce.
Son fils, Joseph-Marie n’étant âgé que de seize ans à la mort de son père, s’associe à sa mère en 1759 (Serge Chassagne « Les voyages d’un marchand de soie catholique à la fin du XVIIIe siècle, Joseph Marie Guérin » in Commerce, voyage et expérience religieuse XVIe-XVIIIe siècles, collection Histoire, Presses universitaires de Rennes)
Source : Famille Guérin, 145J 1-145J184 (1621-1959)
Les veuves Berthelet et Malliquet se seraient succédées à la tête de l'entreprise suite aux décès de leurs maris en association avec leurs enfants. Une situation analogue se serait répétée dans la deuxième moitié du XIXème siècle à la mort de Louis Guérin en 1871 qui a porté Marie Desvernay à la tête de l'entreprise. C'est une période de prospérité qui s'ouvre, surtout pour les activités banquaires :
Tout comme son père, Louis (J. Poncet, Souvenirs de famille : Louis César Guérin) prend part à la vie de la ville de Lyon en tant que membre de la commission municipale, administrateur des hospices et présidentde la Chambre de commerce. Fervent catholique, il reçoit le titre de commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand du Pape Pie IX (Pape de 1846 à 1878) en 1867 et, suite à un discours prononcé devant la famille impériale venue visiter les ateliers de soieries de Lyon, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur par Napoléon III en 1870. En 1871, sa veuve, Marie Desvernay, s’associe avec ses deux fils, Ferdinand et Charles, pour diriger la maison « Veuve Guérin et fils » après leur retour du front.
Source : Famille Guérin, 145J 1-145J184 (1621-1959)
Il est peut-être possible que vous en trouviez pas le nom de ces femmes dans les archives de l'entreprise. La gestion adminstrative de l'entreprise pouvait à l'époque échoir, d'un point de vue égal, uniquement aux hommes de la famille. Pourtant ce sont bien des femmes qui semblent avoir endossé la direction de l'entreprise lors de moments de crise.
Nous vous invitons à poursuivre la lecture de l'histoire familiale sur le document des archives, d'en consulter les fonds en salle d'étude, ou bien de lire l'ouvrage de Serge Chassagne : Veuve Guérin et fils - banque de soie une affaire de Famille (1716-1932) (BGA Permezl, 2012)
Plusieurs études attestent par ailleurs de la place considérable qu'ont occupée certaines femmes, veuves ou non, dans l'histoire industrielle, commerciale et artisanale du pays. Souvent invisibilisées, les femmes ont pourtant assumé des fonctions à haute responsabilité dans le monde du travail. Ce travail de la BNF retrace par exemple le destin de 3 femmes dont le destin les a conduit à la tête d'usines d'industries lourdes : Patronnes dans l'industrie lourde. Extrait :
En effet, les noms de Coco Chanel, Jeanne Lanvin, Helena Rubinstein ou Estée Lauder restent célèbres. On connaît moins en revanche les noms de femmes qui ont dirigé des usines et des grandes sociétés industrielles, dans des secteurs d’activité qui étaient et qui sont encore très masculins.
L’accès des femmes à la tête d’une entreprise ne date pas du siècle dernier, les femmes ont depuis longtemps pu se mettre à leur compte et diriger de petites ou grandes entreprises dans tous les secteurs d’activité. Jusqu'au XXe siècle, les entreprises étaient majoritairement des affaires de famille et il n’était pas rare qu’une femme collabore avec son époux ou bien prenne sa place à son décès à la tête d’une entreprise. Certains secteurs d’activité, comme la métallurgie, étaient cependant considérés comme plus appropriés pour les hommes.
Source : Patronnes de l'industrie lourde - Gallica
Pour aller plus loin sur ce sujet, nous vous conseillons également la lecture de l'article Être femme dans le milieu corporatiste des métiers de l’artisanat en France au XVIIIe siècle d'Anne Forray-Carlier, conservatrice au musée des arts décoratifs de Paris, et dont le passage sur les veuves est très éclairant.
Tout comme celui de Paulette Robic, maître de conférence en sciences de gestion : Le rôle des veuves-entrepreneures dans les entreprises familiales (2009)
En vous souhaitant une bonne journée.
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