Quel était l'état de santé de nos ancêtres paysans français sous l'Ancien régime ?
Question d'origine :
Cher guichet,
Je voudrais avoir une synthèse simple sur l'état de santé de nos ancêtres paysans français sous l'Ancien régime : les problèmes dentaires (proportion d'édentés à 40 ou 50 ans ?), digestifs,problèmes cutanés et bien sûr les maladies contagieuses appelées souvent "pestes"...
Que dire des progrès au XIXe siècle pour les ruraux comme les citadins liés à l'hygiène ?
Merci pour votre bon travail. Faites-vous le point de votre travail de temps à autre ?
Réponse du Guichet
Plusieurs fléaux touchent les paysans d'Ancien Régime. Le manque d'hygiène ainsi que la malnutrition et sous-nutrition chroniques rendent les paysans sensibles aux diverses épidémies et maladies de l'époque. Une forte mortalité infantile, le nombre important de décès des femmes en couche, les carences alimentaires, accidents, épidémies, maladies ainsi que les guerres, déciment les campagnes françaises où l'espérance de vie à la naissance s'élève à 25 ans ; seul 30% de la population atteignant l'âge de 60 ans et plus.
Bonjour,
Face aux rendements faibles et aux techniques de culture rudimentaires, les paysans d'Ancien Régime souffrent de sous-alimentation et de malnutrition chronique. Le manque d'hygiène les rend également sensibles aux épidémies et maladies de l'époque. En été, fièvres et dysenteries sévissent.
Voici un extrait de l'ouvrage intitulé Société, cultures et mentalités dans la France moderne : XVIe-XVIIIe siècle de Robert Muchembled. Son chapitre 4 est consacré aux thèmes de la faim, les peurs et la violence au village. Aux pages 59 à 66, il est indiqué :
Le corps humain, en premier lieu, témoigne de ces réalités. L'étude iconographique montre (dans la peinture de Jérôme Bosch par exemple) des faces édentées, des individus courbés, cassés ou fatigués. La théorie des deux races sur le sol français, qui distingue les descendants des envahisseurs Francs de ceux des Gallo-Romains dégénérés, correspond peut-être un peu à des différences dues à l'alimentation. Les nobles sont probablement plus grands, si l'on en juge par les armures conservées, que les paysans moyens dont certains cimetières permettent d'étudier la taille et l'aspect probable. Sans exagérer ces différences, il faut noter l'usure physique plus rapide des ruraux, soumis à de dures conditions de travail. Leur teint hâlé n'est pas du tout à la mode, car les belles dames comme les aristocrates évitent soigneusement le soleil, préférant la pâleur affectée, ce qui marque ainsi encore plus les oppositions avec les gens du peuple. Ces derniers souffrant de misères physiques de toute nature, aggravées par la consanguinité, suite à l'endogamie villageoise : beaucoup de choses dépendent effectivement des circonstances climatiques, de la pression sur les terres et aussi, bien sûr de la richesse des terroirs. [...]
L'estomac de la plupart des gens est soumis à de véritables cycles, de la pénurie habituelle à l'excès ponctuel, en passant par des jeûnes sévères. [...]
Les conditions de vie paysannes sont étroitement dépendantes des phénomènes naturels, ainsi que des terribles ponctions humaines opérées par les grandes épidémies. [...]
Les paysans de l'Ancien Régime n'ont aucune conception de ce que nous appelons l'hygiène. Ils ignorent évidemment l'existence des microbes ou de l'infiniment petit, tout en percevant la maladie comme une sorte d'agression venue du dehors pour miner leurs forces. Leurs conditions de vie ouvrent de ce fait la porte à de nombreuses contagions. La promiscuité, par exemple lors du partage du lit commun par les parents et les enfants, facilité la marche des épidémies, que les veillées ou d'autres occasions de rencontre transportent dans tout le village. Il ne faut certainement pas exagérer les choses ni porter sur elles un regard anachronique. Le fumier pourrit très souvent à quelques pas de la porte, devant laquelle sont jetées les matières fécales, en l'absence de lieux d'aisance spécifiques ; les déjections des animaux jonchent le sol, parfois même celui de la maison, lorsqu'une précieuse vache s'y trouve, séparée des humains par une cloison ou non, sans parler des chiens, des poules, des porcs laissés en liberté. Mais ces conditions sont celles de beaucoup de sociétés paysannes dans des espaces et des temps différents. Si elles choquent nos sensibilités, elles ne produisent pas nécessairement des handicaps insurmontables en matière de santé. Car les villageois qui ont survécu à l'enfance, aux calamités et aux maladies sont résistants. Habitués à supporter le froid, la fatigue et la douleur, ils sont aussi partiellement immunisés contre certains germes. [...]
