Nihilisme

Réponse du service Guichet du Savoir


Mais de quel "nihilisme" s'agit-il ?

Le terme de « nihilisme » a été utilisé pour caractériser des courants et des positions philosophiques très différents : athéisme, égoïsme, solipsisme, scepticisme, matérialisme, pessimisme. Il a pu être revendiqué avec toute la positivité d'un mouvement porteur de nouvelles valeurs ; il a pu aussi bien servir à dénoncer les signes culturels d'une civilisation malade. Le terme a été utilisé dans des aires culturelles et des disciplines suffisamment étrangères les unes aux autres pour que de nombreux auteurs aient pu prétendre en être l'inventeur. Ainsi Tourgueniev croit forger le mot dans son roman Pères et fils (1861), alors qu'en fait il avait déjà été utilisé par saint Augustin et, plus récemment, dans la théologie allemande du XVIIIe siècle. Quand à l'étymologie, elle n'est que de peu de secours : savoir que « nihilisme » est formé à partir de la racine latine nïhil, qui signifie « rien », ne dit pratiquement rien sur ce qu'est le nihilisme. S'y reconnaître implique de replacer le mot dans les différents contextes de son utilisation.

Allemagne, fin XVIIIe-début XIXe siècle. Nihilisme est un mot qu'utilise le philosophe Jacobi dans la Lettre (1799) écrite à son ami Fichte pour caractériser sa philosophie. [...]
Hegel, reprenant les termes du débat, écrira dans un de ses écrits de jeunesse, Foi et savoir (1802), que « le premier objet de la philosophie est de connaître le néant absolu », à quoi la philosophie de Fichte aboutit aussi peu qu'est grande l'horreur qu'elle inspire de ce fait à la philosophie de Jacobi.
Chez les premiers romantiques allemands, en particulier Novalis et Friedrich Schlegel (qui utilise le mot dès 1787), s'accomplit une sorte de « poétisation des principes de Fichte ». L'idée de l'activité infinie du moi absolu se transforme en une volonté illimitée de création du moi individuel. On utilise le terme de nihilisme pour dénoncer l'arbitraire et l'artificialité de la poésie romantique. Jean-Paul, par exemple, attaquera dans son Clavis Fichteana (1800) ces« nihilistes poétiques » qui, « égoïstement, réduisent tout à néant pour se perdre enfin dans un vide sans force et sans forme ». Ce faisant le nihilisme devient une catégorie de l'esthétique.

Au cours du XIXe Siècle, le terme de nihilisme va être utilisé comme critique des implications sociales et politiques de l'athéisme. C'est ainsi que, dans la première moitié du XIXe siècle, le philosophe von Baader dénonce le « nihilisme scientiste », qui ne peut conduire qu'à une « haine fondamentale et à un mépris de toutes les institutions sociales existantes ». [...]

Russie. Le terme est utilisé, à partir des années 1830, par le mouvement de critique littéraire libéral (Bielinsky, Dobrolioubov) pour combattre les valeurs qui supportaient l'esthétique d'un Pouchkine. Cette critique annonce le mouvement d'émancipation intellectuel des années 1850 qui caractérise le véritable nihilisme russe : il s'agit de se délivrer du romantisme, de l'esthétisme, de mobiliser la vision scientifique du monde pour se transformer soi-même et le monde social dans le sens de son émancipation. Tourgueniev, dans Pères et fils (1861), fera avec Bazarov le portrait du nihiliste : « Un homme qui ne s'incline devant aucune autorité, qui ne fait d'aucun principe un article de foi, quel que soit le respect dont ce principe est auréolé. » C'est là plus une caricature qu'une description : le nihiliste russe n'est pas exactement un incroyant sans principe. [...]

France. Le mot « nihilisme » semble avoir été utilisé pour la première fois en France au moment de la Révolution pour désigner le parti de ceux qui n'étaient « ni pour ni contre ». Ainsi Anacharsis Cloots pouvait-il écrire que « la République des droits de l'homme, à proprement parler, n'est ni théiste ni athée, elle est nihiliste »
[...]

A la fin des années 1880. Nietzsche reprend le terme de nihilisme et fait la synthèse de l'ensemble des emplois que le terme a pu connaître au XIXe siècle. [...] Avec Nietzsche, le nihilisme ne désigne plus un courant philosophique, un mouvement littéraire, une attitude politique déterminés : il caractérise la civilisation occidentale elle-même ou un moment de son histoire, celui de la mort de Dieu et de la dévalorisation des valeurs. Le nihilisme est un phénomène dont l'intelligence suppose une reprise de l'histoire entière de la culture occidentale. Nietzsche fait du nihilisme une catégorie ontologique.
[...]
Source (et suite) : Le nihilisme, la tentation du néant : de Diogène à Michel Houellebecq (n° HS du Magazine littéraire)


Etant donné les diverses fortunes du mot, la question que vous posez peut difficilement être résolue.
Pour information, sachez qu'existe un ouvrage intitulé : Le nihilisme chrétien


Autre question posée au GDS : Nihilisme