Pourquoi certaines personnes veulent-elles vivre une vie exemplaire ?
Question d'origine :
Pourquoi certaines personnes veulent-elles vivre une vie exemplaire et être des modèles, des bons exemples pour les autres? Il y a par exemple des leaders qui croient a l'exemplarite
Réponse du Guichet
Certaines personnes cherchent à être des "modèles" pour obtenir de la reconnaissance, une forme d'utilité sociale et un sentiment d’appartenance. Ce qui donne le plus souvent sens à leur existence et soutient leur estime de soi. Ce besoin de reconnaissance serait même vital pour les hommes et les femmes bien que nous soyons très nombreux à ne pas le ressentir d'après l'étude Solitudes 2024 menée par la Fondation de France.
Bonjour,
Les motivations psychologiques qui conduisent certains individus à se comporter en "modèles" peuvent être nombreuses. Derrière ce désir d'exemplarité se cachent souvent des besoins assez primaires chez les êtres humains : une quête de reconnaissance, mais aussi l'envie d'être utile à sa communauté ou à la société en influençant positivement (selon ses propres critères) les actions des individus qui la composent. C'est aussi une manière de donner du sens à sa vie et d'affirmer son identité.
Au sujet de la reconnaissance sociale, nous pouvons vous recommander la lecture de ce petit article d'Heikki Ikäheimo. Il prolonge les réflexions de chercheurs de renom comme Charles Taylor ou Axel Honneth. Derrière la quête de reconnaissance, Ikäheimo y voit un besoin vital pour l'Homme qui recherche une forme d'utilité et de validation de ses actions par ses pairs et qui sont, en retour, autant de moyens de développer de l'estime et de la considération pour sa propre personne :
En premier lieu, comme Honneth le souligne, il est certain qu’être un objet de reconnaissance est psychologiquement important. Il est difficile, par exemple, de se respecter soi-même en tant qu’autorité si l’on ne reçoit pas, pour cette attitude pratique positive envers soi, le soutien des attitudes correspondantes de respect de la part des autres. Et ne pas se considérer ou se respecter soi-même comme possédant, ou méritant, une position de (co-)autorité sur les normes sociales constitutives de son milieu de vie est, sans aucun doute, potentiellement très préjudiciable au développement et au maintien de ses propres capacités psychologiques de co-autorité.
A l'inverse, l'absence de reconnaissance peut être un problème majeur chez un individu :
Cependant, et en second lieu, ne pas être reconnu par les autres, et par conséquent être privé à leurs yeux du rang ou du statut de personne, constitue habituellement pour l’individu concerné un préjudice – limité dans le meilleur des cas et au pire catastrophique – totalement indépendant de ses possibles effets psychologiques. Ne pas être respecté par autrui en tant que co-autorité des normes ou des termes des pratiques auxquelles on participe ou qui nous affectent, ne pas être considéré comme quelqu’un dont la vie et le bonheur ont une importance intrinsèque, et comme un contributeur libre et altruiste dont les actions appellent de la gratitude, ce sont là, à des degrés divers, des choses que personne – dans aucune culture – ne souhaite rationnellement ni pour lui-même ni pour quiconque dont il se soucie.
Source : « Un besoin humain vital. La reconnaissance comme accès au statut de personne » dans Reconnaissance, identité et intégration sociale, édité par Christian Lazzeri et Soraya Nour, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2009, Ikäheimo, Heikki.
Dans une perspective assez similaire, le rapport Solitudes 2024 de la Fondation de France établissait un lien entre solitude, détresse psychologique et sentiment d'inutilité, à savoir d'absence de reconnaissance sociale : La reconnaissance, dimension essentielle de la cohésion sociale. Ce rapport rapporte des chiffres éloquents : Ainsi, 33% de la population déclare se sentir souvent ou de temps en temps abandonnée, exclue ou inutile, ressenti qui est fortement corrélé au niveau de revenu (46% pour les personnes à bas revenus), mais pas seulement.
Les rédacteurs n'oublient pas d'indiquer que ces ressentis sont aussi subjectifs qu’interactifs et que nous avons tous notre part à jouer dans la manière dont certaines personnes ou groupes sociaux peuvent se sentir et se considérer.
Ainsi, chercher à être un "modèle" peut procurer le sentiment de compter pour quelqu’un, de ne pas être invisible socialement. D'une certaine manière agir seul "en exemple" est paradoxalement une façon de se connecter aux autres. La responsabilité qui incombe à un "modèle", ou disons une figure d'autorité, nourrit chez elle un sentiment de réciprocité. Par ses actions et sa parole elle influence les autres et se sent donc appartenir à un collectif :
Le besoin de reconnaissance comme l’un des fondamentaux des relations sociales de qualité avait été souligné dans le rapport du CESE de 2017 « Combattre l’Isolement pour plus de Cohésion Sociale ».
