Question d'origine :
Bonjour,
je souhaite savoir pourquoi le disposition architecturale très ingénieuse des berceaux transversaux, que l'on trouve à St Philibert de Tournus et qui permet de maîtriser les poussées, n'a pas été reprise dans d'autres édifices par la suite ?
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 21/09/2009 à 15h24
Nous trouvons une définition du berceau transversal, accompagnée d’une photo, dans l’ouvrage Architecture : méthode et vocabulaire / Jean-Marie Pérouse de Montclos :
«
Dans le livre Tournus : abbaye Saint-Philibert / Denis Grivot, on apprend que la construction de cette église s’est poursuivie sur deux siècles, entre le milieu du Xe siècle et le milieu du XIIe siècle. Puis :
« C’est probablement sous la juridiction de l’abbé Pierre (1066-1108) que furent réalisées les voutes de la nef ; ces voutes extraordinaires s’appuient d’un côté sur le mur de la chapelle Saint-Michel et de l’autre sur le transept ; ces voûtes uniques en leur genre, transversales, ne furent imitées qu’à l’église de Mont-Saint-Vincent non loin de Tournus ; elles ne firent pas école ; elles s’expliquent à Tournus du fait de la configuration de l’église dont les deux extrémités, le narthex d’un côté, le transept et le chœur de l’autre étaient solidement implantés…L’influence de l’Italie du Nord est indéniable ; elles s’explique par le fait que Wago, l’abbé de Tournus était un grand ami du célèbre Guillaume de Volpiano, abbé de Saint-Bénigne de Dijon, italien d’origine, qui avait fait venir ses maçons d’Italie ; la partie inférieure de la façade correspond au narthex, la partie supérieure à la chapelle Saint-Michel… Les voûtes de l’église de Tournus sont particulières ; on ne les retrouve qu’à Mont-Saint-Vincent, à 55 kilomètres ; le système est ingénieux : le risque d’écartement n’existe pas, le narthex d’un côté, le transept de l’autre, sont d’une telle solidité, qu’aucun risque de dilatation n’existe. Nous avons vu que cette voûte fut probablement édifiée sous l’abbatiat de Pierre 1er, cet abbé qui semble avoir été un homme absolument remarquable. C’est peut-être de Tarras, près de Barcelone, sur la route de Saint-Jacques, qu’il ramena ce modèle de voûte ; il négocia, en effet, le mariage de Constance de Bourgogne avec Alphonse VI, roi de Castille et de Léon.
Les rapports restèrent constants entre Tournus et l’Espagne : des soldats bourguignons participèrent au siège de Tuleda en 1087 ; des moines de Tournus furent envoyés auprès d’Alphonse ; tout cela explique probablement les influences espagnoles dans l’église de Tournus, sans parler des voûtes transversales ; on peut également signaler les claveaux de couleurs différentes… Les fenêtres polylobées et les modillons à copeaux du clocher. »
Dans le livre L'art roman de Bourgogne / Charles Oursel, l’auteur nous donne l’explication la plus probable concernant le choix des berceaux transversaux pour la grande nef. Il s’agissait de trouver un système de voûtes en pierre permettant de conserver les fenêtres préexistantes, créées probablement lors de la reconstruction de l’abbé Bernier, après l’incendie en 1007 de l’église.
« Les voûtes actuelles de la grande nef, en berceaux transversaux, semblent à l’unanimité des archéologues une réfection ultérieure. M. Virey les croit contemporaines de l’abbé Pierre Ier (1066-1107)…
Pourquoi avoir adopté, au XIe siècle finissant, ce procédé peu courant des berceaux transversaux pour voûter la grande nef de l’église, celle de l’abbé Bernier ?....
Nous proposons au contraire, et à l’inverse, de voir dans les berceaux transversaux la conséquence de l’éclairement direct de la nef de l’abbé Bernier par les fenêtres préexistantes…
Il nous paraît donc certain que les fenêtres hautes de la nef sont contemporaines de la reconstruction de l’abbé Bernier, avant 1019. Celui-ci, par l’étage du narthex, avait pu constater les avantages de l’éclairement direct de la nef, et il ne trouva aucune difficulté à ouvrir des fenêtres dans les murs goutterots, puisque la nef ne fut pas voûtée par lui.
Lorsque, plus tard, on voulut couvrir la nef de pierre, on ne pouvait monter un berceau longitudinal qu’au-dessus des fenêtres, à une hauteur telle que l’équilibre de l’édifice aurait été détruit, même avec un berceau brisé ; la voute était en effet, au-dessus de la base des piliers des grandes arcades, beaucoup plus élevée qu’au Narthex, et les murs bien moins épais. Une voûte d’arêtes eût été bien lourde et dangereuse. Mais la solution, ingénieuse autant que logique, fut donnée par les berceaux transversaux, dont on avait expérimenté l’emploi limité par le modèle du narthex, au rez-de-chaussée. »
Le remarquable ouvrage Saint-Philibert de Tournus / photogr. de Georges de Miré, texte de J. Vallery-Radot, offre une étude très minutieuse et très complète, tant au niveau des photographies que du texte, de cette église. Le texte retrace la chronologie de Saint-Philibert dans toutes ses parties, dont l’évolution, dès l’aube du XIe siècle jusqu’au XIIe siècle inclus, permet de suivre les principales étapes de l’art roman. L’auteur note à propos de la nef :
« … Les supports sont ici encore des piles cylindriques. Les collatéraux sont couverts de voûtes d’arêtes, mais, et c’est là un des traits les plus originaux de Saint-Philibert, la nef centrale est voûtée d’une série de berceaux transversaux. En travers de la nef, sont jetés des arcs supportés par des demi-colonnes qui prennent appui sur l’imposte des piles. Ces arcs, au lieu de constituer des doubleaux pour une voûte en berceau du type courant et ayant même axe que la nef, supportent, par l’intermédiaire de petits murs, les retombées d’une suite de cinq berceaux en plein cintre dont les axes sont perpendiculaires à celui de la nef.
