Question d'origine :
Bonjour,
Si d'aucuns se préoccupent de savoir si les anges ont un sexe, ne peut-on pas autant s'interroger sur le fait de savoir s'ils ont un sens de l'humour, sinon inné du moins éternel ? Je m'empresse de préciser que je fais illico abstraction de la farce gargantuesque qui leur ferait se taper les ailes sur les cuisses, que je n'envisagerais le cas échéant qu'un trait d'humour fin, spirituel pour tout dire !
Si la question est vaste, peut-être en prolongement saurais-je ici vous demander ici s'il est des références historiques relatant Jésus de Nazareth riant, a-t-on connaissance d'épisodes de sa vie où il se serait abandonné à je ne sais quel échange drôle, humoristique avec, par exemple, ses apôtres ?
En vous remerciant par avance de m'éclairer,

Réponse du Guichet

Bonjour,
La question n’est peut-être pas aussi vaste que vous le pensez. L’humour ne serait pas un trait qui caractérise les religions chrétiennes en général si bien que les rares chercheurs qui se sont penchés sur la question se demandent pourquoi il existe un humour juif et non un humour chrétien !
Dans Homo religiosus : autour de Jean Delumeau, Jacques Le Brun dans son chapitre « Jésus-Christ n’a jamais ri » : Analyse d’un raisonnement théologique qui reprend l’idée d’un lieu commun selon lequel le Christ a pleuré plusieurs fois et n’a jamais ri. Par là-même on voit l’illustration d’une tendance insistante du christianisme : l’austérité morale comme conséquence de la conscience du pêché, le refus du divertissement, un modèle ascétique de vie. Dans ses homélies, Jean Chrysostome (IVème siècle) prêche sur l’utilité des larmes et l’interdiction du rire, Jésus ayant donné l’exemple des premières : « Il est possible de le voir souvent pleurant ainsi, mais aucun évangéliste, a dit nulle part qu’il a ri, pas même légèrement souri ».
Il dénonce ailleurs le rire dans l’Eglise, la plaisanterie et l’eutrapélie et, s’il ne va pas jusqu’à dire que le rire serait pêché par nature, il estime qu’il est cause du pêché et devient pêché s’il est excessif : du rire vient l’eutrapélie, de l’eutrapélie les paroles honteuses, des paroles honteuses les actions honteuses.
Saint Ambroise affirmait aussi que jamais on ne vit Jésus crier, rire avec éclat […], il proscrivait de l’art oratoire les plaisanteries et les agréments que nous ne trouvons pas dans l’Ecriture.
Richard Simon pense que l’argument du silence scripturaire prendra la valeur positive d’un « lieu commun ».
[…] Aux XVIème et XVIIème siècles, le topos sera repris par des pasteurs soucieux de présenter une image digne et grave de Jésus, par des spirituels méditant sur la vie, par des moralistes austères condamnant les divertissements et le théâtre. On le retrouvera en plein XVIIIème siècle, et il passera dans la culture jusqu’à nos jours.
Parmi les jésuites, le Père Nadal, commentant les larmes du Christ sur Jérusalem, se contente de souligner que la partie supérieure de jésus était joyeuse et que la partie inférieure n’avait pas motif à rire.
Jean Le Brun poursuit en soulignant le caractère dogmatique du topos « Jésus Christ n’a jamais ri » qu’il appelle raisonnement a silentio , que le fait de toujours s’adosser à des faits, de se fonder sur des documents qui, par excellence, « autorisent ».
Bernard Sarrazin dans son article « Jésus n’a jamais ri » d’Avril 1994 de la revue Recherches en science religieuse (tome82 - N°2 de 1994) exprime ainsi sa pensée : « En fait on en sait rien »
Si l’on dénie à Jésus le droit de rire, c’est peut-être qu’on met le rire en bas et Jésus en haut, ce qui suppose dualisme et hiérarchie entre tragique et comique, trivial et sublime, profane et sacré : problème d’esthétique, d’éthique et de métaphysique.
C’est un fait qu’on a jamais vu Jésus éclater de rire dans l’iconographie chrétienne depuis vingt siècles, tout juste esquisser un sourire du sage, sauf dans les représentations sacrilèges […]
Dans le troisième numéro de 1989 de la revue les cahiers du centre de rcherches historiques, Jacques Le Goff dans son article Rire au Moyen-âge explique qu’autour du rire s’est noué un grand débat : car si Jésus n’a pas ri une seule fois dans sa vie humaine, lui qui est le grand modèle humain, dont de plus en plus on proposera l’imitation, le rire devient étranger à l’homme, à l’homme chrétien en tout cas.
Au cours d’une première période, l’Eglise devant un phénomène qui lui parait dangereux, qu’elle ne sait pas maîtriser, adopte une position fondamentalement de refus ; après quoi, vers le XIIème siècle, elle en vient à une période de contrôle du phénomène, de tri entre les bons rires et les mauvais : les façons licites et les façons illicites de rire.
On a l’impression que le christianisme pendant longtemps a bloqué toute cette partie du rire qui était le rire moqueur, défini comme particulièrement mauvais. En revanche, on voit affleurer le sourire dans l’Art, dans sculpture : les fameux anges au sourire, le thème des vierges sages et des vierges folles, où les vierges sages sourient et les vierges folles ricanent.
Concernant les anges, aucune documentation portée à notre connaissance ne nous permet d’affirmer si eux-mêmes rient ou si ils sont dotés d’un quelconque sens de l’humour. En revanche on en sait plus sur leur sourire qui en doit beaucoup à l’esthétique gothique.
Yves Cattin et Philippe Faure dans leur ouvrage Les anges et leur image au Moyen-âge parlent du sourire et de la bonté angélique :
L’esthétique gothique a largement contribué à humaniser la figure de l’ange. Les anges au sourire du portail de la cathédrale de Reims manifestent, au début du XIII siècle, une innovation décisive : le visage est désormais chargé d’exprimer les mouvements de l’âme. Image de l’âme vivante, le visage angélique, pris sous les rayons de la lumière naturelle, à l’intérieur comme à l’extérieur de la cathédrale, traduit aussi bien la joie intérieure que le bonheur terrestre, dans une société en pleine transformation, qui conjugue la prospérité économique et l’élan spirituel, la confiance en elle-même et la foi en Dieu.
petit rappel :
Eutrapélie dans le Dictionnaire français Définitions & Synonymes :
fait de plaisanter, de tenir des propos ironiques et amusants la force des caractères délibérément enjoués, le secret des personnes dont on envie la joie de vivre tandis qu’on sait les épreuves silencieuses et l’humble dignité qui les marquent.
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