Question d'origine :
Bonjour,
Je recherche en vain des informations sur les peuples de la corne de l'Afrique : les Ethiopiens, Erythréens et Somaliens sont-ils de la même race, ou plutôt à l'époque de l'Afrique précoloniale, formaient-ils un seul peuple ?
Je vous remercie d'avance.
Réponse du Guichet

Bonjour,
Pour répondre clairement à la question, les Ethiopiens, Erythréens et Somaliens n’ont jamais formé un seul peuple, même si des royaumes plus ou moins grands ont inclus des parties variables du territoire de la Corne de l’Afrique (parmi lesquels le mythique pays de Pount puis le royaume d’Axoum).
Comme le rappelle une des sources d’une précédente question au Guichet du Savoir sur les Ethnies africaines, « pour distinguer les peuples les uns des autres, le critère le plus commode reste celui de la langue ».
« En dépit de leurs différences, les multiples tribus et peuples auxquels se rattachent les soixante millions d’habitants de la Corne d’Afrique font tous partie de deux grands groupes ethniques, les Sémites et les Chamites.
[En note] : Ces groupes ethniques se distinguent surtout par leur langue. Ainsi les Ethiopiens des hauts plateaux, qui ont pour langue maternelle l’amharique – une langue qui s’apparente à la fois à l’arabe et à l’hébreu – sont-ils considérés par les ethnologues comme des Sémites. Les Somalis parlent en revanche une langue chamitique dont la structure ne ressemble en rien à celle de l’amharique (ni donc de l’arabe ou de l’hébreu). Le somali est cependant proche des langues Oromos et Afars parlées par des populations chamitiques voisines, vivant à l’intérieur de l’Ethiopie ».
Source : Les Peuples de la Corne d'Afrique, Carol Beckwith et Angela Fisher.
Cette remarque sur la Corne d’Afrique au XXe siècle est valable aussi pour le passé :
« L’Ethiopie et ses voisins
Dans le nord des hauts plateaux, les langues sémitiques et le christianisme (dont l’influence est venue par la mer) ont progressé de pair : c’est le berceau de la culture éthiopienne. A l’inverse, la Corne de l’Afrique a conservé ses langues couchitiques et s’est tourné vers l’islam (arrivé lui aussi par la mer). Dans le Sud des hauts plateaux, l’immigration massive d’Oromo, population de langue couchitique, a débuté au XVe siècle. »
Source : Atlas des peuples d’Afrique, Jean Sellier (p. 47)
Mais la lecture du chapitre Les peuples d’Ethiopie, de L’Ethiopie contemporaine, sous la dir. de Gérard Prunier (à partir de la p. 48 pour l’historique) vous montrera que ces appellations largement héritées de modèles bibliques ne peuvent suffire à décrire une réalité autrement plus complexe.
L’histoire de cette partie de l’Afrique est une longue histoire de migrations et d’influences diverses :
« La répartition des peuples de la Corne de l’Afrique et de leurs grands traits culturels, remonte à une histoire bimillénaire : non pas que la péninsule, comme on l’a écrit et cru, soit demeurée hors du temps. Les inscriptions d’Aksum, en grec, en sud-arabique et en guèze [geez], établissent la parenté des langues éthio-sémitiques avec les langues sémitiques du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. L’amharique (Éthiopie), le tigrinia (Éthiopie et Érythrée) et les autres idiomes sémitiques utilisent le syllabaire guèze, très proche des inscriptions sud-arabiques découvertes au Yémen. Des vagues d’immigrants traversèrent la mer Rouge quittant les hauteurs yéménites, fraîches et salubres, pour gagner les hautes terres éthio-érythréennes, leur symétrique. Ils fondèrent le royaume d’Aksum établi du ier s. av. J-C au viiie s. ap. J-C ( ?) sur les plateaux centraux de l’Érythrée et du Nord de l’Éthiopie (Tegray) actuelles et dont l’Éthiopie et l’Érythrée réclament l’héritage. Cet État était une étape obligée du commerce au long cours entre la Méditerranée et l’océan Indien. Depuis l’Antiquité, des paysans sédentaires, locuteurs des langues sémitiques, tirent leur subsistance de la céréaliculture à l’araire, le seul exemple au sud du Sahara. Au ive siècle, le roi d’Aksum se convertit au christianisme et l’Église, rattachée au patriarcat copte d’Alexandrie, rejoignit les Églises monophysites (Égypte, Arménie, Syrie, Inde). On traduisit la Bible, les apocryphes et les Pères de l’Église en guèze. Selon le Coran, l’Éthiopie accueillit des proches compagnons du Prophète persécutés et très tôt, l’islam se répandit dans les ports et les basses terres. Même si leur origine n’est pas établie, les communautés juives [Fälasha ou Bétä Esraél], établies autour de Gondär au nord de l’Éthiopie, apparaissent comme une preuve supplémentaire des migrations venues d’Asie.
Dans les basses terres et sur les montagnes de l’Est et les hautes terres, au sud de l’actuel Addis Abäba, les peuples parlent des langues couchitiques (afar, oromo, somali) du phylum afro-asiatique et au Sud-Ouest, des idiomes omotiques. Entre les xiiie et xve siècles, les negus prirent ces régions puis les perdirent au xvie siècle lorsque le royaume chrétien fut assailli par le jihad d’Ahmed Graññ [le Gaucher], venu de Harär, et aux xvii e et xviii e siècles lorsque les migrations des Oromo (païens à l’époque) le repoussèrent au nord du Nil bleu. Il fallut attendre Menilek ii (1889-1913), qui battit les Italiens à Adwa en 1896, pour que l’Éthiopie s’agrandît vers le sud. Il annexa ainsi par millions des locuteurs des langues couchitiques et omotiques, païens et musulmans, planteurs et éleveurs, maintenus dans la précarité de la tenure jusqu’à la Réforme agraire de 1975. ».
Source : Espoir et inquiétude dans la Corne d’Afrique, Alain Gascon, Revue Humanitaire, juillet 2009, article en ligne à lire dans son intégralité.
Il n’y avait donc pas d’unité miraculeuse avant la colonisation, qu’elle soit de population, de royaume ou d’Etat et si les conflits dans la Corne de l’Afrique tiennent en partie à la situation postcoloniale, La guerre comme rite géographique, article en ligne du même auteur, Cultures et conflits n° 1, vous aidera à comprendre que, là encore, la question est complexe. L’auteur y explicite pour les trois pays que vous citez l’histoire de ce qu’il qualifie de « conflits millénaires et séculiers ».
A lire aussi en ligne :
La corne de l’Afrique, terra incognita de l’ethnie ?, Alain Gascon, dans Afrique noire, Europe de l’Est, regards croisés
Guerre et construction de l’Etat dans la Corne d’Afrique, Christopher Clapham, CERI
Enfin, pour connaître l’histoire de la Corne de l’Afrique depuis la préhistoire :
Histoire sommaire de la Corne orientale de l’Afrique, Jean Doresse. L’auteur y explore entre autres les textes antiques (égyptiens, grecs et romains), et les vestiges archéologiques qui peuvent donner une idée du passé lointain de cette région de l’Afrique.
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