Peut-on échapper aux jugements négatifs et critiques des autres ?
Question d'origine :
Peut-on echapper aux jugements negatifs des autres, aux critiques, a l'humiliation? Est-ce-que tout le monde connait un jour ou l'autre 'une traversee du desert'? Il semble que meme des personnes tres bien recoivent aussi beaucoup de critiques et de jugements negatifs...peut-etre que meme quand ce n'est pas justifie il y a toujours des jugements negatifs et des critiques...
Réponse du Guichet
Il est effectivement difficile d'échapper au jugement et au regard des autres. Mais certaines personnes ont tendance à accorder plus d’importance aux remarques négatives qu’aux positives. Cela porte un nom : "le biais de négativité". Nous vous renvoyons vers quelques ouvrages pour en savoir plus.
Bonjour,
Nous avons déjà apporté quelques réponses à cette interrogation : Est-ce que les personnes publiques et les gens en général reçoivent des messages haineux ?
Nous indiquions alors que "les actions de tout un chacun ont toujours été commentées, analysées et critiquées par tout le monde, que ce soit en famille, entre amis, au café du coin ou entre collègues de travail."
Il est quasiment impossible d’échapper aux jugements négatifs et aux critiques, non pas parce que nous faisons forcément quelque chose de mal, mais parce que le regard des autres est inévitable, humain et largement hors de notre contrôle. Il fait partie intégrante des relations sociales humaines.
Le jugement critique des autres est inéluctable et propre à toute relation sociale. L'article Juger et estimer la valeur d'autrui : des biais de jugement aux compétences sociales pose plusieurs questions :
Juger quelqu'un est un acte éminemment social à plus d'un titre. Non seulement la cible et la source du jugement sont engagées dans une relation interpersonnelle (et dans les processus cognitifs, affectifs et comportementaux qu'elle implique), mais elles sont également positionnées dans des rôles sociaux qui prescrivent leurs conduites respectives et le rapport social d'évaluation est lui-même inscrit dans un contexte social, organisationnel, et culturel dont les normes et les valeurs dirigent le processus d'évaluation.
On peut décliner la problématique générale du jugement social sous la forme de trois questions essentielles : juger quoi ? Pourquoi ? Comment ? En ce qui concerne l'objet du jugement, estime-t-on la valeur des comportements que l'on observe ou celle de la personne qui les émet et comment passe-t-on de l'un à l'autre ? En ce qui concerne l'objectif du jugement, évalue-t-on autrui dans le but de sanctionner, de prédire ou de modifier ses comportements futurs (voir, par exemple, la distinction que propose C. Hadji (1989) entre l'évaluation sommative, diagnostique et formative) ? En ce qui concerne la méthode du jugement, quelles mesures utilise-t-on (tests standardisés, observations cliniques), quelles comparaisons effectue-t-on (interpersonnelles, intrapersonnelles, passé/présent, attente/résultat, idéal/réel...) et sur quelles dimensions de valeurs socialement partagées, bref, quelles informations utilise-t-on (pertinentes, non pertinentes) et comment les intègre-t-on sous la forme d'un jugement ?
Pour creuser le sujet :
- Chapitre 3. Connaître, juger et expliquer en contexte social. Psychologie sociale (p. 67-117) / Delhomme, P., Dru, V., Finkelstein, R., Mazé, C., Meyer, T., Ngbala, A. et Verlhiac, J.-F. (2005). Hachette Education.
- Psychologie du jugement moral : textes fondamentaux et concepts / Laurent Bègue, Laurent Bachler, Catherine Blatier, ...[et al.] (Dunod, 2013)
Cet ouvrage sur l'humiliation pourra également vous intéresser : De l'humiliation : le nouveau poison de notre société de Olivier Abel (Editions Les Liens qui libèrent, DL 2022).
L'humiliation est partout dans nos vies et elle est devenue le coeur sombre de nos sociétés. Elle offense et ridiculise, envenime la violence et l'injustice, et génère le ressentiment. Et pourtant, nous y sommes le plus souvent insensibles, et muets.
L'humiliation fait taire le sujet parlant, elle ruine la confiance, l'estime et le respect de soi. Elle dévaste durablement les circuits de la reconnaissance, de manière démesurée. Elle s'attaque d'abord à ceux qui ne sont pas considérés comme pleinement citoyens, aux minorités langagières, religieuses, raciales, sexuelles, sociales, etc. Mais on peut aussi être humilié par les objets, les formes de l'architecture, les formes de l'imaginaire marchand, les publicités, les formulaires administratifs...
Une part majeure de notre vie politique semble se décider sur ces sentiments sombres attisés par les réseaux sociaux, qui disent des réalités vécues. Il est urgent d'imaginer ce que serait une société où l'on aurait appris à déjouer au mieux l'humiliation, tant dans nos institutions communes que dans nos vies ordinaires. Pourquoi ne pas essayer de mettre en oeuvre une société moins humiliante ? C'est possible, c'est vital, faisons-le.
