Si Jordan Bardella est élu président en 2027, pourrait-il gracier Marine Le Pen ?
Question d'origine :
Bonjour,
Si Jordan Bardella est élu président en 2027, ce que prédise les sondages actuelles, peut-il utiliser la grâce présidentielle pour Marine Le Pen et les membre du RN condamnés, pour Nicolas Sarkozy, pour Rachida Dati si elle condamnée.
Le conseil constitutionnel peut-il s'opposer à la grâce présidentielle ? Les magistrats chargés de rédiger cette grâce peuvent-ils freiner ou s'opposer à cette grâce présidentielle ?
En vous remerciant.
Bien cordialement.
Réponse du Guichet
La grâce présidentielle est individuelle. Pour faire une demande de grâce, il faut que la peine soit définitive et exécutoire c’est-à-dire que tous les recours soient épuisés. ll n'y a pas de contrôle extérieur sur les grâces présidentielles qui sont signées par le Président de la République et contresignées par le Premier ministre, le ministre de la Justice et par le ou les ministres qui ont étudié le dossier. Au nom du principe d'indépendance de la justice, ce recours est délicat et complexe à justifier devant l'opinion publique. Cependant, n'étant pas magistrat, les informations que nous avons collectées pour vous peuvent être erronées ou incomplètes. Nous vous conseillons de vous adresser à un·e juriste spécialisé.e en droit public.
Bonjour,
C'est pour détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants parlementaires européens du FN que Marine Le Pen a été condamnée par le Tribunal correctionnel de Paris le 31 mars 2025. Cette condamnation regroupe une peine de 4 ans d’emprisonnement et une amende de 100.000 euros ainsi qu’une peine d’inéligibilité de 5 ans avec exécution provisoire et, donc, application immédiate malgré l’effet suspensif de l’appel. Une grâce présidentielle pourrait-elle venir au secours de Marine Le Pen ? Cette question posée par Anne Ponseille dans son article Procès Le Pen : une grâce présidentielle est-elle possible ?, Le Club des juristes, 4 avril 2025, renvoie à celle des conditions de recevabilité de la demande de grâce.
Mais d'abord, Qu'est-ce qu'une grâce présidentielle ? selon Service public :
La grâce présidentielle est une décision prise par le Président de la République. Elle permet de dispenser une personne condamnée d’exécuter la peine prononcée contre elle. Le Président de la République peut accorder la grâce pour tout ou partie de la peine. Il n'est pas obligé de justifier sa décision d'accorder ou de refuser la grâce à une personne condamnée. Nous vous présentons les informations à connaître.
Tout condamné a la possibilité de demander une grâce présidentielle, quel que soit son âge, ses antécédents judiciaires ou le stade de l’exécution de sa peine (sauf si elle a été entièrement exécutée).
La grâce est possible quelle que soit la sanction pénale prononcée (peine privative de liberté, peine restrictive de liberté, amendes, etc.).
À savoir
Elle peut même être sollicitée par une personne condamnée à une peine de prison assortie d’une période de sûreté.
Cependant, la grâce présidentielle est accordée sous certaines conditions strictes (par exemple, le condamné doit prouver qu’il a fait un effort très important pour indemniser la victime).
Sur le même sujet, lire aussi Qu’est-ce que la grâce présidentielle ?, Le Monde*, 29 décembre 2016 modifié le 28 mai 2018, qui nous dit qui peut en bénéficier :
Toute personne condamnée pénalement peut faire l’objet d’une grâce présidentielle. Sont par exemple concernés les peines de prison, les amendes ou les travaux d’intérêt général, mais pas le retrait de points de permis de conduire, qui est une sanction administrative. La seule condition est que la peine soit définitive et exécutoire. C’est-à-dire que tous les recours (appel ou pourvoi en cassation par exemple) doivent être épuisés.
Dans deux de leurs articles, Libération et Émile informent que la grâce présidentielle ne peut intervenir que lorsque la condamnation est définitive. Le magazine Émile mentionne également l'effet d’intrusion dans la justice qui pourrait être mal interprété et qu'il n’y a aucun contrôle extérieur sur les grâces, si ce n’est qu’elles être contresignées par le Premier ministre :
Quant à l’idée d’une grâce présidentielle que déciderait Emmanuel Macron, rappelons qu’elle ne peut être accordée que lorsque tous les recours ont été épuisés et que la décision de justice est donc définitive. Ce qui pourrait prendre un temps considérable. Ce pouvoir permet au président de la République de dispenser une personne condamnée de l’exécution de sa peine, sans toutefois effacer la condamnation de son casier judiciaire.
source : Condamnation de Marine Le Pen : appel, grâce présidentielle… Quel horizon judiciaire pour la cheffe du RN ?, Libération*, 31 mars 2025
La Constitution permettrait-elle une grâce présidentielle ?
