Question d'origine :
Bonjour,
je viens de lire l'ouvrage de Jean Wirth s'intitulant l'image romane, cependant j'aurais aimé savoir s'il avait eu des détracteurs car je ne trouve aucune critique de ce livre...
Merci d'avance
Réponse du Guichet

A priori il ne semble pas y avoir eu de détracteurs ni de polémiques connus portant sur l’ouvrage de Jean Wirth. Vous trouverez ci après deux critiques parus à l’époque de la sortie.
In le Figaro du 23 décembre 1999 : "...Jean Wirth, professeur à l'université de Genève […], dans L'Image à l'époque romane, poursuit et complète les travaux d'Emile Mâle.
Grand livre d'images, les églises et les cathédrales s'ornent de sculptures, de tapisseries, de tableaux, de reliquaires et monstrances qui répondent aux exigences de l'époque et des maîtres d'œuvre. C'est Grégoire Le Grand qui, le premier, a prôné l'utilisation des images pour voler au secours des illettrés. Saint Bonaventure dira qu'elles ' agissent contre l'ignorance des simples, contre l'inertie des émotions et contre la faiblesse de la mémoire '. Et les sculptures qui ornent les chapiteaux des cloîtres ? C'était pour offrir aux moines des exemples de la ' vie en communauté ' tirés de la ' vie des apôtres '.
Vers 1140, la sculpture gagne les façades des églises, s'empare des portails, grimpe à l'assaut des tympans, des trumeaux, des niches et des contreforts. Roland Recht se réfère à Chartres pour comparer la disposition des scènes sur une façade à la mise en pages des livres enluminés. ' Ces contenus, écrit-il, combinent des enseignements issus de l'Ecriture sainte avec des séquences se rapportant à des saints locaux. ' Ils servent aux fidèles d'intercesseurs familiers, trait d'union entre le monde terrestre et le monde céleste.
Par exemple, aux portails d'Amiens, le Jugement dernier qui occupe le tympan central se trouve encadré, à droite, par le couronnement de la Vierge et, à gauche, par la légende de saint Firmin, un obscur évêque d'Amiens. Saint-Denis, Bourges, Reims, Strasbourg, la Sainte-Chapelle prennent une autre dimension sous la plume de ce cicérone de l'art sacré.
Mais attention, l'abondance des œuvres d'art figurées avait quelque chose d'un peu suspect pour le clergé, ' c'est sans doute pourquoi Suger se met lui-même si fréquemment en scène pour montrer que toute cette dépense excessive s'inscrit dans le programme du Salut. Un artiste ne saurait porter la responsabilité d'une entreprise aussi démesurée sans s'exposer aux admonestations d'un Bernard de Clairvaux. L'art est condamnable s'il se prend lui-même pour sa propre fin '.
Enfin, l'auteur consacre un chapitre intéressant à l'existence d'un commerce d'œuvres non commanditées : au XVe siècle des marchands allemands sont signalés à Saint-Vaast et Amiens, d'autres profitent d'un voyage à Saint-Jacques de Compostelle pour conclure des affaires. Les grandes foires des Pays-Bas servent de plaque tournante à un commerce florissant et l'on comprend que les Médicis aient dépêché leurs fondés de pouvoirs".
In Le Monde du 10 mars 2000 de
"Ce gros et dense ouvrage fait suite à une synthèse fort remarquée déjà : L'Image médiévale. Naissance et développements (VIe-XVe siècle), parue dix ans plus tôt. Du plus général - le Moyen Age tout entier -, l'auteur, qui enseigne l'histoire de l'art à l'université de Genève, en vient cette fois au plus particulier : la seule " époque romane ". Le souci de ne pas se répéter le conduit parfois à des raccourcis allusifs. Mais le resserrement de la chronologie autorise aussi des analyses plus fouillées et bien venues de certaines œuvres particulières, comme le programme sculpté de l'abbatiale auvergnate de Mozat, ou le plafond peint de Zillis en Suisse (vers 1120).