De multiples maladies n'en sévissent pas moins. Elles opèrent de sévères ponctions dans les catégories les plus fragiles de la population : femmes en couches, enfants en bas âge, vieillards. La sous-alimentation chronique de nombreuses familles paysannes expose plus aisément leurs membres aux poussées de mortalité, suite aux maladies saisonnières en particulier. L'arrivée de l'été se manifeste souvent par des "flux de ventre" liés à l'alimentation ou à la consommation d'eau polluée. D'innombrables fièvres, dites doubles, tierces, quartes selon l'intervalle séparant les poussées, existent à côté de manifestations de typhoïde, de rougeole, de diphtérie, de petite vérole... [...]
La lèpre, la syphilis et les pestes constituent par ailleurs les dangers les plus redoutés par les Européens du temps. [...] Le redoutable pluriel du mot pestes recouvre un ensemble complexe et symbolique de grandes épidémies qui ne sont pas toutes transmises par le bacille de Yersin. Certaines n'ont en commun avec la peste que la peur panique qu'elles déclenchent. [...] Depuis la terrible Peste noire de 1348, la peste pulmonaire continue ses ravages en Europe, parallèlement à la peste bubonique (du nom des "bubons" ou boursouflures sur le corps du malade) transmise par la puce du rat. Endémique jusqu'au début du XVIIIe siècle, cette dernière produit localement de manière récurrente des poussées virulentes dans les campagnes et surtout dans les villes, foyers plus clos dans leurs murailles.
Nous vous laissons poursuivre la lecture de cet ouvrage dont le propos ne manquera pas de vous intéresser. Nous vous conseillons également la lecture de ces autres manuels portant sur la société française sous l'Ancien Régime :
- Les campagnes françaises à l'époque moderne / Emmanuelle Charpentier (2021), aux pages 273 à 308
- La France d'Ancien régime : pouvoirs et société / Vincent Milliot, Philippe Minard (2018), aux pages 34 à 43
- Les paysans français au XVIIe siècle / Pierre Goubert (1998)
- La mémoire des croquants : chroniques de la France des campagnes, 1435-1652 / Jean-Marc Moriceau (2018)
- Histoire des épidémies de l'Antiquité à nos jours / Brice Rabot (2024)
- État sanitaire entre Ancien Régime et révolution industrielle: Étude paléoépidemiologique de deux populations provençales / Marie Perrin (2021)
- Médecine et santé dans les campagnes : approches historiques et enjeux contemporains / publié sous la direction de Marie Bolton, Patrick Fournier, Claude Grimmer Fontange (2019)
Deux articles présentent ce livre :
Isabelle Renaudet, « Marie Bolton, Patrick Fournier et Claude Grimmer (dir.), Médecine et santé dans les campagnes. Approches historiques et enjeux contemporains/Medicine and Health Care in the Countryside. Historical Perspectives and Contemporary Challenges », Histoire, médecine et santé, 17 | 2021, 179-182.
Larguier, G. (2019). Marie Bolton, Patrick Fournier, et Claude Grimmer (dir.), Médecine et santé dans les campagnes. Approches historiques et enjeux contemporains / Medicine and Health Care in the Countryside. Historical Perspectives and Contemporary Challenges, Bruxelles, Peter Lang, 2019, 414 p. Histoire & Sociétés Rurales, . 51(1), XII-XII.
Lire aussi ces documents en ligne :
- La France Économique et Sociale au XVIIIe siècle / Henri Sée - 1925
- Edrom, J. (2018). Les topographies médicales en Révolution Une dynamique des stéréotypes entre science et politique. Hypothèses, 21(1), 115-125.
- Patrick Fournier, « Épidémies et médicalisation des territoires ruraux (vers 1770-vers 1830) », Siècles, 30 | 2009, 61-83.
- Infection, insalubrité et santé : réseaux de savoirs et de pouvoirs en France du XVIe au XVIIIe siècle / Patrick Fournier - Les cahiers du comité pour l’histoire | n°4 | recherche(s), santé et environnement, XIXe- XXIe siècle vol 1/2
Au XVIIIe siècle les conditions d'hygiène sont les mêmes que celles des deux siècles précédents. L'hygiène dentaire notamment reste l'apanage des plus aisés. Nous n'avons pas trouvé de statistiques précises relatives à la proportion de personnes édentées sur une génération. Nous vous invitons néanmoins à consulter cette thèse dont voici un court extrait :
Dans les conditions de vie et d'habitat et les moyens de lutte contre les maladies, rien n'est vraiment changé par rapport au siècle précédent. Seuls les individus les plus résistants atteignent un âge avancé.