C’est l’article 17 de la Constitution qui définit la grâce présidentielle. Elle peut porter sur toutes les sanctions pénales individuelles et non collectives, à condition qu’il s’agisse de condamnations définitives. En réalité, ce droit de grâce est aujourd’hui devenu très marginal. Il a un effet d’intrusion dans la justice qui pourrait être mal interprété. En effet, il n’y a aucun contrôle extérieur sur les grâces, si ce n’est qu’elles être contresignées par le Premier ministre. Elles sont à la discrétion du président de la République. En parallèle, les articles 5 et 64 placent le même président de la République dans un rôle de garant de l’indépendance de la justice et du bon fonctionnement des pouvoirs publics.
source : Marine Le Pen condamnée : une grâce présidentielle est-elle envisageable ?, Émile, magazine des anciens de Sciences Po Paris
Service Public, Qu'est-ce qu'une grâce présidentielle ?, précise que
Si la décision est favorable, un décret de grâce est adopté. Il est signé par le Président de la République et contresigné par le Premier ministre, le ministre de la Justice et par le (ou les) ministres qui ont étudié le dossier.
Dans Benjamin Morel « La stratégie de déni du RN est maladroite » du 3 avril 2025, Le Point* souligne aussi qu'un état de droit repose sur la confiance que les citoyens accordent à leurs institutions judiciaires et politiques. Dans ce contexte une grâce présidentielle pourrait également intervenir, même si politiquement cela reste délicat et complexe à justifier devant l'opinion publique :
Le Point : La condamnation de Marine Le Pen à cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire pourrait-elle affaiblir l'État de droit ?
Benjamin Morel : Or nous constatons depuis plusieurs années une défiance grandissante envers la justice, perçue désormais par une partie significative des électeurs - notamment ceux du Rassemblement national, de La France insoumise et même une partie des Républicains - comme un outil politique visant à éliminer ou à discréditer leurs candidats. Cette perception nourrit un phénomène de " trumpisation ", où la remise en question des institutions judiciaires par les politiques crée une crise démocratique. C'est là le véritable danger : une perte de légitimité durable des institutions républicaines.
[...]
Est-il aujourd'hui totalement exclu que Marine Le Pen soit candidate à l'élection présidentielle de 2027 ?
Non, ce n'est pas totalement exclu. Plusieurs stratégies d'appel restent possibles. Tout d'abord, un appel pourrait ne pas conduire à prononcer d'inéligibilité à titre provisoire. Ensuite, dans ce cadre, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pourrait remettre en question la légitimité de cette peine en modifiant son application. Une autre possibilité serait une modification législative assouplissant les règles actuelles, nécessitant une majorité parlementaire. Enfin, une grâce présidentielle pourrait également intervenir, même si politiquement cela reste délicat et complexe à justifier devant l'opinion publique.
L'article Procès Le Pen : une grâce présidentielle est-elle possible ?, Le Club des juristes, 4 avril 2025 donne d'autres précisions et réitère le principe d'indépendance de la justice également abordé dans Le droit de grâce, Dalloz, 21 avril 2016 :
Une grâce présidentielle pourrait-elle bénéficier à Marine Le Pen concernant la peine d’inéligibilité qui a été prononcée avec exécution provisoire à son encontre ?
À s’en tenir à la lettre de l’article 133-7 du Code pénal qui dispose, comme précédemment indiqué, que l’effet de la grâce est de dispenser de l’exécution d’une peine, l’on pourrait légitimement penser qu’une demande de grâce est recevable dès lors que la peine est exécutoire ou en cours d’exécution, que cette peine émane d’une condamnation définitive ou pas. Ainsi, Marine Le Pen pourrait bénéficier d’une remise gracieuse dans la mesure où elle exécute bien actuellement la peine d’inéligibilité.