La poussée latérale qu’exerce chacune de ces voûtes est compensée par celle, dirigée en sens inverse de la suivante. Seuls, le premier et le dernier berceau ont besoin d’être contrebutés. Ils le sont, l’un par la masse du narthex, l’autre par le transept rendu plus stable par la pesante tour élevée au-dessus de la croisée. L’ensemble, ainsi parfaitement calé, ne transmet aux supports qu’une pesée verticale, sans leur demander aucun effort latéral, et les piliers cylindriques relativement grêles pour un édifice de cette époque ont pu ainsi sans danger conserver leur équilibre.
Le problème de l’éclairage se trouve résolu du même coup, puis que la partie haute des murs de la nef, n’ayant à supporter aucun effort, a pu être percée de larges fenêtres qui éclairent directement la nef centrale. Ce trait rattache Saint-Philibert à l’école de Bourgogne, dont l’éclairage direct de cette partie des édifices était une préoccupation essentielle.
Il faut sans doute admettre que cet ingénieux procédé de voûtement n’a été réalisé que tardivement puisque seul l’achèvement du narthex et du transept le rendait possible. Les fenêtres hautes du vaisseau central, d’abord charpenté, auraient été alors conservées par la construction des berceaux transversaux, qui n’aurait pas été la raison de leur percement. L’évolution qui se remarque dans l’appareil des arcs supportant ces voûtes s’explique alors. On y voit en effet les claveaux de moellons du type de ceux du narthex remplacés à mesure qu’on s’approche du transept par des claveaux de pierres d’appareil, taillées, du type de celles qui ont servi à édifier ce transept. »
L’auteur répond également à la question de la reprise à cette époque de ce type de voûte :
« … Le mode de voûtement par berceaux transversaux s’il a été connu des Perses et des architectes byzantins, n’a pas eu une grande diffusion en Occident. On ne le rencontre que dans les deux autres églises romanes de Mont-Saint-Vincent (Saône-et-Loire) et de Palogneux (Loire). Sans doute, par la façon dont il rompait la continuité du vaisseau central, ne permettait-il pas aux maîtres d’œuvre occidentaux de réaliser leur idéal d’édifice nettement orienté suivant un axe dominant. »
Dans la collection Découvertes Gallimard, à la fois pédagogique et attrayante, le titre L'art roman : un défi européen / Alain Erlande-Brandenbourg, signale également le cas singulier de Saint-Philibert, en replaçant la question dans le contexte de l’époque, et mentionne aussi d’autres alternatives de couvrement :
« Dès l’extrême fin du XIe siècle, les maîtres d’ouvrage exigent que les architectes relèvent une succession de défis, le premier étant d’étendre à l’ensemble de l’édifice de culte, et donc au vaisseau central, le couvrement de pierre, jusqu’alors réservé à l’abside et aux collatéraux.
…Pour aller au-delà, il faut faire appel à des techniques plus sophistiquées encore. Ainsi en 1120, à la Madeleine de Vézelay, pour atteindre 10 mètres avec une voûte en plein cintre, une élévation à deux niveaux sans tribune mais avec d’immenses baies, l’architecte tend en travers du vaisseau central des tirants en métal,… lance des arcs-doubleaux retombant sur des supports en forte saillie sur les murs et développe des contreforts extérieurs.
…C’est à la même époque qu’est inventée l’église « à file de coupoles » pour répondre aux exigences spatiales du commanditaire. Le vaisseau unique est couvert d’une série de coupoles portées chacune par quatre supports de maçonnerie en saillie sur les murs latéraux. Ces derniers, devenus cloisons non porteuses, peuvent être aisément percés de baies dans leur partie supérieure. Sans doute apparu pour la première fois à la cathédrale de Périgueux en 1110, ce principe de dissociation des différents éléments constitutifs sera porté dès la génération suivante à son plus haut niveau technique…Il y eut d’autres essais, mais sans lendemain, comme à Saint-Ours de Loches, avec la création de « dubes », sorte de couvrement de pierre en forme de pyramide dont la construction était particulièrement délicate.
…C’est également à la même époque qu’est inventé un nouveau système de couvrement qui connaîtra, à la génération suivante avec l’architecture gothique, une diffusion remarquable : la croisée d’ogives. Les voûtes sont soulagées par des arcs se croisant sur une clé. La présence d’un arc formeret le long des murs latéraux offre l’avantage de ne pas faire porter le poids des voûtes sur ceux-ci et de conserver l’éclairage direct, comme à Tournus. »
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