Malgré quelques améliorations ponctuelles, la situation sanitaire est précaire. Les eaux souillées et le manque général d'hygiène des habitations sont les causes directes ou indirectes de multiples maladies, de fièvres, d'affections bronchiques ou intestinales souvent fatales aux jeunes enfants et aux vieillards. [...]Au XVIIIème siècle, tous les grands protagonistes de l’art dentaire s’accordent sur la nécessité d’une hygiène rigoureuse et journalière. Fauchard déplore surtout le manque de motivation de ses contemporains. Il désire les amener à consacrer plus de temps et d'attention à l'entretien de leurs dents.
On se sert donc surtout de cure-dents, de gratte-langues et d’éponges. Fauchard propose même une véritable méthode de brossage, qui n’est pas sans nous rappeler nos techniques : « se laver la bouche tous les matins avec de l'eau tiède en se frottant les dents de bas en haut et de haut en bas, par dehors et par dedans, avec une petite éponge des plus fines trempée dans la même eau. » (Fauchard, cité par Burthier, 1984).
La brosse à dents n’est pas encore répandue et reste l’apanage des gens aisés. Dans les ouvrages de l’époque, ses allusions sont rares, et lorsqu’elles existent, c’est souvent pour en déconseiller l’usage. Fauchard lui même en est ennemi. Il craint que sa matière trop rude n’abîme les dents et les gencives. Les opiats, dentifrices et élixirs sont très en vogue. Le nettoyage chirurgical des dents, le détartrage, sont des opérations mentionnées dans tous les grands traités chirurgicaux. Bunon (1746), suivant Fauchard, relate l’importance d’un détartrage régulier effectué par un dentiste : « quand une fois des dents saines sont nettes et propres il ne faut plus qu’un peu de soin pour les conserver longtemps dans cet état ». Pour d'autres, cet acte est réputé nocif car censé rayer les dents (Bogolposky, 1995 ; Burthier, 1984).
source : État bucco-dentaire d’une population du XVIIIe et XIXe siècles en lorraine : perspectives paléo- odontologiques / thèse de Jean-Philippe FONTANA
Pour approfondir votre deuxième question sur les progrès de l'hygiène au XIXe siècle, nous vous renvoyons aux travaux de Patrick Fournier, Stéphane Frioux et Sophie Chauveau publiés dans l'ouvrage intitulé Hygiène et santé en Europe : de la fin du XVIIIe siècle aux lendemains de la Première Guerre mondiale (2011)
De la fin du XVIIIe siècle aux lendemains de la Première Guerre mondiale
En matière d'hygiène et de santé, la période qui s'étend des années 1770 jusqu'aux lendemains de la Première Guerre mondiale marque une véritable révolution. À côté de « victoires » restées célèbres comme les vaccinations contre la rage et contre la varole, on assiste à une première médicalisation de la société.
Partout en Europe, dans un contexte de plus en plus urbain et industriel, un système d'acteurs se met en place. Il inclut des professionnels plus nombreux et mieux formés, les pouvoirs publics ou des initiatives privées et des individus dont le rapport au corps et à la santé se modifié considérablement. Au-delà d'indéniables progrès, les combats hygiènistes trouvent aussi leurs limites : problèmes de l'eau, pollutions urbaines ou maladies professionnelles.
Destiné aux étudiants en histoire ou à tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de la médecine et des soins, le présent ouvrage combine le récit chronologique avec de nombreuses approches thématiques. Il intègre également la dimension internationale de la circulation des hommes et des pratiques, car elle réside au coeur de la genèse des systèmes de santé modernes.
Lire aussi :
- Une société à soigner : hygiène et salubrité publique en France au XIXe siècle / Gérard Jorland, 2010
- Santé publique et hygiène : de la préhistoire à nos jours / Jean-Claude Turpin, 2025
- Histoire des pratiques de santé : Le sain et le malsain depuis le Moyen Age / Georges Vigarello, 2015
- Les nouvelles pratiques de santé du XVIIIe siècle à nos jours : acteurs, objets, logiques sociales (XVIIIe-XXe siècles) / sous la dir. de Patrice Bourdelais et Olivier Faure, 2005
- Les batailles de l'hygiène : villes et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses / Stéphane Frioux, 2013
Quant à votre dernière interrogation, nous ne l'avons pas vraiment comprise. Souhaitez-vous savoir si nous lançons régulièrement des enquêtes de satisfaction auprès de notre public ? La réponse est positive. Notre dernière enquête remonte à 2023. La prochaine pourrait être lancée l'année prochaine...
Bonne journée.
Mes cartes mentales pour comprendre l’histoire de France