Selon ce rapport, une relation de qualité se caractérise par trois éléments essentiels : la reconnaissance sociale, qui permet à l’individu de se sentir valorisé et visible (« je compte pour quelqu’un ») ; la protection, qui assure un sentiment de sécurité et de fiabilité (« je compte sur quelqu’un ») ; et la réciprocité, qui implique un engagement mutuel et un sens de responsabilité collective (« quelqu’un compte sur moi »). Ces trois dimensions combinées sont les conditions qui permettent à une personne de participer à la vie collective, tout en affirmant sa singularité et en étant en relation avec autrui. A contrario, la pauvreté relationnelle, et notamment le manque de reconnaissance, engendre le sentiment de ne pas compter ni peser dans le cours des choses, entraînant un risque de retrait, voire de décrochage, de la vie sociale.
Source : La reconnaissance, dimension essentielle de la cohésion sociale, qui fait le bilan du rapport Solitudes 2024.
Les études en psychologie sociale montrent également en quoi la quête de sens peut expliquer pourquoi certains individus se comportent d'une telle façon plutôt qu'une autre. Dans un monde qui n'est plus autant régi par les discours religieux que par le passé, les individus se fixent eux-mêmes des objectifs selon un système de valeurs qui leur est propre. Mia Leijssen dans un article intitulé Les dimensions personnelles de la recherche de sens. Approche Centrée sur la Personne (2010) explique bien ce réagencement. Ce paragraphe en particulier résonne bien avec vos interrogations récentes :
Le composant motivationnel est ce à quoi les gens accordent de la valeur. Il englobe des valeurs qui sous-tendent les objectifs poursuivis et la manière dont l’on s’efforce de les atteindre. Les valeurs dépendent des besoins individuels, mais sont également déterminées par le système de croyance (élément cognitif) et par la société dans laquelle une personne a grandi. La poursuite et l’atteinte d’objectifs fixés donnent un sens à la vie d’une personne et influencent dans une large mesure l’obtention de sens. Le fait d’avoir un objectif valable aide une personne à persévérer, même dans des circonstances difficiles. Même des activités banales ou des corvées ennuyeuses peuvent acquérir un sens en présence d’un objectif proche ou éloigné. Les objectifs à atteindre donnent non seulement un sens aux faits et gestes personnels, ils font également office de principe organisateur dans une vie qui, sans eux, serait chaotique. Le facteur motivationnel est la force motrice qui sous-tend les actions d’une personne. Il ne se limite pas aux souhaits ou aux attentes ; il suppose un investissement en temps et en énergie. « Porteur de sens » est donc souvent synonyme de « ce qu’il vaut la peine de faire ». Les gens confèrent un sens à leur comportement sur la base de motifs instrumentaux, intrinsèques et transcendant l’individu.
Source : Les dimensions personnelles de la recherche de sens par Mia Leijsssen (lisible sur Cairn).
Vous trouverez un prolongement philosophique à cette réflexion chez Albert Camus pour lequel l'absence de sens, qui saute aux yeux lorsque l'on réfléchit à la mort et à notre condition de mortel, peut en réalité s'avérer être une chance. L'absurde de l'existence permet à l'Homme de choisir le sens qu'il souhaite donner à sa vie. Voir à ce sujet le podcast, Camus, vivre malgré tout, sur France Culture.
Vous trouverez aussi d'autres informations utiles dans ce cours sur la motivation sociale.
Attention néanmoins, une recherche obsessive d'exemplarité et un désir trop fort d'influencer autrui peut révéler des sentiments ambivalents. Si l'altruisme peut parfois s'exprimer sans modération, il n'est pas rare qu'une personne cherche à profiter de cette ascendance sur les autres. Car être perçu comme un exemple peut vite donner du pouvoir. Susciter l'admiration est à double tranchant et tout dépend des motivations de la personne concernée. On peut chercher à servir les autres en défendant des valeurs qui nous sont chères ou bien simplement nourrir son égo et favoriser sa position sociale.
Être une figure reconnue peut également impliquer des risques comme nous l'évoquions dans cette précédente réponse : Pourquoi y a-t-il des gens qui ne veulent pas être des modèles pour les autres ?
N'oubliez pas enfin de relire ces réponses qui vous ont été proposées par le passé :
Avons nous des conceptions différentes de "l'exemplarité" et de la "perfection" ?
Certaines personnes essaient-elles d'être de bons exemples pour les autres ?
Y a t-il des gens qui essaient d'être de bons modèles, notamment pour les enfants ?
Pourquoi choisissons-nous des modèles auxquels ressembler ?
Bonne journée.
Estime de soi et fin du monde