Voir aussi : Les épreuves de la vie : comprendre autrement les Français / Pierre Rosanvallon : un chapitre écrit par Gloria Origgi est consacré à L’épreuve de l’humiliation (pages 163 à 175).
Si le jugement est inévitable et pas toujours très agréable, son ressenti négatif peut être amplifié par des biais de négativité.
Le biais de négativité est une distorsion de la pensée qui peut nous plonger dans un mal-être profond. [...]
C’est une distorsion de la pensée : nous investissons émotionnellement plus les informations négatives que positives. Imaginez, par exemple, que vous venez de passer une excellente journée avec votre amie. Si à la fin de cette journée cette dernière vous fait une remarque désobligeante, il y a de fortes chances que vous ne reteniez que cette remarque et oubliez tout le reste de votre sortie.
Ce biais fait que, naturellement, nous avons tendance à plus nous souvenir des évènements négatifs que positifs.
Les bases neurobiologiques du biais de négativitéCe biais, nous y sommes hélas tous soumis, et cela, pour une raison anatomique !
Au milieu de notre cerveau, l’amygdale, la zone dédiée au traitement des émotions fortes (peur, colère, tristesse, agressivité ou encore souffrance) est anatomiquement très proche de la zone dédiée à la mémoire, l’hippocampe. Du fait de cette particularité, dès que l’amygdale est activée par une émotion forte, l’hippocampe va elle aussi s’activer pour enregistrer l’information qui y est liée. Ainsi, les souvenirs connotés négativement ont plus de chance d’être enregistrés que des souvenirs agréables.
source : Biais de négativité : méfiez-vous de cette pensée qui altère votre jugement et vous empêche d'être heureux / Marine Colombel, psychiatre - Psychologies - 13 juin 2024
Un biais de négativité trop prégnant peut avoir des conséquences sur notre santé mentale, particulièrement chez les personnes atteintes de troubles anxieux et dépressifs.
Voici ce qu'indique Grazia CESCHI dans un article de l'encyclopédie Universalis consacré au trouble d'anxiété sociale :
Selon certains modèles cognitifs de l’anxiété sociale, les personnes souffrant d’un TAS présentent un certain nombre de croyances dysfonctionnelles, explicites et implicites, qui mènent à une évaluation négative de soi et à une surévaluation du danger inhérent à la rencontre avec autrui. Ces croyances se retrouvent dans des pensées automatiques de type : « je suis ridicule », « si je fais une erreur, je vais être rejeté ». Ces pensées involontaires sont activées par des situations sociales réelles ou imaginées. Elles mènent à une centration de l’attention sur le soi, qui est inspecté comme un objet extérieur (« suis-je en train de rougir ? »), ainsi que sur les informations sociales potentiellement menaçantes (« mon interlocuteur est-il en colère ? »). Cette focalisation nuit à une concentration portant sur les informations sociales positives et sur l’exécution de la tâche (par ex., répondre à la question posée). Les personnes souffrant de TAS tendent à interpréter négativement tout événement interpersonnel ambigu, tout comme toute expression faciale neutre. Ce type de distorsion cognitive a été confirmé par de nombreuses études en laboratoire. Paradoxalement, ces biais cognitifs négatifs et les croyances pessimistes qui les étayent contribueront à dégrader davantage la qualité de la relation sociale préalablement redoutée. Il a en effet été montré que plus les gens souffrent d’anxiété sociale, plus ils sont jugés socialement incompétents par les autres. Il est toutefois important de rappeler que les distorsions cognitives présentées par ces personnes peuvent être atténuées efficacement par des interventions psychologiques cognitivo-comportementales classiques, de même que par des entraînements informatisés visant à modifier les biais cognitifs d’interprétation et d’attention sélective.
La peur exagérée d'être observé par les autres porte un nom : c'est la scopophobie. Les personnes atteintes de scopophobie peuvent être prises en charge notamment lors d'une thérapie cognitive et comportementale (TCC). L'EMDR (thérapie par les mouvements oculaires) peut également être proposée dans certains cas.
Si vous vous sentez concerné.e par l'un ou l'autre de ces troubles, nous vous conseillons de vous rapprocher d'un professionnel de santé pour en savoir plus.
Quelques documents sur le sujet :
Prisonnier du regard des autres / Cicerone, P.-E. (2018). Cerveau & Psycho, 102(8), 46-52
Je n'ai plus peur du jugement des autres : cahier d'exercices d'assertivité / Chantal Joffrin Le Clerc, Franck Lamagnère
La nouvelle peur des autres : trac, timidité et phobie sociale / Christophe André, Patrick Légeron, Antoine Pelissolo
La peur de l'autre : surmonter l'anxiété sociale / Laurie Hawkes ; avec la collaboration d'Anaïs Petit
Comprendre et traiter l'anxiété sociale : nouvelles approches en TCC / Vincent Trybou
et quelques ouvrages sur les biais cognitifs.
Bonne journée
Zones