La première partie du livre (" La sacralisation de l'image ") confirme ce qu'on commence à bien comprendre depuis quelques années : quel que soit l'intérêt des Libri carolini - un véritable " traité sur les images " écrit dans l'entourage immédiat de Charlemagne -, il ne faut pas en surestimer l'importance réelle. L'histoire ne progresse pas de manière linéaire et, après un " tournant " sous Charles le Chauve (milieu du IXe siècle) et les Ottoniens (autour de l'an mil), Wirth observe au XIe siècle une " Eclipse de l'iconographie ".
A preuve, le répertoire des chapiteaux sculptés qui délaisse les scènes narratives au profit de ce que les anthropologues spécialistes des masques ont nommé la " split représentation " : un monstre se dédouble à partir de sa tête, commune à deux corps identiques et symétriquement opposés se déployant de part et d'autre. Les sirènes-poissons féminines semblent exalter une licence sexuelle qu'expriment aussi les séduisants éphèbes des chapiteaux de Mozat : ceux-ci confirmeraient, loin du mépris grégorien de la chair, les faveurs, dans certains monastères non réformés, d'une culture gay révélée naguère par John Boswell (1). Pour Wirth, c'est dans la demi-palmette que l'art ornemental trouve le caractère élémentaire d'une sorte d'" alphabet " qui peut se déployer à l'infini sur la pierre, les ivoires ou le parchemin des manuscrits. Contre Shapiro pour qui les motifs non figuratifs peuvent avoir une signification symbolique, il semble, après Focillon et Baltrusaitis, y lire un déficit d'image, propre à une époque de " déclin de l'iconographie ", le XIe siècle. Avant, pendant et après cette époque, il faut voir au contraire dans l'ornemental la trame à la fois structurelle et symbolique des images figuratives.
NOUVEL ESSSOR
Les deux dernières parties du livre, " La réforme grégorienne " et " Incarnation et images ", ont le mérite de replacer l'essor de l'iconographie chrétienne au XIIe siècle dans le contexte des transformations idéologiques, politiques et sociales de l'Eglise : plus que jamais, après le compromis du concordat de Worms de 1122, qui accorda au pape l'investiture spirituelle des évêques et à l'empereur l'investiture temporelle, l'art est affaire de pouvoir dans un monde qui se sait engagé dans le temps de l'Histoire. L'image nouvelle et en plein essor de l'Arbre de Jessé articule la parenté selon la chair et celle selon l'esprit, au lieu de les opposer. Les clercs ne peuvent plus prétendre représenter à eux seuls l' Ecclesia, qui est figurée, face à la Synagogue, comme l'" Epouse " légitime du Christ. Peu à peu, dans l'image de l'Epouse du Cantique, la Vierge se dissocie de l'Eglise. C'est elle, Notre Dame, qui trône au côté du Fils qui la bénit plus encore qu'il ne la couronne. Au tympan des cathédrales, le succès de ce nouveau couple offre des possibilités inédites d'identification : à côté du Chef, la Mère attire à elle les prières d'intercession des individus et surtout de la communauté. Avec la naissance des communes urbaines (qui souvent figurent la Vierge sur leur sceau) s'achève l'époque des images romanes et du rêve improbable d'une société gouvernée par les moines et les clercs. La figure d'abord locale de la Vierge (par exemple, à la fin du Xe siècle, la statue reliquaire de la Vierge à l'Enfant de Clermont), avait acquis avec la réforme grégorienne une valeur universelle en s'identifiant à l' Ecclesia. Pour finir, elle redevient locale, mais sous les traits adoucis et douloureux de la Mère-Epouse qui intercède auprès de son Fils-Epoux pour les simples pécheurs. Les mutations formelles et sémantiques de l'image de la Vierge ne seraient-elles pas le fil rouge de toute l'histoire du christianisme médiéval, de ses images et de son imaginaire ?
Note(s) : L'IMAGE A L'ÉPOQUE ROMANE de Jean Wirth. Cerf, " Histoire ", 498 p., 310 F (47,26 euros).
(1) Christianisme, tolérance et homosexualité. Les homosexuels en Europe occidentale des débuts de l'ère chrétienne au XIVe siècle (Gallimard, 1985)."
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