Cependant, il convient sans doute de ne pas perdre de vue que, par sa nature et son régime, en ce qu’elle porte une atteinte manifeste à la séparation des pouvoirs en remettant en cause l’autorité de la chose jugée, la grâce ne peut être conçue comme un moyen ordinaire de remise en cause d’une décision de condamnation. Elle n’est qu’un « ultime recours » pouvant être mobilisé lorsque les voies de recours classiques que sont l’opposition, l’appel et le pourvoi en cassation ont été utilisées ou les délais de ces recours expirés. Si la loi ne formule pas explicitement une telle exigence, la Cour de cassation avait posé comme condition au bénéfice de grâces collectives le caractère définitif de la décision de condamnation (Cass. crim., 20 octobre 1992, n° 92-83.285, publié au Bulletin criminel n° 328). Quant à la doctrine, elle rappelle cette condition de recevabilité de la demande de grâce (C. Étienne, J.-B. Perrier, Fascicule 20 : Grâce, JurisClasseur Pénal Code – Art. 133-7 et 133-8, 2016, § 16 ; É. Bonis, V. Peltier, précité, LexisNexis, 2023, n°1025); M. Giacopelli, A. Ponseille, Droit de la peine, LGDJ, 2023, n° 357). Toute autre solution reviendrait à faire de la demande de grâce le moyen de pallier l’absence de recours spécifique pour mettre en échec l’exécution provisoire.
La réponse à la question posée nous semble donc devoir être négative. S’il paraît peu souhaitable d’élargir le champ d’application de la grâce pour les raisons précédemment évoquées, une réflexion pourrait néanmoins être menée sur une éventuelle réforme du régime de l’exécution provisoire par la création d’un recours spécifique, étant rappelé qu’elle est quotidiennement décidée à l’égard de nombreux justiciables.
Cependant, si par extraordinaire une interprétation libérale des conditions de recevabilité de la demande de grâce devait être retenue, il serait assez stupéfiant que celle qui a qualifié la décision judiciaire la condamnant d’éminemment « politique » sollicite une grâce du Président de la République et que celui-ci, dans l’hypothèse où il serait saisi d’une telle demande, la lui accorde alors qu’il a rappelé, et fort heureusement car il en est le garant en application de l’article 64 de la Constitution, que la justice était « indépendante ».
source : Procès Le Pen : une grâce présidentielle est-elle possible ?, Le Club des juristes, 4 avril 2025
Qui plus est, l’indépendance de la justice est maintenant une réalité ; comment justifier que le Président, garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire (Const. 58, art. 64) puisse ainsi venir interférer dans l’exécution des décisions prises par les juges ? Et la chose est encore plus étonnante lorsque la décision juridictionnelle a été rendue par un jury d’assises, composé essentiellement de citoyens ; ici la souveraineté du peuple, proclamée par la Constitution (art. 3), que les jurés sont censés représentés, est directement remise en cause par la « souveraineté » présidentielle. Ainsi l’archaïsme du mécanisme ne peut que choquer. On retrouve pourtant ce droit dans de nombreux régimes politiques où il est en général l’apanage des chefs d’États. On voit bien ici encore, le poids de l’histoire et de la tradition.
source : Le droit de grâce, Dalloz, 21 avril 2016
Enfin, à propos des grâces collectives, elles ne sont plus possible selon Le droit de grâce, Dalloz, 21 avril 2016 :
Quelles sont ses limites depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 ?
Jusqu’à la révision de juillet 2008, la possibilité d’accorder des grâces collectives était ouverte. À l’occasion, par exemple, de la fête nationale ou des fêtes de fin d’année, le Président de la République permettait ainsi à de nombreux détenus, généralement libérables dans les semaines ou les mois à venir, de retrouver la liberté. Même si les personnes qui pouvaient bénéficier de cette clémence étaient de moins en moins nombreuses, par une définition de plus en plus stricte des délits ou des crimes exclus de cette clémence, cette utilisation de la grâce, dont le but essentiel était de réguler l’importance de la population carcérale (on a parlé de « gestion hôtelière »), était critiquée. Elle n’est désormais plus possible. En revanche, il est toujours possible d’accorder le même jour plusieurs grâces individuelles comme ce fut le cas en décembre 2008 pour une quarantaine de détenus « méritants ».
Comme vous le constatez, que ce soit pour Jordan Bardella s'il devient président en 2027 ou pour un autre personnage politique, la grâce présidentielle n'est pas si simple à octroyer. Cependant, n'étant pas magistrat, les informations que nous avons collectées pour vous peuvent être erronées ou incomplètes. Nous vous conseillons de vous adresser à un·e juriste spécialisé en droit public.
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Bonne journée
Un pouvoir malhonnête